On le devine depuis notre rencontre avec le Petit Prince d'Antoine de Saint-Exupéry et son fameux "Dessine-moi un mouton" : le dessin est un langage à part entière, aussi complexe que limpide, qui, à l'instar d'une boîte à secrets, peut révéler bien des richesses. Mais il en est de même de son vernis, cette couche qui lui confère profondeur et textures : le coloriage.
Car oui, la première rencontre avec les crayons de couleur et feutres est une étape importante dans la vie d'un enfant. Elle contribue à son développement, aussi bien physique et psychologique. Tant et si bien que les adultes aussi sont de plus en plus nombreux à aiguiser leurs mines. Il faut dire que l'on aurait tort de mésestimer de telles activités. Des voix expertes nous expliquent pourquoi.
On le devine vite, il y a autant de vertus au coloriage qu'il n'y a de couleurs - ou de feutres étalés sur la table. Des bienfaits intellectuels, déjà. Car lorsque les enfants usent les mines de leurs crayons avec patience, ils aiguisent - plus ou moins consciemment - leur capacité d'attention. De quoi les préparer aux instants de concentration plus rudes inhérents à leurs heures d'école.
Interrogée par Terrafemina, la pédopsychiatre Christine Barois nous explique d'ailleurs que certain·e·s profs ont tendance à faire dessiner leurs élèves en tout début de cours. "Histoire que les enfants se rassemblent et se cadrent spontanément d'eux-mêmes", nous dit-elle. Une discipline qui aurait largement fait ses preuves.
Mais cet épanouissement n'est pas simplement du ressort de la pédagogie bienveillante. Car manier le feutre ou le crayon de couleur leur permet également de muscler la force de leurs mains, une aptitude physique qu'ils renforceront volontiers par la suite avec leurs premières écritures, comme l'énonce le site spécialisé Kids Village.
Le coloriage est donc utile pour l'habilité motrice, la coordination des gestes et la perception globale des choses. Celle des couleurs primaires par exemple, crayons et feutres étant d'excellents moyens pour l'enfant de les différencier. Apprendre tout en s'amusant, en somme. Une recette bien connue.
"De plus, le coloriage est aussi le début de quelque chose. Les enfants s'autorisent à poser une trace, leur trace", poursuit Christine Barois avec enthousiasme. Des traces, comme le sont d'ailleurs les premiers dessins de nos marmots. Selon l'experte, les enfants ont tendance à dessiner des ronds dès leurs trois ans, jusqu'à saisir la forme dite du "dessin du bonhomme" (l'image corporelle schématique) un ou deux ans plus tard seulement.
Leur initiation au coloriage épouse cette évolution progressive : primordiales, ces premières traces sont de l'ordre de "l'infra-langage", c'est-à-dire de la communication non-verbale. Une manière implicite de dire ses émotions aux plus grands, ou de purger les plus négatives. Raison de plus pour recommander cette activité qui apaisera les esprits les plus turbulents.
"Pour les enfants qui n'ont pas encore une relation au langage verbal très développée, c'est très simple de leur apprendre à colorier tout de même, car la consigne est limpide : rester dans la limite. Il y a à travers ce processus tout un aspect structurant", poursuit Christine Barois. Plus précisément, la grande spécificité du coloriage est d'imposer des limites tout en offrant un espace de liberté.
C'est alors aux dessinateurs et dessinatrices en herbe de gérer leur propre zone de création. Tout en leur apprenant le principe des règles à respecter (un concept crucial en société), le cadrage est là pour rassurer l'enfant : c'est une zone de confort. Mais qui ne leur interdit pas pour autant la possibilité (transgressive) de déborder.
Cette liberté "maîtrisée" est synonyme de créativité stimulée et d'expression de soi. Car le choix des formes et des dessins, comme celui des couleurs, fait toujours sens. "Le coloriage est l'occasion pour votre enfant de s'exprimer dans un environnement sûr. Les enfants n'ont pas toujours les mots pour dire exactement ce qu'ils ressentent, mais le coloriage leur permet de le faire sans avoir besoin du vocabulaire", nous explique Kids Village.
La porte ouverte à toutes les interprétations donc. Et cette communication-là est loin d'être anecdotique. Pour le site d'éducation Kids Harbor, la libre expression permet à l'enfant de développer son estime de soi. Une confiance intime accentuée par ce qu'il va décider de colorier - et comment il va le faire. La sélection des crayons et des feutres est, en quelque sorte, l'une de ses premières responsabilités d'enfant déjà plus si petit...
Qu'on se le dise, le coloriage, activité indémodable s'il en est, a donc toutes les raisons de rester tendance bien des années encore. Et pas seulement du côté de nos chères petites têtes blondes. Car aujourd'hui, sa pratique est largement recommandée pour les plus grands. Et les cahiers de coloriages dits "anti-stress" détendent tant et si bien les adultes qu'on les compare même à des exercices de méditation. Un passe-temps tout simplement parfait pour retrouver son calme après des journées ou des semaines trop agitées.
Au gré de ces cahiers, ce sont plus précisément les mandalas qui font fureur - vous savez, ces dessins circulaires étendus comme des rosaces, renvoyant aux symboles spirituels tibétains les plus ancestraux. Leurs formes sont vertigineuses et leurs bienfaits, indéniables.
Dans les pages du magazine Psychologies, Anne Le Meur, une éditrice spécialisée en "art-thérapie" (une psychothérapie centrée sur la création artistique), détaille les raisons d'un succès : "l'idée n'est pas simplement de faire du coloriage pour faire du coloriage. Chaque livre offre la possibilité de s'adonner à une véritable activité créatrice, source de bien-être, mais aussi de réaliser quelque chose de beau, même sans compétences techniques de dessin. C'est décomplexant et cela fait du bien !", se réjouit-elle.
Création, spontanéité, liberté... Un art de l'enfance, en quelque sorte.