Une appli pour faire les comptes sur la répartition des tâches ménagères

Publié le Mardi 24 Juillet 2018
Marguerite Nebelsztein
Par Marguerite Nebelsztein Journaliste
Maydée, une appli pour réfléchir aux divisions des tâches
Maydée, une appli pour réfléchir aux divisions des tâches
L'association Maydée veut réfléchir en profondeur sur la division genrée du travail domestique et tente de proposer des solutions pour remédier aux inégalités dans le couple. A la clé : la création d'une application. Entretien avec Julie Hebting, sa fondatrice.
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En 2017, Julie Hebting a fondé Maydée, une association qui a pour but de réfléchir sur la répartition des tâches ménagères. Si tout va bien, une application pour calculer les temps de travaux domestiques dans le couple hétérosexuel sortira d'ici la fin de l'année 2018. Un projet passionnant, mais qui prend beaucoup de temps et qui suscite parfois des résistances. Maydée veut aussi sensibiliser les hommes sur l'importance de leur implication sur le travail domestique et sur l'égalité dans la sphère privée. Aujourd'hui encore, les hommes actifs ne passent en moyenne que 50 minutes avec leurs enfants par jour contre deux heures pour les femmes actives. Les tâches en elles-mêmes sont aussi très genrées. Ainsi, la lessive reste effectuée à 83% par les femmes selon une étude parue en 2018.

En parallèle de cette vie associative très remplie, Julie Hebting travaille chez Emmaüs en tant que responsable de la recyclerie sur Paris et Pantin. En plus d'expliquer sa démarche globale, Julie Hebting nous donne quelques conseils pour que la vie domestique ne se termine pas en enfer du couple.

Julie Hebting, la fondatrice de Maydée
Julie Hebting, la fondatrice de Maydée

Quel est le but de cette application ?

A la fin de la journée, quand on est un parent au foyer et que l'on doit raconter ce qu'on a fait dans la journée, on dit "je ne sais pas". De compter le temps que l'on consacre aux activités domestiques, cela permet de revaloriser ce temps que l'on donne. On dit que c'est de l'amour quand il s'agit de s'occuper des enfants, mais c'est aussi du temps !

J'ai moi-même fait l'expérience avec une application chronomètre qui sert normalement aux freelances à calculer le temps qu'ils et elles passent sur leurs tâches pour leurs client·e·s. J'ai été choquée des résultats.

Où en êtes-vous dans l'avancement de ce projet d'appli ?

L'application Maydée n'est pour l'instant pas complète pour un test. Nous n'avons pas de financements donc c'est une association qui nous aide à coder et nous sommes tous bénévoles. Cela prend plus de temps que prévu. On espère pouvoir la lancer d'ici la fin de l'année.

En attendant, Maydee se veut être un projet plus global. L'appli est juste un outil de diagnostic, cela permet de passer de l'affirmation "j'en fait beaucoup" à un comptage réel. Surtout avec les tâches autour des enfants, le volume devient dense.

Nous nous sommes rapprochés de chercheur·euse·s pour faire correspondre nos catégories avec celle de l'enquête de l'Insee. Cette enquête sur les temps domestiques n'a lieu que tous les dix ou quinze ans [La dernière date de 2010] et ça ne bouge pas trop [72% des tâches sont encore effectuées par les femmes]. L'appli sera un outil en temps réel.

Nous allons aussi lancer des tutos vidéo, nous venons de tourner le premier. En gros, nous voulons développer des petites choses pour réfléchir, se poser des questions sans culpabiliser et pour enclencher le dialogue sur la répartition genrée des tâches. Il faut dédramatiser la question.

Quels sont les obstacles pour l'élaboration de cette application ?

Le mot féminisme cristallise beaucoup de choses et fait peur. J'évite parfois de parler de projet "féministe". C'est difficile mais passionnant, cela touche à l'intime. Les inégalités, on préfère les voir ailleurs, au travail ou dans la rue. Le foyer, on pense que c'est une histoire d'amour mais ce n'est pas que ça. Tout est ciblé sur l'égalité dans la sphère professionnelle où l'on fait du vrai argent. Il y a des hommes qui ne comprennent pas le problèmes. On m'a déjà parlé de mon "projet de ménagère". Il faut s'armer de patience.

