Fatou N'diaye, la blogueuse qui redéfinit la beauté à la française

Publié le Vendredi 22 Janvier 2016
Jessica Dufour
Par Jessica Dufour Journaliste
Avec son blog BlackBeautyBag, Fatou N'Diaye est l'une des blogueuses beauté les plus influentes du moment. Égérie L'Oréal Paris et Kookaï entre autres, elle redéfinit avec élégance les codes de la "beauté parisienne".
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Terrafemina : Qu'est-ce qui vous a poussé à créer votre blog BlackBeautyBag ?

Fatou N'Diaye : J'ai toujours été passionnée de beauté et je trouvais qu'on n'abordait pas le sujet de la beauté noire dans les médias généralistes. J'ai commencé à fréquenter les forums beauté en 2003, comme Beauté d'Afrik. Dessus, on partageait essentiellement des astuces beauté et on parlait de la condition de la femme noire. En parallèle, j'achetais beaucoup de magazines comme Ebony ou Essence - magazines que j'ai découvert à Londres - spécialisés dans la beauté noire. Petit à petit, j'ai commencé à me constituer un classeur où je répertoriais ces petites fiches qui parlaient de beauté. C'est par la suite que j'ai créé mon blog, en 2007. C'était mon espace où je pouvais partager mes astuces beauté, parler d'estime de soi et de bien-être.

Tf : Quand avez-vous décidé de vous consacrer à votre blog à plein temps?

F. N. : Alors la décision s'est faite vers fin 2008, début 2009. Je commençais à avoir des propositions de partenariats, de billets sponsorisés mais également de déplacements à l'étranger. A l'époque, je travaillais en tant qu'assistante de direction à Publicis. Et c'est vrai que concilier le blogging et le travail, ça me prenait énormément de temps.

Alors un jour, je me suis dit 'qui ne tente rien n'a rien'. J'ai pris le risque et je me suis dit si ça marche tant mieux, si ça ne marche pas, tant pis. Au moins, j'aurais essayé. Je voulais aller jusqu'au bout. J'avais décidé de prendre le temps, de développer mon activité : c'est-à-dire parler de sujets qui me tiennent à coeur. J'ai négocié un licenciement économique et je suis partie. Mais cela n'était pas un problème pour moi, j'ai toujours été une aventurière dans le domaine professionnel.

Tf : À partir de quand avez-vous pu vivre de votre activité ?

F. N. : Les premiers cachets étaient surtout des billets sponsorisés. Mais les premiers gros contrats sont très récents. Il y a eu Carol's Daughter vers 2012, après L'Oréal en 2014 et aussi Kookaï. Honnêtement, mon premier but en faisant ce blog, ce n'était pas de gagner de l'argent. Je fais partie de cette génération de filles - avec Garance Doré ou Betty par exemple - qui a commencé à bloguer et qui ne gagnait pas d'argent avec ça. On le faisait parce qu'on avait quelque chose à dire, à exprimer. C'était vraiment de la passion.

Tf : Blackbeautybag, aujourd'hui, ça représente quoi ?

F.N. : Pour moi, c'est devenu bien plus qu'un blog. C'est un peu comme un magazine qui parle de l'actualité des femmes noires, de leurs besoins, de beauté, de mode, de famille et d'autres sujets qui me tiennent à coeur.

De nos jours, les blogs ont dépassé les magazines papiers. Derrière ces sites, il y a des filles comme toi et moi qui partagent leur quotidien, qui parlent de leur vécu, de choses positives comme négatives. Le blog est devenu un vrai média de société. Pour preuve, les grosses marques travaillent beaucoup avec des blogueuses.

Tf : Qu'est-ce qui a fait la différence, à votre avis, pour créer une vraie communauté ?

F. N. : Ce que les gens apprécient, c'est l'authenticité. Pour plaire, il faut qu'une blogueuse garde sa personnalité. Moi par exemple, si je lis plusieurs blogs féminins, c'est parce qu'ils sont différents, ils ne vont pas raconter la même chose. Chaque blogueuse à sa plume. Donc pour moi, il faut rester telle qu'on est dans la vraie vie et ne pas essayer de reproduire ce qui marche chez l'autre. Parce qu'au final, ce qui fait qu'une blogueuse plaît au lectorat qu'elle a, c'est qu'il s'y retrouve dans ses propos.

Tf : Le Vogue US dit de vous que vous représentez une nouvelle forme de beauté parisienne, à l'instar de Brigitte Bardot et Charlotte Gainsbourg. Pensez-vous qu'il y ait une réelle évolution des mentalités concernant les femmes noires dans le domaine de la beauté ?

F. N. : J'ai bien aimé ce titre et surtout le fait qu'il n'y ait pas le terme "noire". Cela veut dire qu'avant notre couleur de peau, on est Françaises. Et j'ai trouvé ça vraiment pertinent et audacieux parce qu'en générale, quand on parle de mon blog, on va dire "le blog afro" ou "la beauté noire". Et dire que je représente une nouvelle forme de beauté parisienne, ça décomplexe les gens et ça permet aux autres médias de réfléchir sur leurs propos et leurs articles.

