Ce pays recommande aux touristes de ne pas porter de jupes

Publié le Mardi 30 Août 2016
Hélène Musca
Par Hélène Musca Rédacteur
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L'Inde demande aux touristes de ne plus porter de jupes
L'Inde demande aux touristes de ne plus porter de jupes
Il n'y a pas qu'en France que les hommes polémiquent sur la manière dont les femmes doivent s'habiller : le ministre du Tourisme indien vient de recommander aux touristes d'abandonner leurs jupes et leurs tenues légères. Retour sur un dérapage qui révèle l'ampleur du problème de violences contre les femmes en Inde.
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Les splendeurs du Taj Mahal, Varanasi, Goa... et plus de 40 000 viols par an (chiffres officiels de 2014) : voilà ce que l'Inde a à offrir à ses touristes. Alors que l'Inde est gangrenée par la violence contre les femmes, le ministre du Tourisme du pays a recommandé aux femmes qui venaient dans son pays d'abandonner leurs jupes et autres vêtements taxés de "provocants".

"La culture indienne est différente de la culture occidentale"

Comme le rapporte The Guardian, Mahesh Sharma a déclaré le 28 août : "Pour leur propre sécurité, les femmes étrangères qui font du tourisme en Inde ne devraient pas porter de robes courtes ou de jupes... La culture indienne est différente de la culture occidentale". Il a délivré ce "conseil" lors d'une discussion sur le kit de bienvenue que le ministère du tourisme va distribuer aux nouveaux arrivants, une sorte de compilations des "Do & Don't" du pays. On peut y lire : "Les femmes ne devraient pas se promener seules la nuit, ou porter des jupes, et elles devraient photographier la plaque d'immatriculation du véhicule à chaque fois qu'elles prennent un taxi et l'envoyer à des amis".

Autrement dit, pour ne pas se faire attaquer en Inde, où l'on recense 93 agressions sexuelles par jour selon le National Crime Records Bureau, les touristes seraient priées d'arrêter la "provoc'" : une manière bien audacieuse de botter en touche, alors que comme le rappelle Slate, le tourisme ne cesse de décliner depuis 2012 à cause des violences sexuelles. Et bien entendu, les touristes ne sont pas épargnées.

Tourisme : des cas d'agressions fréquentes en Inde

Une marche de soutien à la nonne de 71 ans violée par 7 Indiens en mars 2015
Une marche de soutien à la nonne de 71 ans violée par 7 Indiens en mars 2015

En effet, voyager seule en Inde est devenu extrêmement compliqué. Et tout comme le fait d'aller dîner en ville ou de sortir boire un verre, porter une robe serait considéré une incitation au viol, comme le démontrent de nombreux commentaires d'hommes politiques indiens au sujet d'agressions sexuelles de touristes. Un ancien chef de l'exécutif de l'Etat de l'Uttar Pradesh State, Mulayam Singh, avait notamment déclenché une vague d'indignation en 2014 en déclarant à propos de cas de viols qu'il fallait bien "que la jeunesse se passe" et que "les hommes seront toujours des hommes".

Pour ne citer que quelques exemples, en 2014, une Danoise avait été violée par cinq hommes ; un an après, c'est une Américaine qui se promenait sur un marché a été enlevée et violée par deux Indiens. Dans le même mois, une Japonaise est droguée et violée par trois hommes, tandis qu'en novembre 2015, une touriste russe a été attaquée par le fils de son hôte, qui lui a jeté de l'acide au visage pendant qu'elle dormait.

Il est donc difficile de nier l'immense problème qu'est devenue la sécurité des femmes en Inde, que ce soit dans le cadre du tourisme ou non. Mais pourtant, le gouvernement indien semble s'évertuer à contourner le problème en en rejetant la faute sur les victimes.

L'Inde, pays de Bollywood... et du sexisme

Des affiches placardés sur le mémorial de la victime du viol et du meurtre de 2012 à New Delhi
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Les consignes de sécurité du ministre Mahesh Sharma ne sont qu'un exemple de plus de l'absence d'efforts fournis pour traiter le sujet du viol sur le fond, et pas seulement sur sa forme. Face au tollé général qu'a provoqué sa déclaration, le ministre s'est empressé de se rétracter, en arguant que l'interdiction n'était valable que pour les lieux religieux : "J'ai deux filles, je ne dirais jamais à une femme ce qu'elle peut porter ou non", a-t-il déclaré à l'antenne de la chaîne locale NDTV. Des explications hâtives qui ont laissé l'opinion publique sceptique, d'autant plus que la recommandation vestimentaire figurera bien sur le kit de bienvenue des touristes.

"L'Inde est une société atrocement patriarcale", a expliqué Jayati Ghosh, un professeur d'économie à l'Université de Jawaharlal Nehru au site MIC . "Alors que les films, la télévision et les publicités sont incroyablement éloignés de la culture traditionnelle –et bien que les femmes deviennent des membres de plus en plus actifs dans la société indienne-, le problème ne cesse de s'aggraver".

Et le résoudre ne sera pas évident. Il n'est pas seulement question de limiter les risques en s'adaptant à une norme culturelle : le rejet de la faute sur les jupes des femmes trahit le véritable problème de l'Inde, qui préfère blâmer les victimes plutôt que de punir les coupables, et incriminer des vêtements plutôt que la mentalité sexiste et violente dans laquelle sont éduqués les hommes. Entre les femmes que l'on veut dévêtir en France et celles qu'il faut rhabiller en Inde, il serait peut-être temps pour ces messieurs de déserter une bonne fois pour toutes le vestiaire féminin.