Élise Gravel, l'illustratrice jeunesse qui dézingue les stéréotypes sexistes

Publié le Vendredi 19 Janvier 2018
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
Elise Gravel, l'illustratrice pour enfants qui dézingue les stéréotypes sexistes
Elise Gravel, l'illustratrice pour enfants qui dézingue les stéréotypes sexistes
L'illustratrice québécoise Élise Gravel met gratuitement à disposition sur son blog des affichettes qui tordent le cou aux stéréotypes sexistes sur ce que peuvent ou non faire les petites filles et les petits garçons. Nous l'avons interviewée.
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Qui a dit que les petites filles ne pouvaient pas aimer le foot, se salir, être bruyantes ? Et que les petits garçons n'avaient pas le droit d'aimer rêvasser, de pleurer ou d'être coquets ?

Certainement pas Élise Gravel. Auteure et illustratrice de livres jeunesse, cette Québécoise, par ailleurs maman de deux enfants, a décidé d'utiliser ses dessins espiègles et vifs au service d'une noble cause : déconstruire les stéréotypes sexistes qui enferment les petites filles et les petits garçons dans des rôles dans lesquels ils ne sont pas toujours très à l'aise.

Lundi 15 janvier, l'illustratrice a posté sur Facebook l'affichette "Un garçon peut être". L'objectif ? Faire prendre conscience aux enfants et à leurs parents que ce n'était en aucun cas à la société de leur dicter leur comportement ou tempérament. Qu'on pouvait très bien être un garçon et oser pleurer, être créatif, prendre soin des autres, être doux ou affectueux.

Le 11 octobre dernier, à l'occasion de la Journée internationale des Filles, Élise Gravel avait déjà partagé avec ses fans la version féminine de l'affichette, où l'on découvrait une fillette tour à tour "bruyante", "sale", "grognonne", "meneuse" ou "ridicule".

"Les garçons et les filles peuvent être bien plus de choses que ce que j'ai mis sur ce dessin, commente Élise Gravel pour le Huffington Post. Je vous encourage à faire faire leur propre affiche aux enfants en y ajoutant ce qu'ils ont envie d'être."

Comme la dessinatrice Emma dont les histoires sont disponibles gratuitement sur son blog avant d'être publiées, Élise Gravel a décidé de laisser en libre accès ses dessins afin que parents et professeurs puissent les télécharger pour les afficher dans les chambres de leurs enfants ou dans leur salle de classe. Ce n'est pas nouveau : sur son Internet, l'illustratrice a aussi mis à disposition gratuitement son livre Tu peux, dans lequel elle mettait déjà à mal les stéréotypes de genre.

Engagée et féministe, Élise Gravel utilise aussi régulièrement son coup de crayon pour inculquer aux enfants des notions qui lui tiennent à coeur : l'amitié, la tolérance, le respect ou encore le consentement, auquel elle a consacré une BD très instructive. Ses petits portraits de femmes scientifiques à destination des petites filles est aussi téléchargeable gratuitement.

À l'occasion de la sortie de l'affichette "Un garçon peut être", nous lui avons posé quelques questions sur son travail.

Il y a trois mois, vous aviez publié à l'occasion de la Journée internationale des Fille l'affichette "Une fille peut être". Vous avez aussi réalisé son pendant pour les garçons, "Un garçon peut être". Pourquoi ?

Élise Gravel : Je suis mère de deux filles. Quand j'ai fait la première illustration, j'avais envie de dire à mes filles (et à toutes les autres) que ce que la société leur envoyait comme message, ce n'était pas vrai; qu'elles n'étaient pas obligées, en tant que filles, d'être toujours douces, discrètes, bien mises, tranquilles, et qu'elles avaient le droit, comme les garçons, d'être en colère, de s'exprimer fort, de se salir en jouant, de mener le jeu, etc. La réaction a été plus qu'enthousiaste, et rapidement, on m'a demandé de faire une version pour les garçons.

Pensez-vous que les stéréotypes sexistes sont encore trop présents encore aujourd'hui dans notre façon d'éduquer les filles et les garçons ? À quoi est-ce dû selon vous ?

Oui, je le crois. Je vis dans une société très ouverte et progressiste. Je suis féministe et j'ai élevé mes filles en leur partageant mes valeurs, et je les vois quand même revenir à la maison avec des idées que je trouve aberrantes. Elles utilisent encore parfois, sans s'en rendre compte, des expressions comme "c'est un livre pour les garçons" ou "Mathias est comme une fille, il joue à la poupée". Si mes enfants sont perméables à ce genre d'idées, il est certain que des tas d'enfants le sont beaucoup plus. Ces vieilles conceptions sur la féminité et la masculinité ont la couenne dure!

Pour déconstruire les stéréotypes de genre qui enferment les enfants dans des cases, vous avez également créé Tu Peux. Est-ce important aujourd'hui de se mobiliser contre les clichés sexistes ?

C'est important pour moi, en tout cas; et si j'en juge par le nombre de téléchargement que le livre a eus depuis sa publication, ça semble être important pour de très nombreux parents. Bien des enseignants m'ont dit que ça les avait beaucoup aidés avec des groupes d'enfants très "formatés". Ce message, qui semble aller de soi pour moi, n'est visiblement pas si évident pour certains enfants.

Quels retours avez-vous eu sur les deux affichettes ? Avez-vous le sentiment que ce type de dessin a une résonance aujourd'hui qu'ils n'avaient pas il y a encore quelques années ?

J'ai eu d'excellents retours ! Les affiches et le livre ont été téléchargées et imprimées des centaines de milliers de fois, et je ne peux plus répondre individuellement aux remerciements des parents et enseignants qui m'écrivent. Évidemment, je reçois certaines critiques aussi, des gens qui me disent que j'aurais dû faire ça comme ci ou comme ça, ou que j'oublie des trucs, mais c'est peut-être 0,5% des commentaires que je reçois. Je leur réponds que je n'ai pas le monopole de la création d'affiches gratuites et que, si leurs idées leur tiennent à coeur, ils peuvent bien sûr faire comme moi et créer leur propre message. Je ne réglerai pas cet enjeu toute seule, je ne suis pas parfaite, et j'aimerais beaucoup que d'autres gens mettent la main à la pâte!

Outre vos dessins contre les stéréotypes, vous avez aussi réalisé un dessin mettant à l'honneur des femmes scientifiques, un autre expliquant aux enfants la notion de consentement. L'illustration, notamment l'illustration pour enfants, doit-elle aujourd'hui être militante ?

Bien sûr que non! Il faut que les artistes créent pour le plaisir aussi. J'ai fait ces affiches parce que c'est un message qui me tient à coeur et que j'avais envie de partager, mais c'est personnel. Faire des livres qui font rêver les enfants, qu'ils soient militants ou non, qu'ils soient éducatifs ou non, c'est déjà magique! Je fais des tas de livres et de dessins qui n'ont d'autre but que d'amuser les enfants.

Quels sont vos projets futurs ? Envisagez-vous par exemple une publication en maison d'édition de vos dessins sur les stéréotypes ?

Mon livre Tu Peux sera publié bientôt aux États-Unis et aussi au Québec, en version papier. Mais j'ai aussi des tas de projets qui n'ont rien de militant: je publie bientôt un livre sur la cueillette des champignons, par exemple (j'adore ça!) et un autre sur Olga, une petite fille qui découvre une nouvelle espèce animale. Je viens également de publier La Tribu qui pue, avec Magali Le Huche aux illustrations (aux éditions Les fourmis Rouges en France), et c'est une histoire rigolote sur des enfants qui vivent tout nus dans la forêt.