Tf : Vous trouvez réducteur que l'on parle de votre site comme un "blog afro" ?

F. N. : Non , parce qu'on ne va pas se mentir, mon blog parle avant tout aux femmes noires. Mais la différence entre le blogging blanc et le blogging noir, c'est que les blogueuses blanches lorsqu'elles postent quelque chose, ça ne devient pas un signe de revendication. Dans le sens où elles sont déjà incluses dans la société et elles n'ont rien à prouver. Alors que nous, durant longtemps, nous avons été exclues. Alors quand des filles comme moi postent des choses sur les réseaux, les femmes noires vont se sentir concernées, se reconnaître. Donc quelque part, elles nous voient comme des porte-paroles mais aussi comme des filles qui ont réussi à briser un certain silence autour des tabous sur la beauté, le blanchiment de peau par exemple.

Tf : Les Américains idéalisent beaucoup le "style à la Française". Comment le définiriez-vous?

F. N. : Le "style à la Française", c'est aujourd'hui une multiplicité de femmes. Qu'elles soient noires, blanches, maghrébines, grandes, minces, fortes ou grosses. La Française d'aujourd'hui n'est pas que blonde, elle ne vient pas que dans les beaux quartiers. Elle vient aussi des banlieues, elle peut aussi être noire ou avoir un parcours différent.

Tf : Sur le net, on entend de plus en plus parler du terme nappy (ndlr : nappy contraction de "naturelle" et "happy"), qui désigne ces femmes fières de leur chevelure crépue. Vous considérez-vous comme telle ?

F. N. : Alors non, déjà, je déteste ce mot ! Je l'ai employé auparavant, je ne vais pas être hypocrite. J'ai connu ce mot-là en 2003 sur le forum Beauté d'Afrik. Au début, c'était sympathique parce qu'il n'y avait pas une grosse communauté de filles qui avaient les cheveux crépus. Et puis, c'était aussi une manière de toutes se retrouver et de partager des astuces beauté. Il y a aussi eu l'apparition des premiers blogs - comme celui de Danielle (ndlr : une de ses amies blogueuses) - qui parlaient de cheveux crépus. Et c'est ce genre d'initiatives qui a fait comprendre aux filles que le cheveux crépu n'était pas moche.

Aujourd'hui, réduire le cheveux crépu au terme nappy, je trouve ça péjoratif. Dans le sens où c'est la nature de nos cheveux. Donc pourquoi dire qu'une fille qui a les cheveux crépu est une nappy ? Ce n'est pas une religion... Ce serait bien qu'un jour, à la vue d'une fille avec ses cheveux naturels, on se dise juste que c'est la nature de ses cheveux et pas "ah c'est une nappy", comme si elle faisait partie d'une secte avec les 10 commandements à suivre.

Malheureusement c'est un terme qui est beaucoup utilisé pour des évènements ou sur les réseaux sociaux. Je trouve ça réducteur parce que maintenant, dès que l'on parle du cheveu crépu dans les magazines, on dit nappy. Au début c'était quelque chose qui naissait, donc ce terme était sympathique. Mais aujourd'hui, il y a plein de filles qui ont choisit de revenir au naturel, mais c'est tout. Ce ne sont pas des nappy pour autant.

Porter ses cheveux naturels, ce n'est pas vraiment de la revendication. Généralement, elles reviennent au naturel parce qu'elles ont vu un bel afro et qu'elles veulent la même chose. J'ai l'impression que pour beaucoup, si tu as les cheveux crépus c'est que tu écoutes du Erykah Badu, tu fais tes produits dans ta salle de bain, tu portes le boubou et des perles dans tes cheveux, comme l'avait dit Elle à un moment. Non, c'est juste des cheveux.

" Et c'est ce genre d'initiatives qui a fait comprendre aux filles que le cheveux crépu n'était pas moche."
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" Et c'est ce genre d'initiatives qui a fait comprendre aux filles que le cheveux crépu n'était pas moche."

Tf : Peu à peu, les langues se délient pour dénoncer le racisme, le "plafond de verre" auquel sont confrontées les femmes noires pour accéder à certains milieux, notamment dans la mode ou à la télévision. Est-ce un phénomène auquel vous avez été confrontée ?

F. N. : On va pas se mentir, le racisme est présent dans ces milieux. Et ce qui est bien, c'est que les blogs ont permis d'ouvrir des portes qui nous étaient auparavant fermées. Après, il faut comprendre qu'il n'y a pas que du racisme, mais aussi beaucoup de méconnaissance. La plupart des gens ne sont même pas racistes. Ils ont juste été éduqués avec des clichés.

