Le body shaming a mille visages. De la moquerie la plus misogynes aux représentations super-photoshoppées que nous vendent les publicités (de celles qui s'étendent de nos réseaux sociaux à nos couloirs de métro), de nombreuses injonctions pèsent sur le corps des femmes et procurent à ces dernières le sentiment d'être jugées, culpabilisées, critiquées pour leur apparence physique. Cette honte du corps est une pression sociale. Et morale. Mais pas que.
Car de plus en plus de paroles scientifiques constatent que le body shaming n'est pas sans incidences sur la santé des femmes. C'est ce que démontre le site d'informations d'ABC Life. L'explication n'est pas sans pertinence : lorsque notre corps nous fait honte, rien ne nous incite à "l'explorer" et à le comprendre. A le chérir, en somme. Or, l'ignorer est la première étape vers un mauvais suivi de sa propre santé, une mauvaise observation de nos soucis organiques éventuels et une ignorance plutôt néfaste de nos besoins. Des conséquences qui alertent les médecins.
Et parmi eux, le Dr Boerma. Au média américain, il explique que certaines de ses patientes ne peuvent envisager leur sexualité et leur corps autrement que sous un angle essentiellement négatif ou secret. Et cela ne les encourage pas, bien au contraire, à se poser des questions "lorsque quelque chose semble anormal" dans leur organisme. Les raisons de cette insuffisance, il faut les chercher loin, jusque dans l'enfance. Dès le plus jeune âge, affirme la gynécologue Elizabeth Farrell à ABC, "les femmes sont culturellement élevées pour ne pas parler des" problèmes des femmes ", y compris leurs règles, la douleur et le sexe". Ce body shaming fait de l'intimité des femmes un véritable tabou - des menstruations aux rapports sexuels.
Résultat ? Nombreuses sont les patientes à retarder ou ignorer les examens médicaux. Comme les dépistages du cancer, pourtant primordiaux. Une conséquence dramatique pour le Dr Boerma, qui note que la plupart des cas de cancer du col utérin en état avancé qu'il a pu observer "sont des femmes qui n'ont pas eu de dépistage". Mais cette honte mine la santé de bien d'autres manières. Au quotidien, Elizabeth Farrell constate que les femmes qui lui rendent visite font parfois montre "d'un manque de confiance en soi" qui les empêche de "parler de leurs problèmes avec leur médecin". Parfois, elles éprouvent même une gêne durant la consultation. En disant "je ne me suis pas rasée, je ne me suis pas lavée" à leur médecin par exemple, déplore le Dr Boerma. Derrière cette réflexion se dévoile une anxiété pathologique, nourrie "de détresse et d'inconfort", déplore le Dr Boerma, concernant tout ce qui a trait "à l'apparence et à l'odeur de leurs organes génitaux".
Le regard sévère porté sur le corps est source d'angoisse. Et la honte est l'ennemie du soin : elle n'incite pas à écouter notre organisme. Au contraire, elle dévoile bien souvent "un manque de familiarité avec notre anatomie", décrypte le médecin. Selon ABC, une enquête britannique menée auprès de 1 000 femmes a ainsi révélé que 44% d'entre elles étaient incapables "d'identifier le vagin sur une illustration médicale de l'appareil reproducteur féminin". Ce qui ne rend que plus difficiles les conversations à ce sujet.
Mais le body shaming ne fait pas que rendre "tabous" les choses, il en normalise certaines - et pas les meilleures d'entre elles. La culture patriarcale à laquelle il renvoie est encore celle, constate le médecin, qui fait croire aux femmes que certaines douleurs liées à leur appareil génital sont banales et ne méritent aucun traitement - sous prétexte qu'il serait commun pour une femme de souffrir et qu'il faut "souffrir pour être belle". Or, insiste le gynécologue et obstétricien Jason Chow, il faut rappeler que "ce n'est pas parce que c'est commun que c'est normal". Et que, sans traitement ou connaissance de traitement, "les choses ne s'améliorent pas".
Pour qu'elles s'améliorent justement, par-delà l'importance du dialogue entre un médecin (bienveillant) et sa patiente, il faudrait renverser pour de bon cette honte du corps. A l'heure où celle-ci se confronte à une "positivité" réjouissante, il est grand temps de mettre à mal tabous et préjugés. Ce n'est pas qu'une question de société, non : c'est une question de santé.