Colombie : des femmes aveugles formées pour détecter des cancers du sein

Publié le Jeudi 04 Janvier 2018
Léa Drouelle
Par Léa Drouelle Journaliste
Avec 7000 nouveaux cas chaque année et 2500 décès, le cancer du sein est la pathologie la plus répandue en Colombie.
Avec 7000 nouveaux cas chaque année et 2500 décès, le cancer du sein est la pathologie la plus répandue en Colombie.
Déjà plus de deux ans que le projet "Mains qui sauvent des vies" a vu le jour en Colombie. Dans un hôpital de Cali, des femmes qui ont perdu la vue sont formées pour dépister le cancer du sein. Une méthode efficace qui permet de combattre les préjugés sur le handicap de la cécité et d'offrir un emploi à ces femmes.
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À l'hôpital de San Juan de Dios, dans la ville de Cali (Colombie), un service emploie cinq femmes non ou malvoyantes, en charge de détecter les cancers du sein. Mais leur méthode est un peu spéciale. Ici, pas d'appareil à rayon X. Leurs uniques outils pour repérer les nodules sont leurs doigts de fée et leur sens du toucher particulièrement développé. On les appelle "les auxiliaires d'examens tactiles". "Les personnes atteintes d'un handicap visuel ont une sensibilité accrue, un sens du toucher développé qui leur permet de mieux distinguer les éléments" permettant un diagnostic, a déclaré à l'AFP le chirurgien Luis Alberto Olave, coordinateur du programme "Mains qui sauvent des vies".

Développée par le médecin allemand Frank Hoffmann et appliquée en Allemagne et en Autriche depuis une dizaine d'années, cette technique de dépistage a été encouragée en Colombie grâce au soutien de la banque de développement qui a accepté de financer une partie du projet "Mains qui sauvent la vie". Privées de la vue depuis plusieurs années, les auxiliaires d'examen tactile de l'hôpital San Juan de Dios sont âgées entre 25 et 35 ans. Seule condition pour prétendre au poste : ne présenter aucun trouble vasculaire ou neurologique, de manière à ce que cela n'interfère pas avec leur sensibilité tactile.

En l'espace de deux ans, ces femmes ont sauvé la vie de plus de 900 patientes. "Nous combattons un préjugé selon lequel parce que nous avons un handicap nous ne pouvons penser ou être autonomes", souligne, Francia, 35 ans, aveugle depuis l'âge de sept ans et membre de l'équipe des "mains salvatrices".

"Leur toucher est si précis"

D'après les responsables du programme "Mains qui sauvent des vies", l'examen tactile présenterait même de meilleurs résultats que les méthodes classiques de dépistage. "L'examen clinique qu'elles réalisent est plus élaboré, dure plus longtemps. Cela génère chez les patientes une sensation de confort qu'elles n'avaient pas avec un médecin traditionnel", explique le Dr Olave. En principe, une femme peut détecter elle-même des tumeurs grosses de 15 à 20mm en se palpant la poitrine, tandis qu'un médecin peut en repérer des plus petites, d'environ 10mm.

En comparaison, les auxiliaires d'examen tactile sont capables de repérer des nodules mesurant 8mm. Lorsqu'elles décèlent une masse anormale dans la poitrine d'une femme, elle le signalent au médecin, qui va ensuite déterminer si des analyses plus approfondies sont nécessaires. "Leur toucher est si précis. En réalité, je suis épatée parce qu'elles font preuve d'un grand professionnalisme", témoigne une patiente de 42 ans après s'être faite auscultée par l'une d'entre elles.

Cancer du sein : 2 500 décès par an en Colombie

Avant de se former à cette méthode de diagnostic, Francia était sans emploi, à l'instar de 62 % des 500 000 handicapés visuels en Colombie, soit sept fois plus que la moyenne de la population dans ce pays de 48 millions d'habitants. "Dans des pays en développement, dont l'accès aux technologies de diagnostic est parfois limité, l'examen manuel revêt une grande importance", estime le Dr Olave, qui considère ce projet comme une source d'emploi pour les non et mal-voyants du pays. Ce dernier espère étendre ce dispositif en commençant une nouvelle formation dès le premier trimestre 2018.

Avec 7 000 nouveaux cas et 2 500 décès chaque année, le cancer du sein est la pathologie la plus répandue en Colombie.