"Je ne suis pas un homme facile" : un monde où les femmes dominent, ça donnerait quoi ?

Publié le Mercredi 11 Avril 2018
Léa Drouelle
Par Léa Drouelle Journaliste
Cinéma : Je ne suis pas un homme facile, un monde où les femmes dominent
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Après son court-métrage "Majorité opprimée", Éléonore Pourriat dévoile un long-métrage qui sortira ce vendredi 13 avril sur Netflix. Dans ce film, la réalisatrice française inverse les stéréotypes de genre afin de dénoncer les inégalités hommes-femmes et les travers sexistes de notre société.
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Imaginez un monde où les femmes domineraient la société. Le président de la République serait une présidente, les mamans s'affaleraient sur le sofa avec leur fille pour regarder le foot après une dure journée de labeur, tandis que les papas s'activeraient aux fourneaux et annonceraient à leur patronne qu'ils partent bientôt en congé paternité. Dans son court-métrage réalisé en 2010 Majorité opprimée (disponible ci-dessous), la réalisatrice française Éléonore Pourriat nous avait déjà donné un avant-goût de cette société dans laquelle le mot "féminisme" n'existe pas mais où l'on parle volontiers de "masculisme".

Rediffusé en 2014 sur YouTube, ce court-métrage dans lequel tous les stéréotypes de genre sont inversés rencontre un succès fulgurant. À tel point que peu de temps après, la plateforme de vidéo Netflix contacte Éléonore Pourriat pour lui proposer de réaliser une version plus fouillée de Majorité opprimée : un long-métrage cette fois. Le résultat s'intitule Je ne suis pas un homme facile et sera disponible sur Netflix dès le vendredi 13 avril dans 190 pays. Côté casting, on retrouve Vincent Elbaz et Marie-Sophie Ferdane dans les rôles principaux, ainsi que les acteurs Pierre Bénézit et Céline Menville, déjà présents dans Majorité opprimée. Rencontre avec la réalisatrice.

Terrafemina : Majorité opprimée dure 11 minutes. Quelles évolutions avez apportées au scénario de Je ne suis pas un homme facile, qui dure 1h37 ?

Éléonore Pourriat : Je suis restée sur l'idée de départ de monde inversé, mais abordé sous l'angle de la comédie romantique. Elle s'imposait comme fil rouge car c'est un genre très codé dès lors qu'il s'inscrit dans le cadre d'une relation hétérosexuelle. Je trouvais intéressant d'explorer tous ces passages obligés, les petites choses du quotidien que l'on attribue automatiquement à l'homme ou à la femme. Cela nous aussi permis, à moi et à mon équipe, de nous interroger sur notre propre perception de la question du genre au sein de la société. Par exemple : 'à quoi ressemble l'appartement d'un mec célibataire ?'. On a aussi multiplié les rôles, les décors, ce qui je pense donne un foisonnement d'images assez jubilatoire. Les personnages secondaires ont leur importance : l'homme de ménage, la patronne de bar, les hommes voilés. Cela produit un effet de réel, alors qu'on est dans un monde inventé.

En regardant votre film, on repère de nombreux stéréotypes de genre, mais aussi beaucoup de symboles sexistes qui s'immiscent jusque dans une partie de poker, où les dames l'emportent sur les rois...

E.P : Oui et je me suis d'ailleurs beaucoup amusée dans l'écriture. J'ai traqué tous les éléments sexistes ordinaires de notre société, des plus flagrants aux petites choses qui sont tellement ancrées dans notre quotidien qu'elles en deviennent invisibles. Mais quand on inverse les rôles, ça saute tout de suite aux yeux. Le monde inversé m'a permis de montrer des personnages et des acteurs à qui je pouvais donner des directives qui sortent un peu de la norme. Le personnage d'Alexandra Lamour était par exemple parfait pour Marie-Sophie Ferdane car elle a un côté très féminin mais aussi androgyne. J'aimais bien l'idée d'interroger : 'qu'est-ce que le masculin ou le féminin chez quelqu'un ?'

Vous vivez à New York depuis 4 ans. Depuis que vous êtes là-bas, avez-vous remarqué des différences en termes de "société genrée" comparé à la France ?

E.P : Le côté anglo-saxon fait qu'on est moins directement impactées par le sexisme ordinaire. Le harcèlement de rue est par exemple beaucoup moins répandu qu'à New York qu'en France. Cela me frappe toujours quand je reviens à Paris. Ici, c'est beaucoup moins visible. Après, cela ne signifie pas qu'il n'y pas de machisme ou de sexisme. Mais la parole féministe y est aussi très importante. Dans les écoles, on n'a pas peur d'aborder le sujet et d'éduquer les enfants sur les discriminations de genre. Il y a un réel souci d'offrir autant d'opportunités aux garçons qu'aux filles. La société new-yorkaise a d'ailleurs beaucoup nourri l'écriture de mon film : ici, il y a une tolérance que l'on retrouve beaucoup dans le film, notamment en ce qui concerne le choix identitaire de chaque individu.

"Je ne suis pas un homme facile" d'Éleonore Pourriat, 2017
"Je ne suis pas un homme facile" d'Éleonore Pourriat, 2017

Dans une séquence du film, le personnage de Damien se plaint de vivre dans une société parallèle où les femmes dominent. Sa coach lui répond qu'il existe peut-être une 3e voie : "un monde où les hommes et les femmes s'épaulent". Est-ce le message que vous souhaitez faire passer ?

E.P : Oui, car je suis idéaliste. Le monde que je présente dans le film est tout aussi inégalitaire que le nôtre. Quand on voit le traitement que les hommes subissent de la part des femmes on n'a qu'une envie : se révolter. Mais ce film a aussi pour but de montrer les diktats dont les hommes sont victimes au sein de notre société patriarcale : beaucoup d'injonctions leur sont faites, comme le fait d'être fort. Ces inégalités de genre pèsent donc également sur l'homme. J'espère, j'aimerais que les hommes et les femmes un jour s'entendent pour un monde plus égalitaire. D'autant plus qu'il y a beaucoup d'hommes aujourd'hui qui prônent cette égalité. Il est donc temps d'évoluer ! Dans un monde idéal, on serait d'abord des êtres humains. On verrait le genre comme un spectre plus large, sans l'effet réducteur des cases "hommes" et "femmes".

Je ne suis pas un homme facile, Eléonore Pourriat, disponible sur Netflix à partir du 13 avril