"Un jeune homme superflu" : rencontre avec Romain Monnery, écrivain cool et pop

Publié le Mercredi 16 Mars 2016
Anaïs Orieul
Par Anaïs Orieul Journaliste
Romain Monnery nous parle de son livre "Un jeune homme superflu"
Romain Monnery nous parle de son livre "Un jeune homme superflu"
Romain Monnery, vous connaissez ? Auteur d'un roman doux-amer sur l'entrée dans l'âge adulte ("Libre, seul et assoupi"), ce trentenaire à la bouille d'éternel adolescent revient ces jours-ci avec "Un jeune homme superflu", livre qui décrit de manière décapante et jubilatoire les angoisses de la génération Y. Alors, enfin adulte Romain Monnery ?
À lire aussi

Terrafemina : Votre héros est diplômé mais payé au lance-pierre, il fait la fête mais il s'ennuie profondément. Bref, il est paumé. Il représente à lui tout seul la génération Y en fait...

Romain Monnery : Ce serait un peu prétentieux de dire qu'il capture toutes les névroses et les angoisses de la génération Y. Mais on peut dire qu'il est lunaire dans le sens où il n'est pas vraiment doté d'ambitions, ce qui n'est pas le propre de cette génération. Je dirais qu'il est à mi-chemin. Il a le côté désenchanté de la génération Y, ce côté nonchalant. Mais il puise aussi dans le côté fantaisiste de cette génération, comme un GIF animé un peu triste.

Ce côté désenchanté, on le retrouve aussi finalement dans le monde du travail que vous décrivez avec les renouvellements de CDD et les jobs qu'on prend parce qu'on en a besoin mais qu'on n'apprécie pas finalement. Du coup, on bosse mais on ne réfléchit plus. Est-ce que les jeunes de la génération Y s'enfonceraient dans une sorte de confort au mépris du bonheur ?

R.M. : Je pense que c'est aussi propre à l'activité journalistique ou culturelle (le héros du roman est journaliste, ndlr). C'est-à-dire qu'on a vraiment intégré le fait que ça c'était précarisé et qu'un CDI dans le journalisme aujourd'hui, on en trouve pas beaucoup. Donc j'ai l'impression qu'il y a une forme de raison qui s'est installée. Moi par exemple, je fonctionnais par palier. Je me disais : "Bon ok, je ne trouverai pas la plénitude dans mon travail, mais j'aime écrire donc je m'accorde 5 ou 10 ans, et quand j'aurai épuisé ce quota d'expérience, il sera temps de passer à autre chose et de me faire définitivement une raison". Ce n'est pas faire une croix sur le bonheur professionnel, mais c'est juste accepté qu'il soit un peu morcelé, accepté qu'on ne fonctionne plus en ligne droite comme autrefois.

Dans ce mec qui se laisse porter, on peut aussi voir le prolongement de Machin, le héros de votre premier roman Libre, seul et assoupi...

Romain Monnery : C'est à la fois une sorte de prolongement et presque une face B. Cet univers m'intéresse particulièrement et j'avais envie d'explorer d'autres choses, notamment les liens amicaux et le cercle professionnel. Je voulais parler de l'open space, cet endroit qui cristallise le côté régressif, enfantin, presque Peter Pan des vingtenaires et des jeunes trentenaires, et qui est pour moi un espèce de Neverland du monde du travail. Je trouve que ça reflète assez la culture web dont le langage est très porté sur l'humour. D'ailleurs c'est presque une condition sine qua none si l'on veut communiquer avec les autres.

Pour parler aussi bien de la vie en open space, vous vous êtes inspiré de vos propres expériences ou vous avez puisé dans les histoires racontées par des amis ?

R.M. : Un peu des deux. Je suis quelqu'un d'assez introverti et on va dire que je vis un peu dans ma tête, je ne suis jamais trop dans l'instant présent. Du coup, j'aime imaginer des éléments qui auraient pu devenir comiques, qui auraient pu rendre vivante une scène un peu plate. Mais ça, c'est aussi assez générationnel finalement. C'est quelque chose que je retrouve assez dans les séries – et très peu dans les livres d'ailleurs – ce truc de visualiser les pensées et d'accéder à l'univers complètement imaginaire que se crée une personne dans sa tête. Que ce soit dans Scrubs, 30 Rock ou Ally McBeal, on retrouve souvent cette espèce de fantaisie burlesque, et ça m'inspire énormément alors que le support livre ne s'y prête pas beaucoup malheureusement.

Les séries télé vous influencent donc beaucoup...

R.M. : Enormément. J'ai tendance à beaucoup transposer les caractères de personnages de séries sur les caractères de mes propres amis par exemple. Pour la petite histoire, j'ai commencé à écrire assez sérieusement sur un blog, et c'est là que j'ai vraiment commencé à faire des digressions et à mentir en fait. Grâce à ce blog, je m'inventais une vie parallèle. J'écrivais sur la colocation et j'inventais des personnages à partir de personnes existantes, j'étais dans la caricature. Je m'inspirais de Seinfeld ou de Scrubs, et c'est là que j'ai découvert qu'on pouvait ouvrir des univers parallèles avec l'écriture.

