L'Année prochaine : quand la rupture d'amitié fait aussi mal qu'une peine de coeur

Publié le Vendredi 26 Juin 2015
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
À 18 ans, le bac en poche, Clotilde (Constance Rousseau) et Aude (Jenna Thiam) s'apprêtent à poursuivre leurs études loin de chez elles, à Paris. Inséparables depuis l'enfance, presque soeurs, les deux amies vont pourtant appréhender cette nouvelle vie différemment. Jusqu'à la rupture, violente, inéluctable. Dans son premier film, "L'Année prochaine", Vania Leturcq filme avec délicatesse le délitement d'une amitié féminine et le douloureux passage à l'âge adulte. Nous l'avons rencontrée avec son actrice principale, Constance Rousseau.
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L'Année prochaine est votre premier long-métrage. Quelle en a été la genèse ?

Vania Leturcq : Ce film est parti de deux envies. Je voulais d'abord de parler d'une histoire d'amitié comme d'une histoire d'amour et d'une première rupture d'amitié comme d'une rupture amoureuse. J'avais envie de montrer ces amitiés fusionnelles que l'on a souvent à l'adolescence et du déchirement que c'est lorsqu'une relation si forte se termine. Mon autre envie, c'était de parler de ce moment charnière qu'est le passage du lycée à celui des études supérieures, et que je trouve très violent. Il faut poser des choix qui auront des conséquences sur toute notre vie alors qu'on est très jeune et que l'on a souvent qu'une vague intuition de ce qu'on a envie de faire et de ce qu'on a envie d'être. J'ai donc placé cette histoire d'amitié très forte à ce moment charnière-là pour voir ce que ces deux amies deviennent au moment où elles découvrent qui elles veulent vraiment être.

Quelles adolescentes étiez-vous toutes les deux ? Avez-vous connu une amitié aussi forte et fusionnelle que celle qui lie Aude et Clotilde ?

V.L. : Je ne garde pas de mon adolescence un souvenir incroyable. Lorsque j'y repense, je me rappelle surtout que je m'ennuyais beaucoup. J'ai su assez tôt que je voulais faire du cinéma, et j'étais dans une école où il n'y avait pas d'option audiovisuelle. J'attendais donc que ça se finisse pour pouvoir faire ce que je voulais vraiment. J'en garde surtout un souvenir de profond ennui et d'impatience de passer enfin à autre chose. J'ai vraiment été heureuse quand j'ai pu commencer à faire ce que je voulais et à travailler.

Constance Rousseau : J'étais une jeune fille très innocente. Mes parents m'ont toujours gardée le plus possible dans une sorte d'état intermédiaire entre l'enfance et l'âge adulte. Du coup, j'ai l'impression d'être directement passée de la case "enfant" à celle "adulte". Même dans mes choix d'études, mes parents y ont pris part activement et je pense que le seul vrai choix que j'ai fait, sans mes parents et peut-être même un peu contre eux, c'est celui du cinéma. Quant au temps du lycée, je n'en garde pas un souvenir impérissable mais ce n'était pas plus douloureux que ça. Je faisais ce qu'on me disait de faire, je ne sortais pas beaucoup, ma bande d'amis était restreinte. Ça me suffisait. C'est là que j'ai appris à faire des choix et où j'ai compris que faire des choix, c'est devenir adulte.

Parlez-nous de votre rencontre. Pourquoi avoir choisi Constance pour incarner le personnage de Clotilde ? J'ai lu que vous la trouviez trop douce et jolie pour le rôle, mais que sa prestance avait fini par vous convaincre.

