Agression sexuelle dans le train : faut-il "être morte" pour être prise au sérieux ?

Publié le Mercredi 28 Octobre 2015
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
Agression sexuelle dans les transports : faut-il "être morte" pour qu'on prenne les victimes au sérieux ?
Agression sexuelle dans les transports : faut-il "être morte" pour qu'on prenne les victimes au sérieux ?
Mardi 27 octobre sur sa page Facebook, le site Paye ta Shnek a publié le témoignage glaçant d'une jeune femme ayant assisté à l'agression sexuelle d'une passagère dans un train en direction de Mantes-la-Jolie. Face au manque de réaction des témoins et au mépris d'un agent SNCF, elle lance un appel à plus de soutien envers les victimes d'agressions sexuelles.
À lire aussi

Que se passe-t-il dans la tête des passagers qui assistent à l'agression sexuelle d'une jeune femme et décident, plutôt que d'appeler à l'aide ou de tirer le signal d'alarme, de détourner les yeux ? C'est la question que l'on peut se poser à la lecture du témoignage, terrible, d'une jeune femme publié sur la page Facebook de Paye ta Shnek, un tumblr participatif qui compile depuis 2012 les pires histoires de harcèlement de rue.


"J'aimerais vous dire que tout le wagon s'est levé d'une seule et même voix pour protéger cette femme"

"Le 24 octobre, dans le train en direction de Mantes-la-jolie vers 20h40, dans l'avant-dernier wagon décoré de camélias, une femme s'est fait agresser sexuellement sous mes yeux. Et je n'ai rien vu. Rien vu avant qu'un homme, à l'accent italien s'énerve, se lève, et interpelle les gens de mon wagon blindé. Si cet homme me lit, je veux lui dire merci. Merci de m'avoir sortie de mon livre et d'avoir essayé d'aider cette femme. Merci de s'être levé pour une femme", raconte la jeune femme, prénommé Debbie.

Cette dernière explique ensuite comment elle a été effarée par le manque de réaction des autres passagers, qui ont préféré plonger dans leur livre ou visser des écouteurs sur leurs oreilles plutôt que de porter assistance à la jeune femme qui, quelques rangs devant eux, "depuis le départ du train, subissait les attouchements de l'homme qui s'était assis à côté d'elle".

"J'aimerais vous dire que tout le wagon s'est levé d'une seule et même voix pour protéger cette femme. J'aimerais aussi vous dire que la police est intervenue, que l'agresseur est actuellement au poste et que cette femme a porté plainte. Qu'elle va avoir un soutien psychologique pour apaiser le traumatisme subi mais ce n'est pas le cas."

Puis Debbie raconte avoir quitté le wagon pour solliciter l'aide du conducteur de train, qui a immédiatement prévenu un agent en gare. La réaction de ce dernier a été méprisante et suffisante. "À la demande d'intervention suivante : "Une femme se fait agresser sexuellement dans mon train", la voix masculine au bout du talkie-walkie a ri et répondu : 'Bah elle est pas morte !'"

De retour dans le wagon, Debbie constate que la victime a quitté le train. Tout comme son agresseur, qui n'a donc jamais été inquiété durant tout le temps qu'a duré le trajet.

Ne pas réagir, c'est assurer l'impunité de l'agresseur

Aussi terrible soit-il, le témoignage qu'a livré Debbie est loin d'être celui d'un cas isolé. En février dernier, une jeune femme de 22 ans était agressée sexuellement dans un train Paris-Melun sans qu'aucun voyageur ne daigne lui porter assistance. En avril 2014, c'était au tour d'une jeune femme de 29 ans de subir les assauts de son agresseur dans le métro de Lille. Là encore, aucun usager n'avait réagi.

Une "dilution de la responsabilité" et une banalisation de la violence sexuelle qu'explique très bien la psychiatre Muriel Salmona sur le site Le Plus . "Plus il y a de témoins et moins il y a de chance que quelqu'un intervienne chacun pensant que, de toute façon, il ne va pas intervenir puisqu'il y a plein d'autres gens qui le pourraient autour de lui."

C'est aussi pour dénoncer cette absence de réaction des passagers que Debbie a tenu à témoigner. "Je suis désolée de n'avoir pas pu vous apporter de l'aide plus vite. Je suis révoltée de ce que j'ai vu et entendu ce soir-là. Je voudrais dire aux gens qui me lisent qu'une agression, quelle qu'elle soit est suffisante pour tirer le système d'alarme. Que cela doit devenir un réflexe, réflexe qui m'a fait défaut."

Elle dénonce aussi la réaction, intolérable, du personnel en gare qui n'a rien trouvé de mieux que de rire du sort de la jeune femme agressée. "Il est l'heure de réagir SNCF. De protéger tes voyageurs des agressions du quotidien. D'inculquer à ton personnel qu'une femme qu'on agresse n'est pas matière à rire. Qu'une femme n'est pas synonyme de mépris et qu'elle mérite, comme tout être humain qu'on la respecte et la protège quand elle en a besoin. Je savais qu'on ne pouvait pas compter sur toi pour être à l'heure, je sais désormais que tu te fiches de l'état dans lequel on arrive. Tes trains n'ont jamais été moins sûrs, SNCF."

100% des femmes agressées dans les transports en commun

Très largement relayé sur les réseaux sociaux, le témoignage de Debbie a finalement été commenté sur Facebook par la SNCF. L'entreprise de chemins de fer a également été contactée par Libération et Rue89 et affirme prendre "très au sérieux ce témoignage et les faits évoqués. Nous avons déjà diligenté une enquête. Pour l'instant, il n'y a pas de dépôt de plainte et notre souci aujourd'hui est de rassembler les éléments pour reconstituer les faits, le lieu, le jour, les personnes impliquées. On est en train de tout chercher pour voir si les faits sont avérés."

La réponse de la SNCF suite au témoignage de Debbie sur Paye ta shnek
La réponse de la SNCF suite au témoignage de Debbie sur Paye ta shnek

Avérés ou non, les "faits" ne mettent qu'un peu plus en lumière le sentiment d'insécurité que partagent l'ensemble des utilisatrices des transports en commun. Selon un rapport accablant remis en avril dernier à Marisol Touraine et Pascale Boistard par le Haut Conseil à l'Égalité femmes-hommes (HCE/fh), 100% des utilisatrices des transports ont été victimes au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou d'agressions sexuelles, qu'elles en soient conscientes ou non. Dans 50% des cas, les victimes de harcèlement dans les transports sont mineures. Dans les transports en commun, les femmes sont aussi les principales victimes d'injures et insultes, tout comme la majorité des victimes de violences sexuelles.

Une situation intolérable qui a poussé le gouvernement à dévoiler en juillet son plan national de lutte contre le harcèlement dans les transports. Établi en concertation avec la SNCF, la RATP et les associations de voyageurs, il vise, notamment, à mieux faire connaître le numéro d'alerte de la SNCF (31-17) et celui de la RATP (32-46) afin d'encourager les victimes de violences à dénoncer leur harceleurs par et éventuellement à faire intervenir les forces de sécurité. Ce qui, visiblement, n'est pas encore tout à fait au point.