Après moi, en tant que blogueuse, je n'ai pas été spécialement confrontée au racisme. Par contre, j'ai dû faire face à beaucoup de clichés très terre à terre sur nos modes de consommation par exemple.

Tf : La France est-elle en retard ?

F. N. : Oui, ce n'est pas un secret, il y a du retard en France. Mais depuis quelques années, il y a beaucoup d'avancées. Que ce soit dans la publicité, le marketing ou le digital. Malheureusement, nous ne sommes pas encore au niveau des États-Unis ou des pays anglo-saxons en général...

Pour y arriver, la France devrait commencer à intégrer les gens qui viennent de différents milieux sociaux. Par exemple, qu'on arrête d'embaucher des femmes blanches pour parler de produits pour les femmes noires. Ce ne sont pas des filles qui s'y connaissent. À un moment, il faut embaucher des gens qui savent de quoi ils parlent et qui vivent ses problématiques là. Je pense que c'est ce qui manque France.

Tf : Vous mettez beaucoup en avant une figure de femme indépendante, qui s'assume peu importe son âge, qui a des choses à dire et qui les défend. Quel rapport avez-vous avec le féminisme ?

F. N. : Je ne sais pas si je me qualifierais vraiment de féministe. Enfin, on l'est toutes un peu par les choses qu'on accomplit. Ne serait-ce qu'aussi dans la vie du couple. Mais ce qui gêne dans le terme de "féministe", c'est que certaines personnes n'en comprennent pas le sens. Pour beaucoup, dès qu'on parle de féminisme, c'est la femme toujours aigrie qui veut absolument castrer l'homme. Alors que, non. Pour moi, être féministe,c'est être une femme libérée, avoir un esprit ouvert, et ne pas faire pas la séparation des genres en se disant qu'il y a des domaines pour les hommes et pour les femmes. C'est être libre de penser, dire ce que l'on pense et savoir parler de sujets même quand ils sont tabous.

Puis, il existe même des hommes féministes selon moi. C'est un homme qui contribue au bien-être de son foyer, qui est partenaire avec sa femme, qui éduque aussi ses enfants, qui fait tout pour être à pied d'égalité avec sa femme.

Tf : Et, vous qualifieriez-vous d'afro-féministe ? (ndlr : l'afro-féminisme considère que les voix des femmes noires ne sont pas prises en compte dans le féminisme tel qu'on peut le connaître)

F. N. : Déjà, je trouve ça bien que l'on commence à voir des blogs, en France, qui parlent d'afro-féminisme. Ce sont des sujets qui existent depuis longtemps aux États-Unis et dans les pays anglophones.

Être afro-féministe, ce n'est pas être séparatiste. C'est vraiment quelque chose de nécessaire. Il y a des problématiques que l'on retrouve dans la communauté noire et pas ailleurs. Les femmes blanches ne sont pas autant confrontées au racisme, à la discrimination à l'emploi par exemple. Puis, lorsque l'on regarde des photos de manifestations féministes, c'est rare de voir des femmes noires.

Tf : Quelles sont les femmes qui vous inspirent ?

F. N. : Alors déjà, il y a ma mère, mais aussi Oprah Winfrey. Les femmes qui m'inspirent le plus sont celles qui m'entourent que ce soit mes amies, mes soeurs, des gens du quotidien. Ce sont des femmes qui vivent bien leur vie, qui n'ont pas honte d'exprimer leur féminité et qui elles sont.

TF : Parlons un peu plus de mode et de beauté maintenant. Comment définiriez-vous votre style ?

F. N. : Je dirais que j'ai un style assez éclectique. J'aime bien tout ce qui est vintage mais je m'habille aussi beaucoup chez H&M ou Zara. Après, mes tenues varient beaucoup selon mes humeurs.

TF : Quels sont vos basiques ?

F. N. : Mon perfecto en cuir ! Cela fait longtemps que je ne l'ai pas mis d'ailleurs... Des derbies, un petit jean, un pull et mon sac à dos.

"Mon basique ? Mon perfecto en cuir !!"
"Mon basique ? Mon perfecto en cuir !!"

Tf : Et votre tenue préférée pour sortir ?

F. N. : Des talons aiguilles et une petite robe noire ! J'aime beaucoup les robes. La petite robe noire, c'est vraiment indémodable.

Tf : Et vos produits de beauté indispensables ?

F. N. : J'en ai quatre ! Mon sérum Estée Lauder Advanced Night Repair, l'eau micellaire de Bioderma, un mascara et un rouge à lèvres rouge.

Tf : Quelle est votre routine beauté ?

F. N. : Je reste vraiment dans la simplicité. Le matin, je lave mon visage avec une lotion, puis je le rince à l'eau micellaire et j'applique une crème de jour. Le soir, je nettoie mon visage à l'eau micellaire et j'applique mon sérum. C'est une routine simple et j'aime ça. J'utilise les mêmes produits depuis des années.