Que pensez-vous de la position de la France sur le congé parental ?

Des lois ne suffiront pas. Il y a un combat culturel à mener. Mon conjoint par exemple est sensible au féminisme. Mais pendant mon congé maternité, à la fin de la journée, je me suis vue répondre en lui tendant notre enfant : "Moi, j'ai travaillé". Et pourtant il a un bac+5, il a grandi avec une mère mai 68. Je n'en pouvais plus.

C'est la sphère intime donc il y a quelque chose d'intouchable. Il y a une difficulté à percevoir les inégalités dans le couple. J'aimerais que l'on puisse discuter dans le couple sur qui va s'arrêter. Les deux parents, hommes et femmes, doivent devenir des agents à risques pour les employeurs. Mais on préfère fermer les yeux, d'accepter la situation c'est plus facile. Dans mon couple, il y a eu des discussions musclées, quelques engueulades. Ça a apporté des améliorations mais ça n'a pas été sans à-coups.

A ce propos, est-ce que les tâches ménagères peuvent séparer des couples ?

Les tâches ménagères cristallisent d'autres problèmes qui vont se reporter sur une chaussette qui traîne. Un couple qui se sépare peut ne pas avoir les mêmes normes de vie commune. Cela passe parfois pour un manque de respect.

Quelle place pour les hommes dans cette réflexion ?

Il y a un enjeu inconscient. On voit sans voir, on a des avantages qu'on ne veut pas perdre. On évite la discussion, on est de mauvaise fois. Les femmes font le dos rond. Mais c'est un vrai sujet de tension. Les femmes peuvent se sentir esclave de leur maison. Un matin, je me suis réveillée dans la peau de ma mère ! L'union bascule alors dans la précarité.

J'avais écouté un numéro de l'émission Là-bas si j'y suis sur France Inter qui traitait de la fermeture d'une aciérie. Les ouvriers avaient perdu leur lieu de sociabilisation, ils avaient perdu de leur virilité. Pour se réinventer, il faut que les hommes qui perdent ce statut de travailleurs investissent d'autres sphères. Les filles ont le droit d'être des "garçons manqués", mais un garçon ne peut pas être une "fille manquée". Il faut que les hommes s'investissent plus dans les carrières dites "féminines". Mais cela reste encore un impensé pour les hommes.

Quels conseils donneriez-vous aux couples pour améliorer l'égalité dans la sphère domestique ?

  • Ne jamais préjuger que l'autre sait ce que l'on ressent et ce que l'on attend.
  • Se demander si on se dispute réellement pour des tâches domestiques ou si la dispute ne cristallise pas des choses plus profondes.
  • Pour avoir un échange plus factuel sur le partage ou non-partage des tâches domestiques, je recommande d'analyser ses pratiques. Pour poser ce diagnostic, il faut essayer de noter tout ce que l'on fait pour le foyer (type de tâches, récurrence et temps passé) dans un petit cahier ou Evernote. Cela va permettre de se rendre compte de ce que l'on fait concrètement ou non, d'être plus dans le factuel et moins dans le ressenti. On pourra se poser les questions suivantes : Pourquoi est-ce que je le fais ? C'est un automatisme ? Ai-je trop intégré que c'était mon rôle ? Ai-je demandé à mon / ma partenaire de le faire ? Quel impact cela a sur ma vie ?
    Se poser ces questions et quantifier son investissement évitera les disputes souvent stériles où se rencontrent la mauvaise foi et le pétage de plomb.
  • Définir la norme du "propre" et du "rangé" dans un foyer/couple. On pense à tort que le propre est évident alors que chacun détient sa norme du propre : elle est le fruit d'un héritage familial, d'une culture. Par exemple, si vous demandez à un Japonais ce qu'il pense des WC français, il les trouvera certainement très sales.