Durée de l'allaitement : qu'est-ce qui stoppe les Françaises ?

Publié le Jeudi 24 Septembre 2015
Ariane Hermelin
Par Ariane Hermelin Journaliste Terrafemina
Journaliste société passée par le documentaire et les débats en ligne sur feu Newsring.fr.
Une nouvelle étude sur l'allaitement en France
Une nouvelle étude sur l'allaitement en France
Une nouvelle étude sur l'allaitement en France a été publiée le 22 septembre. S'appuyant sur des données collectée en 2011 sur plus de 18000 bébés français, cette enquête de grande ampleur tente de comprendre pourquoi les Françaises allaitent moins longtemps que les autres Européennes. Mais omet de se pencher sur les difficultés que les femmes rencontrent pour concilier allaitement et travail.
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Quatre mois, c'était la durée médiane totale de l'allaitement en 2011 en France. Soit moins que ce que préconise l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Une nouvelle étude parue mardi 22 septembre se penche sur cette spécificité française : alors qu'une majorité de mères (près de 70%) entame un allaitement naturel à la naissance de leur enfant, la proportion des femmes allaitantes chute à 53,8% un mois après. Et après six mois, durée de l'allaitement maternel exclusif recommandée par l'OMS, moins d'un enfant sur cinq est encore nourri au sein. A titre de comparaison, l'allaitement reste le mode d'alimentation principal à 3-4 mois en Allemagne et en Italie, comme le rappelle Libération.

L'étude publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire se penche sur les facteurs tous les facteurs socio-culturels, démographiques et économiques qui pourraient avoir un lien avec la durée de l'allaitement en France : âge, statut social, mais aussi d'autres facteurs plus inattendus.

On y découvre ainsi que l'image du corps et la place du père, entre autres, jouent un rôle non négligeable dans la manière dont les femmes perçoivent l'allaitement. On observe ainsi que si le père n'est pas présent à l'accouchement la durée de l'allaitement sera plus courte.

Interviewée par Terrafemina, Audrey*, mère de deux enfants, cite de son côté l'héritage maternel comme facteur prépondérant : "Je ne me suis jamais posée la question de l'allaitement, pour moi c'était non, et je l'ai très bien vécu. Je pense que le fait que ma mère ne m'ait pas allaitée a joué un rôle. Elle m'a toujours dit que le lait en poudre était beaucoup plus simple, et j'ai grandi avec cette notion, qui s'est imprimée en moi". Autre facteur de poids : le féminisme. Pour cette entrepreneuse qui a toujours souhaité avoir des enfants, "allaiter avait quelque chose d'anti-féministe, quelque chose d'aliénant et de très animal".

Un témoignage qui va dans le sens de l'analyse de la chercheuse en sociologie Maya-Merida Paltineau, pour laquelle le féminisme à la française a longtemps joué en effet un rôle dans la perception de l'allaitement : "L'allaitement a longtemps été mal vu en France, car il était perçu comme avilissant du point de vue du droit des femmes", déclare-t-elle au Monde.

Des difficultés de concilier travail et allaitement

Fait étonnant, l'étude publiée mardi ne s'attarde guère sur la reprise du travail, alors qu'elle observe par ailleurs que parmi les 70% de mères ayant initié un allaitement, la moyenne de durée d'allaitement [est] de 17 semaines et celle de l'allaitement prédominant [est] de 7 semaines". Par ailleurs, on observe un décrochage six semaines après l'accouchement. Tous ces chiffres suggèrent que les femmes peinent dans leur majorité à concilier allaitement et retour au bureau.

Pour Mathilde, par exemple, qui décrit son expérience de l'allaitement comme "très bonne", il n'a ainsi jamais été question d'allaiter après être retournée travailler. "A moins de travailler de chez soi, ou en horaires adaptés, il me semble inenvisageable de travailler à plein temps en entreprise tout en continuant à allaiter jusqu'à 6 mois. Quant à tirer des kilomètres de lait matin et soir harnachée à la machine alors qu'on est déjà crevée par les nuits et la reprise du travail, ça me semble très tyrannique d'attendre ça des mères qui travaillent.", explique-t-elle à Terrafemina. Alors que la loi française autorise les femmes soit à allaiter sur leur lieu de travail, soit à tirer leur lait, cette journaliste qualifie les salles que toute entreprise est censée mettre à disposition des mères allaitantes de "légendes urbaines".

Même son de cloche pour Magali, qui juge "quasi-impossible" de concilier allaitement et reprise du travail. Cette consultante en finance a pourtant souhaité continuer d'allaiter sa fille malgré la reprise du travail. "J'ai investi dans un tire-lait afin de pouvoir prolonger mon allaitement en faisant des réserves et en alternant avec les tétées. Mais j'avais l'impression d'être une vache laitière, ce ne fut pas une expérience très agréable." Magali a finalement dû arrêter quand son lait s'est tari alors que sa fille était âgée de cinq mois. "J'ai été triste de devoir arrêter car j'étais prête à continuer pendant au moins un an mais le retour au travail a eu raison de mon allaitement", déclare-t-elle.

Si on ne peut tirer de ces deux témoignages de règle générale, ils montrent cependant à quel point il est compliqué pour les femmes de continuer à allaiter une fois qu'elles ont repris le chemin du travail. Et disent à quel point il est urgent d'étudier, chiffres à l'appui, comment la fin du congé postnatal porte un coup d'arrêt à l'allaitement, plutôt que de culpabiliser les femmes.

(Note : Les prénoms ont été modifiés)