Joël Dicker : "J'aimerais avoir le courage d'une femme"

Publié le Lundi 12 Octobre 2015
Anaïs Orieul
Par Anaïs Orieul Journaliste
Joël Dicker en interview à l'occasion de la sortie de son dernier roman "Le livre des Baltimore"
Joël Dicker en interview à l'occasion de la sortie de son dernier roman "Le livre des Baltimore"
Trois ans après l'incroyable succès de "La vérité sur l'affaire Harry Quebert", Joël Dicker est de retour avec "Le livre des Baltimore", une saga familiale empreinte de nostalgie mais où le jeu des apparences règne en maître. On a rencontré celui qui réussit à nous tenir en haleine comme personne et spoiler alert : il est aussi sympathique et vrai que ses personnages.
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Terrafemina : Après s'être plongé dans le passé d'Harry Quebert, c'est celui de Marcus Goldman qu'on découvre. L'idée vous est-elle venue rapidement de continuer avec ce personnage ?

Joël Dicker : En fait, l'idée m'est venue avant la parution même de La vérité sur l'affaire Harry Quebert. J'ai commencé ce roman car j'avais dans l'idée d'écrire deux ou trois livres dans la continuité. Après le succès d'Harry Quebert, je me suis demandé : "Qu'est-ce que je fais ? Est-ce que je reste avec Marcus ou pas ? Est-ce que les gens vont penser que c'est une redite ?" Et finalement, ce n'est pas du tout une redite, c'est la continuité de mon projet et je suis content d'avoir tenu bon.

Terrafemina : Et maintenant, en avez-vous terminé avec Marcus Goldman ?

Joël Dicker : Un livre à la fois, c'est déjà pas facile. Je ne me projette pas dans ce que je vais faire après et je ne vais pas faire des promesses, ou m'engager, ou raconter des choses dont je n'ai aucune idée. Une idée amène une idée, et peut-être que je vais continuer sur une trilogie, peut-être que je vais changer d'avis. On réclame souvent que je me positionne par rapport à la suite mais c'est compliqué. La suite, c'est la surprise du chef pour moi, c'est ça qui me plaît, c'est pour ça que je fais ce métier, parce que justement : je ne sais pas ce qui va se passer dans le prochain livre.

À la base, dans ma tête, j'ai des envies et des idées. Là, c'est mon troisième roman qui vient de paraître, mais en tout, j'en ai écrit sept. Donc j'ai une carrière d'écrivain non publié plus importante que celle d'écrivain publié. Quand j'ai commencé à écrire La vérité sur l'affaire Harry Quebert sans savoir s'il paraîtrait ou pas – parce que tous mes autres romans n'avaient pas étaient acceptés par les éditeurs – je m'étais dit : "En tant qu'écrivain non édité je vais commencer une trilogie américaine". Il se trouve qu'une fois le livre terminé j'ai eu envie de la continuer, j'ai visualisé la suite. Maintenant, est-ce que ce sera une trilogie, une tétralogie, ou un cycle de vingt-cinq romans, ou rien de tout ça ? On verra.

TF : Dans L'affaire Harry Quebert, Marcus Goldman est clairement le ressort comique du livre. Il a beau mener une enquête, il reste très drôle, parfois malgré lui. Cette fois-ci, ce côté de sa personnalité est presque gommé. C'était une volonté de votre part ? Pour apporter plus de noirceur au personnage ?

J.D. : Je ne dirais pas qu'il est plus sombre, je dirais qu'il est plus vrai. Parce que pour moi, Le livre des Baltimore est plus réel que La vérité sur l'affaire Harry Quebert. Dans le roman précédent, il y a la façade qu'on peut tous avoir, cette politesse qui fait qu'on est agréable avec les autres alors qu'on a peut-être des problèmes ou qu'on est de mauvaise humeur. Et dans Harry Quebert, il y avait peut-être un peu trop de ça. Vous aviez un personnage qui était votre collègue de bureau, vous voyez : le type sympa avec qui on discute à la cafétéria ou qu'on a plaisir à croiser dans le métro. Mais en même temps un type dont vous ne pouvez rien dire d'autre à part qu'il est sympa. Et ça, ça n'en dit pas long sur lui.

