Affaire Alexia Daval : c'est un féminicide, pas un "drame conjugal"

Publié le Mercredi 31 Janvier 2018
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
Capture vidéo France 3
Capture vidéo France 3
Mardi 30 janvier, au terme d'un long interrogatoire, Jonathann Daval a fini par reconnaître avoir tué sa femme, Alexia Daval. Présenté par son avocat comme un "accident" et dans les médias comme un énième fait divers, le meurtre d'Alexia Daval est surtout l'illustration même des violences machistes que subissent les femmes. En cela, il doit être présenté comme ce qu'il est vraiment : un féminicide.
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Aux noms de Doris, Valérie, Aurélie, Annie ou Noémie, ces victimes de féminicides que la journaliste Titiou Lecoq égrène dans un article glaçant (et régulièrement mis à jour) sur le site de Libération, vient désormais s'ajouter celui d'Alexia Daval. La jeune femme de 29 ans avait été retrouvée morte en novembre dernier, son corps à moitié carbonisé et dissimulé sous des branchages dans un bois situé non loin de son domicile à Gray, en Haute-Saône. C'est son mari, Jonathann Daval, qui avait signalé sa disparition à la police le 30 octobre dernier, affirmant qu'elle était partie faire un jogging et n'était pas revenue.

Trois mois après la découverte du corps d'Alexia, Jonathann Laval, acculé en interrogatoire, a fini par avouer ce mardi (30 janvier) : c'est lui qui a tué Alexia en l'étranglant. De mari éploré, le voici désormais passé de statut de meurtrier. Pourtant, cela n'empêche pas le mari d'Alexia Daval d'affirmer par la voix de son avocat qu'il s'agit d'un "accident".

Le bourreau présenté comme une victime

Lors d'une conférence de presse qui s'est tenue lundi soir, Me Randall Schwerdorffer a évoqué des arguments hallucinants pour "justifier" le meurtre d'Alexa par son client, Jonathann Daval. Affirmant qu'elle avait été étranglée "par accident" et que Jonathann Daval "regrettait" son geste, Me Schwerdorffer a justifié la mort d'Alexia en affirmant qu'il s'agissait d'une "dispute qui a mal tourné". "Ce n'était pas la première dispute, des disputes qui pouvaient être assez violentes. Jonathann a essayé de la maîtriser, ça a dérapé et petit à petit, il l'a étouffée. Après, il a été dépassé."


Présentant Jonathann Daval comme un mari aimant qui aurait "dérapé", Me Schwerdorffer a ajouté qu'il était "sincèrement anéanti par la mort de sa compagne". "On a un garçon en très grande souffrance, qui a commis quelque chose qu'il ne voulait pas commettre, et qui a vécu comme si il n'avait pas fait ce qu'il n'a pas voulu faire".

Dans la bouche de son avocat, Jonathann Daval reste donc l'homme idéal, poussé à bout par Alexia Daval qui pouvait, selon lui, avoir des "accès de violence extrêmement importants à l'encontre de son compagnon". "Ils avaient une relation de couple avec de très fortes tensions. Alexia avait une personnalité écrasante, il se sentait rabaissé, écrasé. À un moment, il y a eu des mots de trop, une crise de trop, qu'il n'a pas su gérer", a ajouté l'avocat. Et de conclure : "J'ai le sentiment qu'il y a deux victimes dans cette affaire : Alexia Daval, et Jonathann Daval."


De victime de meurtre, celui de sa femme Alexia, Jonathann Daval se mue donc dans le discours de son avocat en victime de son épouse, présentée comme violente et toxique. Un cas typique de victim blaming qui a fait réagir jusqu'à Marlène Schiappa.

Interrogée ce mercredi matin sur RTL, la secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes s'est dite outrée par les propos tenus par Me Schwerdorffer. "L'idée, c'est de dire qu'à chaque fois qu'une femme est victime de violences sexistes ou sexuelles et ici d'un féminicide, on trouve des raisons qui justifieraient le fait que cette femme ait été victime. On fait comme si la victime elle-même était coupable d'avoir été victime."

"En disant ça, on légitime les féminicides, on légitime le fait que tous les trois jours, il y a une femme qui soit tuée sous les coups de son conjoint (...). Elle avait une personnalité écrasante, elle était trop exigeante, elle s'habillait de façon trop aguicheuse... Il y a toujours une bonne excuse, ça suffit !", a ajouté Marlène Schiappa au micro de RTL.

Ce n'est pas un "drame conjugal", c'est un féminicide

L'autre problème mis en lumière par l'affaire Alexia Daval, c'est celui du traitement journalistique fait de ces meurtres de femmes par leur conjoint, présentés tour à tour comme un "fait divers" ou un "drame conjugal".

Refuser de parler de "féminicide", c'est éluder la dimension machiste de ces meurtres. Alexia Daval est une femme qui a été tuée par un homme, son mari. Lequel a usé de sa force physique pour l'étrangler et lui ôter la vie.

"'Féminicide' n'est pas un terme juridique. Mais dans le traitement journalistique, ce terme permet de mettre en valeur le fait qu'il y a un point commun entre toutes ces histoires. Ce ne sont pas des faits divers. Quand on fait toute la liste, on retrouve des hommes qui considèrent que ces femmes leur appartiennent, et qu'ils ont une espèce de droit de vie et de mort sur elles. Le terme 'féminicide' rappelle un rapport de domination entre les hommes et les femmes, dans sa forme la plus extrême", rappelait ce mercredi matin Titiou Lecoq dans la Matinale d'Europe 1.

Parler de "drame conjugal" ou de "drame passionnel", c'est minimiser les actes de Jonathann Daval. Mais parler de "fait divers" est tout aussi problématique. Dans L'Obs, la journaliste Agathe Ranc rappelle que pour certains médias, et alors même que son mari est passé aux aveux, Alexia Daval est toujours présentée comme la "joggeuse disparue". Ce faisant, on réduit sa mort à un banal "fait divers", à l'histoire d'une femme qui s'est trouvée "au mauvais endroit, au mauvais moment" et qui laisse entendre qu'aller courir seule dans les bois est dangereux pour les femmes.

Là encore, ce n'est pas le jogging qui a tué Alexia Daval, c'est son mari. Faire croire aux femmes qu'elles sont plus vulnérables lorsqu'elles courent dehors que lorsqu'elles sont chez elle, auprès de leur conjoint, ce n'est pas qu'une illusion : c'est un mensonge. Pour rappel, les trois quarts des femmes victimes de violence connaissent leur agresseur. Notamment, pour plus de 30 % d'entre elles, il s'agit du conjoint ou de l'ex-conjoint.

En attendant une reconnaissance légale du terme de "féminicide", réclamée par les associations féministes pour mieux prendre en compte la spécificité des meurtres commis à l'encontre des femmes, Jonathann Daval sera jugé pour "meurtre sur conjoint.e". Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.