Le boom de l'éducation "theybies" pour contrer les stéréotypes de genre

Publié le Lundi 23 Juillet 2018
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
L'éducation neutre
L'éducation neutre
Des parents ont décidé de s'affranchir du genre et de ne pas dévoiler le sexe de leur bébé pour leur éviter de grandir dans un monde de stéréotypes de genre. Aux Etats-Unis, on appelle ces enfants les "theybies"
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Face au sexisme et aux stéréotypes de genre, la solution se serait-elle pas de ne pas dévoiler le sexe des ses enfants pendant la grossesse mais également après leur naissance ? C'est ce que pense une petite communauté de parents. Pour eux, ne pas désigner le genre de leur enfant permet de ne pas les enfermer dans les stéréotypes qui en découlent. A la naissance, les parties génitales du bébé permettent de lui assigner un sexe, le genre est lui une construction sociale.

Ces bébés sont appelés "theybies" aux États-Unis, de la contraction du pronom they et de la terminaison du mot babies. Ces enfants sont désignés par leur prénom mais aussi par les pronoms "they", "them" ou "their", des formes neutres qui n'existent pas en Français et qu'on pourrait traduire par ils·elles, eux·elles et leur. Les "theybies" sont identifié·e·s de la sorte, même au singulier plutôt que par les mots "il" ou "elle", basés sur leur anatomie. Ceux qui élèvent ces enfant "theybies" s'appellent eux-mêmes des "gender creative parents."

Sur leur blog, les parents de Zoomer racontent la vie de leur "theyby" de deux ans et les cas pratiques auxquels ils sont confrontés. Ils partagent leur expérience en matière d'habillement, de biais de genre par exemple ou racontent comment ils sont mis au pied du mur quand il s'agit de papiers médicaux ou administratifs.

Des stéréotypes de genre qui enferment les enfants avant la naissance

Ils décrivent par exemple la naissance de Zoomer. A l'hôpital, les garçons ont une fiche d'informations bleue et les filles une fiche rose. Mais rien d'autre n'est prévu, par exemple pour les bébés nés intersexués. Le bébé aura donc une couleur genrée dès la naissance. Pour expliquer leur démarche, les parents de Zoomer racontent sur leur blog : "Est-ce que vous auriez des fiches d'informations ségréguées par race ? Des fiches pour les bébés noirs et des fiches pour les bébés blancs ? Non, cela serait insensé." Ils décrivent leurs déboires avec les compagnies aériennes, les impôts ou la crèche. Pour eux, il n'est pas grave de répondre à la question du "sexe" de leur enfant quand ils sont obligés de le faire pour des raisons médicales par exemple, mais plutôt embarrassant de cocher la case du "genre".

Et c'est un fait, les enfants sont assignés dans des stéréotypes de genre même avant la naissance. Dans l'achat des vêtements, du mobilier ou des jouets, par les parents eux-mêmes ou par l'entourage.

La démarche des "gender creative parents" en rappelle une autre. Celle de Clare O'Reilly, une Anglaise de 39 ans et mère d'une petite Annie, 7 ans. Elle a décidé de ne jamais dire à sa fille qu'elle était jolie. Dans sa démarche, elle est partie du constat que dès la naissance, sa fille était traitée différemment de ses deux frères aînés : "Dès le début, j'ai constaté que les gens traitaient Annie différemment que mes deux garçons [...] Pas moins d'une minute après sa naissance, les sages-femmes l'appelaient déjà "ma belle", contrairement à mes fils, qui eux étaient plutôt félicités pour leur corps 'fort et robuste'", explique la maman au Daily Mail.

Permettre aux enfants de s'épanouir dans tous les domaines

Selon NBC News qui cite le livre The Handbook of Parenting qui compile de nombreuses études sur les enfants, "Les parents vont plus expliquer les chiffres à leurs garçons et utiliser des mots basés sur les émotions avec leurs filles [...] Les parents ont également tendance à encourager l'agressivité chez les garçons et les émotions chez les filles". Élever ses enfants sans les assigner dans un genre leur permettrait ainsi de s'épanouir dans tous les domaines, au-delà de ceux qui leur sont assignés par les stéréotypes. Certains parents expliquent ainsi à ceux et celles qui les critiquent qu'élever des enfants sans assignation de genre n'est pas vouloir rendre les filles et les garçons identiques, mais vouloir qu'ils aient les mêmes opportunités.

NBC News rapporte ainsi l'expérience de deux autres parents, Nate et Julia, tous les deux ingénieurs. Ces "Gender creative parents" de deux bébés de trois ans, racontent que leur plus grande difficulté fut de le faire accepter à leurs collègues. On leur demandait : "Tu ne vas pas me dire ce que sont tes enfants ?". Ce à quoi Julia répond : "Je te dis que ce sont des enfants." Mais elle ajoute : "Ils et elles étaient très frustré·e·s que je ne leur révèle pas le sexe, ce qui est très étrange quand on y pense". Comme le rappelle le site, les enfants n'ont conscience de la différence entre les sexes et de ce qu'ils sont que vers l'âge de quatre ans et qu'avant, les bébés garçons ou filles n'ont que très peu de différences à part celles qu'on leur assigne.

En Suède, pays très avancé sur l'égalité, le pronom neutre "hen" est de plus en plus utilisé pour désigner les enfants. Ce mot est employé pour dire à la fois il et elle. Comme le rapporte le Huffington Post, dans ce pays, les crèches et les écoles ont à leur disposition des livres où le genre de la personne principale de l'ouvrage n'est pas précisée et où l'on bannit les histoires de princesses naïves sauvées par leur preux chevalier.

En France, nous en sommes encore à un débat de langue. Le neutre n'existe pas et on apprend aux enfants que "le masculin l'emporte sur le féminin". Le débat sur la différence entre sexe et genre est aussi enflammé.


Pour les rares "theybies", le parcours d'obstacles ne s'arrête pas au terrain de jeu du parc ou à l'acceptation des proches. Un jour, ces enfants devront entrer à l'école et affronter leurs camarades et le corps enseignant ou la société quand leur parents les éduquent à domicile pour les protéger. Le recul sur ce type d'éducation n'est malheureusement pas encore assez grand pour en tirer encore des conclusions.