Donc là, j'avais envie de quelqu'un qui est plus vrai. Parce que les personnes vraies finalement ce sont nos amis, nos proches. Les gens qui nous disent pourquoi ils sont de mauvaise humeur, pourquoi ils ne vont pas bien. Et là, vous pouvez dire que vous connaissez ces personnes, qu'elles ont des sentiments, des hauts et des bas. Et donc, j'ai eu envie d'insuffler ça à Marcus. À la fin d'Harry Quebert, je le trouvais un peu trop lisse et en même temps c'est normal. Quand on se rencontre pour la première fois, c'est les apparats et les façades. Mais je me suis dit que s'il devait réapparaître, il devait avoir une construction psychologique plus importante.

TF : Vous dites souvent que Marcus Goldman n'est pas votre alter ego. Mais pour ce livre-ci qui parle beaucoup de l'enfance, de l'amitié et même de l'école, est-ce que vous n'avez pas eu le besoin ou l'envie de puiser du côté de vos souvenirs personnels ?

J.D. : Je pense que ce sont deux choses relativement différentes. Il y a d'abord le personnage de Marcus et sa construction et puis il y a les histoires qui se déroulent dans le livre et qui concernent tous les personnages. Pour moi, il y a une différence parce que je crée forcément un peu les personnages à mon image, mais il n'y a pas plus de moi dans Marcus que dans son cousin Hillel ou que dans Harry Quebert.

Après, c'est vrai que Marcus est le narrateur, il a mon âge, il est écrivain, donc je peux comprendre pourquoi on voit en lui et moi de grandes similitudes. Mais ce n'est pas vraiment le cas au final. Par contre, ce qui est vrai, c'est que dans le décor et dans tout ce qui lie les personnages il y a de moi, puisque c'est moi qui ai créé tout ça. Il y a forcément des souvenirs, que je le veuille ou non, des sentiments de l'enfance qui sont présents mais qui ne sont pas forcément les scènes qui sont décrites dans le livre. C'est vrai que j'ai des cousins que j'aime beaucoup avec qui j'ai passé et je continue de passer beaucoup de temps. Est-ce qu'ils inspirent ce gang de cousins soudés comme un poing fermé ? Oui, probablement. Mais ça ne va pas plus loin que ça. Quand vous rentrez dans les histoires, dans ce qui fait le lien, dans ce qui explique leur fraternité, là, il n'y a plus rien de personnel.

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TF : Vous écrivez dans votre livre "Les producteurs faisaient à la musique le même sacrilège qu'aux livres et aux films : ils les calibraient". C'est quelque chose que vous ressentez vous-même dans la culture d'aujourd'hui ?

J.D. : Oui et non. Si vous prenez l'écrivain américain James Patterson qui revendique le fait d'être une espèce d'usine à livres et dont les romans sont écrits en collaboration avec d'autres personnes, là vous pouvez dire que c'est purement commercial. Et c'est pareil pour la musique. Quand on fabrique des tubes, on calibre pour que ça marche. En général, ça ne dure pas très longtemps – je pense aux tubes de l'été par exemple. Il n'y a pas beaucoup de tubes calibrés, faits pour marcher qui ont une longue durée de vie. La plupart de ces artistes se sont écrasés assez vite. Donc il y a toujours du calibrage. Mais ce que je raconte dans cette scène, c'est que ceux qui durent sont ceux qui refusent ce calibrage. À ce moment-là, Marcus incite Alexandra à faire ce qu'elle aime vraiment. Parce que c'est en voulant toucher le plus grand nombre qu'on perd son authenticité. Et en perdant son authenticité, on remet cette façade qui enlève le lien avec ceux qui nous lisent ou ceux qui nous écoutent.

TF : Où puisez-vous votre inspiration ?

J.D. : Tout est une source d'inspiration. Ce que je lis, ce que je vois à la télévision ou au cinéma, les musées que je visite, les scènes dont je peux témoigner au bistro, dans la rue ou dans l'avion. Tout ça, tout ce qui atteint notre tête, tout ce dont on témoigne avec nos yeux à nous, se rangent quelque part dans notre cerveau. Et puis un jour tout ce magma se met ensemble et forme une matière qui jaillit de nous et qui est l'inspiration.

TF : Et du côté des écrivains, est-ce qu'il y en a qui vous inspirent particulièrement ?

