"Mon roi" de Maïwenn : le traitement hystérique de la critique macho ?

Publié le Jeudi 22 Octobre 2015
Adèle Bréau
Par Adèle Bréau Ex-directrice de Terrafemina
Ex-directrice de Terrafemina, je suis aussi auteure chez J.-C. Lattès, twitta frénétique, télévore, bouquinophile et mère happy mais souvent en galère.
Maïwenn monte les marches à Cannes
Maïwenn monte les marches à Cannes
Raté. Bouffi. Naïf comme un "courrier du coeur"... en mot lâché de toute part, "hystérique", le Roi de Maïwenn déchaîne les passions critiques, dont les (très souvent) mâles détracteurs s'enflamment avec une hargne un rien suspecte. Alors, un brin machos, les critiques ?
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"Folle". C'est le mot qui revient chaque fois qu'on évoque Maïwenn, dans le petit milieu du cinéma, au point que la cinéaste a tourné avec les deux compères du Petit Journal un film plein d'auto-dérision dans lequel on la voit s'exciter avec démence à chaque micro-contrariété. Et pourtant. À peine sorti sur les écrans, le très attendu petit frère de Polisse, déjà boudé à Cannes par certains critiques chagrins, se fait laminer dans les grandes largeurs autant qu'encenser ailleurs, pour avoir su ou voulu capter quelque chose de l'amour.

Dans Paris Match, le journaliste (un homme), plutôt conquis, juge cependant le film "énergique jusqu'à l'hystérie". Dans L'Obs, d'une sévérité ahurissante, on (un homme) ne trouve aucune excuse à ce nanar gnan-gnan que l'auteur de l'article prend plaisir à ridiculiser, le rapetissant au rang d'une amourette de collégienne déçue, usant et abusant d'une syntaxe débilisante ("Mais qu'est-ce que je fais, moi si brillante, toutes mes copines me le disent, avec ce salopard qui me détruit ?") avant de crucifier la réalisatrice, soupçonnée d'avoir couché sans bosser ses peines de coeur sur grand écran, comme si son journal intime et ses "copines" ne lui suffisaient plus. "Maïwenn balance tout en vrac, sans s'inquiéter du comment et du pourquoi, certaine apparemment que, puisque c'est arrivé, ça captivera tout le monde", nous dit le journaliste, avant de souhaiter que certains personnages "ruinent le genou" de l'héroïne qui, manifestement, a suscité chez lui bien plus que de l'exaspération. Chez Télérama, on est soit pour (une femme), soit ultra contre (un homme, sorti du "cauchemar" que fut le visionnage de ce "capharnaüm bouffi de partout" dans lequel l'héroïne, encore elle, multiplierait les "crises d'hystérie"). Redondant, le reproche ricoche chez Libé ("Le bal des hystériques", pondu par un homme), Ecran large ("Téléfilm hystérique", encore un homme), Les Inrocks ("la surexcitation, l'hystérie permanente", encore un monsieur) et on en passe.

Aurait-on dit d'un Pialat foutraque ou d'un Lelouch emphatique qu'il était "hystérique" ?

Si l'idée n'est pas tant de savoir si Mon roi est ou n'est pas un bon film, la manière dont il a été accueilli et traité, interroge. Car qu'est-ce que l'hystérie, si ce n'est, au départ, une névrose inquiétant attribuée au seul sexe féminin, en témoigne sa racine grecque signifiant "utérus". Au Moyen-Age, on brûlait les femmes soupçonnées de ce mal plus qu'inquiétant, elles dont la sexualité enfouie ne cessait de troubler la quiétude cérébrale des mâles alentours. Si, depuis, ladite névrose n'est plus seulement attribuée aux femmes, on ne peut nier aujourd'hui ses relents sexistes, en particulier lorsque le terme est utilisé, comme ici, par des hommes. Aurait-on dit d'un Pialat foutraque ou d'un Lelouch emphatique qu'il était "hystérique" ? Non.

"Elle a ses règles ou quoi ?", "Elle est folle", "Pire qu'un homme" : cela fait des années que nous recensons les stéréotypes encore véhiculés sur les femmes, et utilisés sans vergogne dans les milieux professionnels de tous bords, ainsi qu'en témoignent les nombreuses études recensées ici. Et si c'était cela, justement, qui dérange chez Maïwenn, le fait qu'une femme soit si solidement installée dans le milieu de cinéma, où seul un réalisateur sur cinq est une réalisatrice ? Une femme jeune, belle, et qui gueule, forcément, lorsqu'elle doit gérer, toute seule, des équipes pour mener à bien son projet. Une femme qui dicte aux bonshommes ce qu'ils doivent faire, sans avoir la politesse et l'élégance de le faire en catimini. Une femme qui fait un film de gonzesses, où une quadra un peu perdue s'entiche d'un salaud ordinaire (et d'ailleurs, qu'est-ce qui nous dit que ce pauvre Cassel n'a pas morflé auprès de cette dingue qui pleure et crie tout le temps ?) sans même parvenir à le quitter.

Une histoire d'amour passionnée réduite à un épisode de Sous le soleil ?

Car oui, au-delà de Maïwenn, dont le Polisse avait finalement été bien reçu par ses pairs, n'est-ce finalement pas le sujet de Mon roi lui-même qui titille un public masculin bousculé par ces jérémiades jugées "hystériques" pour une simple histoire de coeur subie sans que ces messieurs comprennent bien comment ni pourquoi ? Filmée par une femme, une histoire d'amour passionnée serait-elle alors réduite à un mauvais épisode de Sous le soleil ?

Allez, peut-être nous faisons-nous des idées, finalement. Cessons toute hystérie. Et foncez voir Mon roi, sait-on jamais, ça pourrait vous plaire. Si vous êtes une gonzesse.