Ce côté très pop culture, très imaginaire, ce n'est pas très commun dans la littérature française, non ?

R.M. : Dans la littérature américaine par exemple, c'est quelque chose qui est très intégré. Mais c'est vrai qu'en France, on en est encore loin. J'ai été confronté à des éditeurs qui me disaient que je faisais de la BD et pas de la littérature. Et c'est vrai que c'est difficile à doser parce que la lecture se fait différemment. Intégrer des références de pop culture dans un livre c'est compliqué parce qu'on a l'impression qu'il faut toujours expliquer. Pour toucher les gens qui n'ont pas les mêmes références que toi, c'est difficile du coup.

...
...

Vos trois romans sont différents mais semblables dans le sens où ils parlent des jeunes trentenaires, de leur quotidien, de leurs soucis et de leurs amours. Vous avez fait le tour des questions existentielles que se pose votre génération, ou pas encore ?

R.M. : Non, je ne pense pas encore avoir fait le tour. Mais le côté adolescent, un peu Peter Pan, je vais peut-être le laisser un peu le laisser de côté ou le présenter de manière différente. Mais je pense qu'on n'a jamais vraiment fait le tour. L'ennui pour moi, c'est que j'ai du mal avec l'écriture classique. Moi, j'aime les petites saynètes, l'excentricité, et ça peut être problématique au niveau du positionnement. Je ne sais pas trop ce que ça dit de moi, mais en tout cas, j'ai les mêmes préoccupations aujourd'hui qu'il y a dix ans, je ne suis pas plus avancé sur l'échiquier social et existentiel. Et puis en termes d'histoire, il me semble que c'est plus intéressant de traiter ces moments-clés avant l'entrée dans l'âge adulte. Quand tu arrives au bord du précipice, que toutes tes angoisses remontent, que tu as l'avenir devant toi et que tu ne sais pas si ça va être une source de réjouissance ou de déception. Le champ des possibles, c'est ce qui m'intéresse le plus. Globalement, je crois que j'aime les angoisses existentielles !

Aujourd'hui, l'âge adulte continue de vous angoisser ?

R.M. : Angoisser, c'est peut-être un peu fort, on va dire que je me suis fait une raison. Mais c'est vrai que les responsabilités, c'est pas mon truc. En fait, le problème que j'ai avec l'idée que l'on se fait sur l'âge adulte, c'est qu'on devrait obéir à des schémas préétablis. Du coup, dès qu'on est un peu en dehors de la norme, on est montré du doigt et on nous dit qu'il faut grandir et prendre ses responsabilités. Et ça, ça me désole un petit peu.

Il y a deux ans, vous expliquiez que vous aviez du mal à dire que vous étiez écrivain. Que vous aviez un "sentiment d'imposture en permanence". Avec votre troisième roman, vous vous sentez enfin légitime ?

R.M. : Pas du tout ! J'ai presque l'impression d'être un imposteur par rapport à la profession d'écrivain. Il me semble qu'en France, il y a un côté très noble dans l'écriture, une sorte de maintien. Et moi j'ai l'impression que je me situe entre deux. Mon écriture est plus télévisuelle que littéraire et à chaque fois que je me retrouve dans des salons ou des rassemblements littéraires, je suis complètement perdu, j'ai l'impression d'être illégitime. Et socialement, je dis souvent que je suis une sorte de journaliste au chômage mais pas auteur.

Vous avez déjà un quatrième roman en cours d'écriture ?

R.M. : Pas vraiment. J'ai envie de m'essayer à d'autres formes d'écriture, comme le théâtre ou le scénario. Mais les livres à court terme, je pense que je vais mettre ça un peu en stand-by. Puis j'ai aussi envie d'aller vers quelque chose de plus collaboratif.

Que lisez-vous en ce moment ?

Romain Monnery : Je lis beaucoup de livres en anglais parce que c'est une littérature dans laquelle je me retrouve énormément. Il y a notamment Simon Rich, qui a écrit The Last Girlfriend on Earth dont est inspiré la série Man Seeking Woman. C'est très fantaisiste, on y retrouve la culture du Saturday Night Live qui est très axée sur le comique de situation. On le compare souvent à Woody Allen. J'aime aussi beaucoup David Sedaris, qui écrit plutôt des essais et des nouvelles. Il a écrit Holidays on Ice, un recueil d'essais hyper drôle mais qui n'a pas été traduit en français malheureusement. Aux États-Unis, ce mec c'est une vache sacrée. Puis en France, il y a Titiou Lecoq, qui est obsédée par la culture web, et ce que j'admire beaucoup chez elle, c'est qu'elle arrive à parler à différentes générations. Elle parle aussi bien à ceux qui cherchent un page turner et un dénouement, qu'à ceux qui cherchent plus des personnages avec des situations.

"Un jeune homme superflu" de Romain Monnery, ed. Au Diable Vauvert, 375 pages, 17 euros