J.D. : Bien sûr, il y en a plein. Je peux citer Romain Gary, Marguerite Duras, John Steinbeck, Dostoïevski, Albert Cohen ou encore Joseph Conrad...

TF : Est-ce que vous imaginez un jour écrire un livre avec un personnage principal féminin ?

J.D. : C'est marrant parce que j'y pense de temps en temps. J'aimerais bien mais je crois qu'aujourd'hui, je ne m'en sens pas encore capable. C'est très, très difficile de réussir à faire ça. Je dirais même que c'est encore plus difficile pour les hommes d'écrire au nom d'une femme tout simplement parce que les hommes ne sont pas des femmes. Je le dis comme je le vois, les femmes sont plus courageuses que les hommes, elles sont plus fortes, elles ont des caractères beaucoup plus forts, elles sont plus assurées. L'homme est plus lâche, beaucoup moins courageux que la femme. Du coup, j'aurais peur de ne pas réussir mon personnage. Il ne suffit pas d'écrire un prénom de femme et de tout mettre au féminin. Il faut être capable d'avoir le courage d'une femme. Moi j'aimerais bien dans la vie avoir le courage d'une femme, mais je sais que ce n'est pas le cas. Mais en tout cas, ça me plairait bien de le faire un jour.

TF : Au coeur de La vérité sur Harry Quebert, il y avait une intrigue policière. Ici, le suspens s'étend sur presque 500 pages mais concerne un drame familial. Il y a des rebondissements, des coups de théâtre, un jeu avec la chronologie... Est-ce que vous avez l'impression d'avoir une marque de fabrique ?

J.D. : Non, je ne pense pas. J'espère que ce n'est pas mon dernier livre et je vous répondrais peut-être mieux dans vingt ans avec une oeuvre plus conséquente. Et j'espère qu'il y aura une unité, une patte, quelque chose de moi dans tout ça. L'idée d'une marque de fabrique, je ne sais pas si j'aime ça. Mais c'est vrai que si on compare Harry Quebert et Le livre des Baltimore, malgré les différences, il y a une mécanique qui est la même. Donc on peut se demander si j'ai une mécanique qui m'est propre. Mais ma réponse est non tout simplement parce que même si j'ai publié trois romans, j'en ai écrit sept en fait. Et si on prend les sept, il n'y en a que deux qui se passent aux États-Unis et qui ont cette mécanique-là. Si on prend les sept romans, on voit qu'il y a différents cycles qui commencent. Je comprends qu'en lisant mes deux derniers romans on puisse voir une similitude dans la construction, mais ce que je veux dire c'est que ce ne sera pas toujours le cas.

TF : Il paraît que vous ne vous arrêtez jamais d'écrire. Vous savez déjà quel sera votre prochain roman ?

J.D. : Bien sûr ! Mais je ne vous dirai rien. Pour moi, la vraie liberté, elle est quand j'écris. C'est à ce moment-là que je fais ce que je veux et que je peux tout changer si j'en ai envie. Une fois que le livre est imprimé, les gens le lisent, vous posent des questions, et vous devez assumer le roman tel qu'il est. Je n'ai pas du tout envie de commencer à m'enlever cette liberté parce que mon plaisir à moi, c'est d'être complètement libre.

TF : J'ai lu des interviews de vous où vous évoquiez une possible adaptation de L'affaire Harry Quebert sur grand ou petit écran. Où est-ce que ça en est aujourd'hui ?

J.D. : Pour le moment, il n'y a rien en cours. Des studios ont manifesté de l'intérêt et on verra bien comment ça se concrétise, mais là, on n'a pas trouvé de projet qui nous séduise suffisamment.

TF : Vous avez encore le temps de lire ?

J.D. : Bien sûr ! Dans mon sac, j'ai le dernier livre de Richard Ford, En toute franchise (Éd. L'Olivier), et deux Sherlock Holmes. Je suis en pleine découverte. Je connaissais Conan Doyle de nom mais je n'avais jamais lu. Et en fait, c'est formidable. J'adore le personnage, il se fout de tout le monde, il n'aime pas se lever le matin, il est drôle. Bref, ça me plaît beaucoup.

Le livre des Baltimore de Joël Dicker, Éd. De Fallois, 480 pages, 22 euros