Cancer et féminité : quand se faire belle devient thérapeutique

Publié le Lundi 16 Mars 2015
Adèle Bréau
Par Adèle Bréau Ex-directrice de Terrafemina
Ex-directrice de Terrafemina, je suis aussi auteure chez J.-C. Lattès, twitta frénétique, télévore, bouquinophile et mère happy mais souvent en galère.
L'onco-esthétique, une interface entre la société et les malades du cancer
L'onco-esthétique, une interface entre la société et les malades du cancer
La semaine nationale de lutte contre le cancer est l'occasion de faire avancer la cause, de partager son expérience, de faire le point sur les extraordinaires avancées scientifiques mais aussi de pointer du doigt les progrès qui restent à faire. Car si les traitements liés au cancer sont pris en charge à 100% en France, certains soins, dits "de confort", restent encore à la charge du malade, malgré les vertus indéniables de ceux-ci en particulier pour les femmes.
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Selon les derniers sondages, les problèmes d'argent associés au cancer inquiètent 62% des Français, lesquels se disent néanmoins plus confiants quant aux chances d'en guérir. Aujourd'hui, un homme sur deux et une femme sur trois se verra diagnostiquer un cancer avant 85 ans. Nous avons tous, dans notre entourage, un proche qui a ou a eu un cancer et savons que, si celui-ci est entièrement pris en charge par la sécurité sociale, tout ce qui "vient autour" coûte cher au malade déjà affaibli par les soins qui lui sont prodigués. Que représentent ces dépassements, et quelle importance ont-ils dans la vie des patients ?

Dépassements d'honoraires et soins de support

Céline Lis-Raoux, fondatrice du magazine Rose, féminin haut de gamme qui s'adresse aux femmes atteintes de cancer, a connu la maladie avant de s'investir totalement dans le bien-être de toutes celles qui doivent supporter l'épreuve des traitements et leurs effets secondaires. " Avec l'aide de l'Afssos , elle oriente les malades vers ce qu'on appelle les soins de support : acuponcture, homéopathie, kiné, sports... et grâce auxquels on tente d'adoucir la douleur.

Pourtant, si certains hôpitaux disposent aujourd'hui de services dédiés à ces soins, beaucoup en sont encore dépourvus et trouver un praticien qui n'applique pas de dépassements d'honoraires s'avère souvent tâche ardue. Au-delà de ces dépenses imprévues mais indispensables, elle pointe du doigt le phénomène classique qui survient lorsqu'un actif tombe malade : "Souvent, le traitement est suivi d'un arrêt maladie. Les examens sont à avancer, et coûtent cher. On parle de ceux qui sont en CDI mais tous les autres, la grande majorité, qui ne peuvent plus travailler parce qu'ils sont malades. Comment font-ils ?"

Est-ce à dire que les effets secondaires ne peuvent être pris en charge correctement que par les riches ? Il y a de cela. En particulier lorsqu'on touche à ce qui peut paraître le plus " futile ".

L'onco-esthétique ou l'importance de l'estime de soi

Lucia Hiraci, présidente de l'association "Joséphine pour la beauté des femmes" qui prodigue des soins estéhtiques aux femmes démunies, suit depuis des années des clientes avant, pendant et après leur chimiothérapie. "En anticipation de la chimio, elles viennent se faire couper les cheveux. On ne rase pas, je n'aime pas ce mot. On fait une jolie coupe, afin d'éviter le traumatisme d'une chute violente sur cheveux longs", raconte-t-elle. Puis, si elles en ont envie, celles-ci reviennent ensuite pour que Lucia leur pose une perruque retaillée, désaipaissie et adaptée à leur visage.

"Il faut alléger tous ces soucis qui sont liés à l'apparence", dit-elle, insistant sur ces douleurs liées à la féminité qui font suite aux traitements et dont on parle trop peu. "Je suis convaincue que si toutes les femmes bénéficiaient de ces soins dits de confort comme par exemple le tatouage avant la chute des sourcils ou les rajouts permanents des cils - parce que l'oeil se vide – ou puisse s'acheter un soutien-gorge pour y mettre une prothèse dedans, bref tout ce qu'il y a autour de la maladie et est très lourd, très cher, elles gagneraient en tranquillité pour ne plus se consacrer qu'à leur combat, ce qui est bien assez."

Céline Lis Raoux tempère, rappelant qu'être malade du cancer en France est "une chance". "Aux Etats-Unis, quelqu'un qui a un cancer vend sa maison ! Quand à la mammographie, elle coûte 500 euros et n'est pas remboursée du tout." Cependant, elle aussi pense que l'onco-esthétique a des vertus thérapeutiques indéniables, qui propose à ses lectrices nombre d'articles consacrés au paraître, et travaille main dans la main avec la Fondation L'Oréal, très investie dans cette aide aux malades. "Les femmes atteintes de cancer sont hyper fragilisées. On a tendance à se laisser aller. Parce qu'on est crevées, qu'on n'a pas la force. L'image que nous renvoie la glace est parfois celle d'une morte-vivante. On n'a plus ni sourcils, ni cils, ni ongles. Et parce que les traitements abiment fortement la peau, l'onco-esthétique apprend aussi à préparer l'après. Et préparer l'après, c'est se dire qu'il y a un après, de manière très simple. "

Préparer l'après

L'onco-esthétique a aussi un rôle dans la "réinsertion" des malades, puisque parvenir à vaincre le regard des autres aide à ne pas perdre le contact avec la société. "Apprendre à dessiner un sourcil ou se mettre un joli truc sur la tête si on ne veut pas avoir de perruque, ou qu'on n'a pas les moyens ou qu'on n'aime pas le perruques, c'est ne pas avoir honte de sortir dans la rue", explique Céline Lis-Raoux, ajoutant que "les soins onco-esthétiques sont l'interface entre la société et nous".

Mais pour elle, le vrai combat est ailleurs, dans le sas du ministère de l'économie qui tarde à rendre son avis sur le plan cancer 3. La loi principale ? Celle du droit à l'oubli, dont on parle tant, et dont 79% des Français considèrent qu'elle est une injustice. Car quelle chance auraient les malades de réintégrer le joyeux train-train de leur existence d'avant la maladie lorsque, guéris, ils se voient refuser tout prêt par les banques, et une couverture décente par les assureurs ?

Le grand combat de demain reste de permettre aux malades d'aujourd'hui, qui seront les guéris de demain (aujourd'hui, on soigne 60% des patients), de reprendre leur place dans la société en n'ayant pas de discrimination à l'emploi ni au prêt. Association, fondations, médecins, onco-esthéticiennes, kinésithérapeutes, acuponcteurs et bénévoles s'emploient à rendre l'épreuve de la maladie plus tolérable, et l'après chaque jour plus envisageable. Reste à l'ensemble des acteurs de cet "après" à envisager enfin la réalité des chiffres de cette maladie qui n'arrive pas qu'aux autres et dont on ne meurt plus fatalement.

Depuis ce 17 mars, le projet de loi santé est discuté à l'Assemblée, et son amendement sur le droit à l'oubli devrait y être présenté si aucun n'accord n'a été trouvé d'ici là avec les assureurs. Pour qu'enfin cette réalité soit actée par tous : "Je suis guéri".