V.L. : En fait, c'est surtout notre discussion qui m'a convaincue. J'avais vu Constance dans Tout est pardonné de Mia Hansen-Løve et dans Un monde sans femmes de Guillaume Brac. Je l'avais trouvé super et je n'avais aucun doute sur son talent. Mes doutes venaient surtout du fait que j'avais imaginé un personnage plus dur. Or, comme Constance est très douce physiquement, voire fragile, elle ne collait pas à l'image que je m'étais faite du personnage de Clotilde. Je l'ai tout de même rencontrée, on a discuté, et on a fini par tomber d'accord sur le fait que jouer la dureté ou le fait d'être fermée, ça n'est pas une question de physique. La "plus jolie fille du lycée", objectivement, ça n'était pas la plus jolie : c'était celle qui était solaire, ouverte, pétillante, sympa. Et qu'au contraire, celle qu'on ne remarquait pas ou qui n'était pas populaire était loin d'être la plus moche. C'est un peu basique de penser ça. Si j'avais pris une fille au physique un peu dur, ç'aurait été un peu attendu, facile, redondant. J'aime que les personnages se révèlent être au fil du film être différent de ce à quoi on s'était attendu à première vue. Constance m'a convaincue et travailler avec elle allait être d'autant plus intéressant de partir sur son physique tout en douceur et d'amener de la dureté, de la manipulation.

C.R. : Moi j'ai lu le scénario avec beaucoup d'intérêt, il m'a rappelé des choses que j'avais pu vivre moi-même. Surtout, j'ai été persuadée dès le début que l'histoire que racontait Vania allait parler aux gens, qu'elle allait remuer des choses en eux. C'est pour ça que l'on fait du cinéma : pour toucher le public. Et puis la rencontre avec Vania a vraiment été décisive. J'ai été très impressionnée par sa détermination à porter un projet depuis si longtemps. Je me suis dit que ça devait être vraiment important pour elle et qu'en m'offrant le rôle, elle me faisait un beau cadeau.

V.L. : Ce film, c'est un projet que j'ai laissé mûrir très longtemps. Lorsque j'ai commencé à l'écrire, j'avais 23 ans. Il s'est passé sept ans avant que je ne commence à le tourner. C'est vrai qu'au moment où je l'ai écrit, j'étais beaucoup plus proche en âge de mes personnages. Mais les années m'ont permis d'affiner l'histoire, de prendre du recul. Je pense que prendre autant de temps m'a permis d'arriver sur le tournage plus armée, de savoir exactement ce que je voulais raconter.

Comment s'est passé le processus de construction des personnages ?
V.L. : Ça se fait en plein de petites touches et en plein de petits moments. Au départ, il y avait ces deux amies différentes, aux deux personnalités très marquées qui se complètent. Dès le départ, je savais que je ne voulais pas écrire des personnages de jeunes filles mignonnes, je voulais montrer leurs qualités et défauts, creuser leur côté sombre comme leur côté lumineux. Ça demande beaucoup de réécriture. Ma crainte, c'était de privilégier l'un des deux personnages, et que l'autre ne paraisse caricatural. Sur les deux dernières années d'écriture, j'ai travaillé avec un coscénariste homme (Christophe Morand, ndlr) et ça a été très formateur. Il m'a confronté sur plein de points du scénario, a énormément remis en question mes intentions. Je sortais énervée des séances de travail mais ça m'a permis de savoir à chaque instant les motivations de mes personnages. Et j'ai découvert qu'au bout d'un moment, lorsqu'il est suffisamment écrit, profond, c'est le personnage lui-même qui décide de son parcours. Il devient réel.

Et pour Jenna Thiam ? Pourquoi avoir décidé de lui confier le rôle d'Aude ?
V.L. : J'avais vu Jenna dans Les Revenants et je l'avais trouvée super. Je n'ai pas tout de suite pensé à elle car j'avais peur que le personnage qu'elle joue dans la série soit trop proche de celui d'Aude. J'ai donc programmé des essais avec d'autres comédiennes auxquelles je pensais pour le rôle. La veille de ces essais, j'ai rencontré Jenna pour la première fois et je l'ai immédiatement trouvée sympa et vive. Je vais dire quelque chose d'un peu cliché, mais j'avais très peur pour mon premier film d'être entourée de comédiennes avec un gros ego, qui veulent prendre toute la place et contrôler leur image. Heureusement, Constance et Jenna sont tout l'opposé. Lorsque j'ai rencontré Jenna, elle était en train de déménager, elle portait un vieux tee-shirt. On s'est simplement assises à la terrasse d'un café et on a discuté. Le lendemain, elle a passé les essais, et j'ai su que le rôle d'Aude était fait pour elle.

