L'enfer des pieds bandés : une Chinoise de 84 ans raconte son supplice

Publié le Jeudi 10 Septembre 2015
Anaïs Orieul
Par Anaïs Orieul Journaliste
Wang Huiyuan est l'une des dernières Chinoises en vie à avoir subi la pratique des pieds bandés. Dans un documentaire diffusé sur la BBC, cette vieille dame de 84 ans revient sur son calvaire : "Je hurlais de douleur au milieu de la nuit".
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C'est à cause d'une moquerie que Wang Huiyuan a demandé à sa mère de lui bander les pieds. Nous sommes en Chine dans les années 30 et la pratique est officiellement interdite depuis 1912, mais cela n'empêche pas la mère de la fillette d'accepter sa requête. Wang n'a que 6 ans et ne sait pas encore le calvaire qui l'attend. Dans une récente série de documentaires intitulée The Ascent of Woman et diffusée en Grande-Bretagne sur la BBC, celle qui fait partie des dernières femmes en vie à avoir subi la pratique des pieds bandés revient sur cette coutume barbare qu'elle a pourtant du mal à considérer comme telle.

Interrogée par le docteur Amanda Foreman, la vieille dame de 84 ans se souvient : "Je devais avoir six ou sept ans quand j'ai commencé le bandage avec l'aide de ma mère. Une fois que mes pieds ont été bandés, je me suis mise à hurler : 'Plus de ça ! Plus de ça !' Au début, c'était terriblement douloureux. La nuit j'hurlais de douleur, je criais : 'Ça se desserre !' Ils ont été bien bandés pendant un moment puis ça s'est un peu desserré. C'est pour ça que mes pieds ne sont pas si petits que ça au final".

"Je ne voulais pas être libérée"

Née au début du Xe siècle, la coutume des pieds bandés s'est perpétuée pendant plus d'un millénaire. Même après son interdiction, la pratique était encore extrêmement courante et le gouvernement s'est alors mis à traquer les femmes pour les forcer à retirer leurs bandelettes. Mais pour bon nombre de Chinoises, cette atrophie restait le symbole ultime de la féminité. Aussi, ces dernières n'hésitaient pas à se cacher. Wang Huiyuan fait partie de celles-là : "Je ne voulais pas être libérée. Les gens du gouvernement sont venus pour libérer nos pieds. Si on nous attrapait, on nous condamnait à une amende. On avait peur, on se cachait. Nous allions nous cacher très loin et nous ne ressortions qu'après leur départ".

Les pieds bandés, un symbole de l'oppression masculine ?

D'après la légende, c'est l'empereur Xuanzong qui aurait demandé à sa concubine de se bander les pieds pour exécuter avec plus de grâce la danse du lotus et ainsi accroitre son désir. A partir de cet instant, les pieds bandés sont devenus un symbole de féminité, de richesse et de distinction. L'importance donnée aux petits pieds (7,5 centimètres étant considéré la taille idéale, ndlr) était telle que les mères pratiquaient elles-mêmes cette torture sur leurs filles, espérant ainsi les marier à des hommes fortunés. Ainsi, la place des femmes dans la société chinoise s'est mise à dépendre de la taille de leurs pieds.

Pour le docteur Amanda Foreman, cette coutume n'est pas seulement révélatrice d'un standard de beauté de l'époque. Selon elle, les pieds bandés étaient également le symbole du contrôle des hommes sur les femmes : "Les chaussures de lotus (que portaient les femmes aux pieds bandés, ndlr) symbolisaient l'économie domestique dans laquelle les Chinoises étaient confinées. Cela est aussi révélateur d'une affreuse vérité concernant la beauté et la mode. Alors que pour certaines cela était un outil de libération, pour les autres c'était un instrument de l'oppression masculine. A ceux qui soutiennent que les pieds bandés sont la forme ultime de l'expression féminine, je réponds que c'est la forme ultime du contrôle de la femme et d'une idéologie très dure".

Pour rappel, la technique des pieds bandés était pratiquée très tôt chez les petites filles, soit dès 5 ans. Les orteils – à l'exception du gros – étaient pliés puis bandés contre la voute plantaire pour donner au pied la forme d'un bouton de lotus. Bien souvent, les orteils étaient fracturés volontairement ou accidentellement, ce qui générait des nécroses et des lésions. Si les bandelettes étaient changées souvent et les pieds trempés dans des solutions antiseptiques, les septicémies étaient courantes et on estime à 10% le taux de mortalité. Le but étant de faire entrer les pieds des fillettes dans des chaussures toujours plus petites et pointues au fil des semaines, ceux-ci finissaient par littéralement se casser en deux.

En 2014, la photographe et anthropologue Jo Farell avait réalisé une série de photos saisissante consacrée aux dernières Chinoises aux pieds bandés pour rappeler aux futures générations que cette coutume barbare a bel et bien existé.

Le docteur Amanda Foreman qui présente la série de documentaires "The Ascent of Woman"
Le docteur Amanda Foreman qui présente la série de documentaires "The Ascent of Woman"