Dans L'Année prochaine, l'alchimie entre vous et Jenna est palpable. Comment avez-vous travaillé pour la faire transparaître à l'écran ?
C.R. : On s'est beaucoup vue toutes les trois avant le tournage. Vania nous a invitées pour passer quelques jours chez elle en Belgique pour faire des improvisations autour de ce que ces deux jeunes filles auraient pu vivre ensemble.

V.L. : Je les ai fait beaucoup improviser sur les histoires de coeurs, sur les histoires avec les parents...

C.R. : Des choses très anecdotiques mais qui finalement sont la substance de leur amitié. Ça nous a beaucoup aidées à jouer ensemble. Vania avait instauré quelque chose de très tactile : je n'avais pas peur de toucher les cheveux de Jenna et elle les miens, comme le feraient de vraies amies. Ça nous a complètement libérées.

V.L. : C'est vrai que je cherche dans le film à montrer quelque chose de très organique entre Aude et Clotilde. Je pense que les amitiés féminines sont souvent caractérisées par une intimité physique, comme si le corps de l'autre était une prolongation du sien. Je voulais qu'elles n'aient aucune barrière physique sur le tournage.

L'Année prochaine est un film profondément féminin dans les termes qu'il aborde. Quel rapport avez-vous au féminisme ?
V.L. : C'est très personnel et je ne juge personne, mais je ne comprendrais jamais que l'on puisse être une femme et ne pas se dire féministe. Je me revendique féministe, et je ne comprends pas que l'on puisse faire l'amalgame entre féminisme et hystérie. Être féministe, c'est simplement vouloir l'égalité de droits et de devoirs entre les femmes et les hommes. Ça ne veut pas dire qu'on veut voler la place des hommes ! Après, L'Année prochaine n'est pas un film militant. Mais, il s'est avéré qu'on a fait un film où tous les chefs de postes étaient des femmes et leurs assistants des hommes. Il y avait une chef opératrice, une régisseuse, une directrice de production, une assistante à la réalisation, une réalisatrice, une ingénieure du son ... Ce n'était pas réfléchi, je me suis juste entourée de gens que j'aimais bien. Finalement il y avait autant d'hommes que de femmes sur le plateau, mais c'est vrai que lorsqu'on arrivait en réunion technique ou en repérage à sept ou huit femmes, ça surprenait les gens. Je n'ai pas envie que le fait d'être une femme soit une question, mais en même temps, c'est une question que je me pose tout le temps. Car je vois bien que c'est plus compliqué pour les femmes, notamment passé trente ans, où on te fait comprendre que c'est bien joli de faire ton petit cinéma, mais qu'il faudrait choisir entre ça et une " vraie vie ". Et moi, je maintiens le fait qu'on peut tout à fait être une femme et s'épanouir à la fois dans sa vie professionnelle et sa vie privée.

C.R. : Je serai toujours extrêmement étonnée et même fâchée de l'image qu'on donne des actrices dans la presse. Moi, on me demande de faire des photos de nunuche absolue, où l'on me fait prendre des poses pas possibles. On ne demanderait jamais ça à un acteur ! Mais moi je n'ai pas envie de faire ça, laissez-moi tranquille ! Ce truc d'hypersexualiser les actrices, c'est insupportable et ça me met extrêmement mal à l'aise.

L'Année prochaine vient de sortir en salle. Quels sont vos projets ?
V.L. : Depuis quelques semaines, je me suis replongée dans l'écriture d'un nouveau long-métrage. Et je prévois aussi de partir en vacances (rires).

C.R. : Je viens de finir de tourner à Paris La femme de la plaque argentique de Kiyoshi Kurosawa avec Tahar Rahim et Olivier Gourmet. Et dans un futur proche, je vais aussi partir en vacances, comme Vania !