L'interview girl power d'Inna Modja

Publié le Vendredi 24 Novembre 2017
Inna Modja en novembre 2016.
Inna Modja en novembre 2016.
Dans cette photo : Inna Modja
Artiste féministe engagée, Inna Modja a accepté de nous parler de son engagement auprès de la "Maison des femmes" et de son combat contre l'excision, à l'occasion de la Journée contre les violences faites aux femmes ce 25 novembre.
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Chanteuse, activiste contre les violences faites aux femmes et militante pour l'adoption d'une loi prohibant l'excision au Mali, Inna Modja se bat contre l'instrumentalisation des femmes. Cette enfant de Bamako, elle-même excisée par des proches de sa famille à l'insu de ses parents lorsqu'elle était enfant, veut montrer que l'on peut vivre avec "la souffrance de se sentir amputée d'une partie de sa féminité". Poète ambitieuse, Inna Modja libère dans sa musique ce qui brûle au fond d'elle. Ses racines africaines, ses blessures, le blues du désert du Sahel, les guitares mandingues, la flûte peule ou encore la soul de la Motown, influencent son art. A travers des titres comme Mister H, French Cancan et La Fille du Lido, Inna Modja inspire les nouvelles générations. Un enseignement qu'elle délivre également dans des groupes de parole. Comme à la Maison des femmes de Saint-Denis, qui accueille les femmes vulnérables ou victimes de violence, dont elle est marraine.

Pourquoi avoir choisi d'être marraine de la Maison des femmes ?

C'est très important pour moi d'avoir un lieu comme la Maison des femmes, où les femmes victimes de violences peuvent se sentir en sécurité. Elles ne sont pas obligées de passer par l'hôpital pour y entrer et bénéficient d'un suivi médical et psychologique. C'est un endroit où elles sont accompagnées. Quand Ghada Hatem (fondatrice de la Maison des Femmes- ndlr) m'en a parlé, la Maison des femmes n'existait pas, c'était un parking. On avait l'ambition de récolter suffisamment de fonds pour la construire. Je l'ai suivie dans ce projet parce que c'est une femme incroyable, passionnée et très engagée. Le travail qui y est fait aujourd'hui est exceptionnel. Moi qui suis activiste depuis 15 ans contre les violences faites aux femmes et je ne regrette pas du tout mon engagement auprès de la Maison des femmes.

D'où tenez-vous cet engagement personnel contre les violences faites aux femmes ?

Je viens d'une famille assez engagée, mon père nous a élevés avec des idées féministes et avant-gardistes. Puis, le fait que j'ai été victime de violence dans mon enfance, comme l'excision à l'insu de mes parents, m'a motivé à militer pour que ça n'arrive plus à d'autres petites filles et pour que les femmes aient les mêmes droits. C'est aussi important d'être activiste contre les violences faites aux femmes au Mali, qu'en France. Je me bats dans mon pays natal pour qu'une loi contre l'excision soit votée. Il y a environ 200 millions de femmes excisées dans le monde et près de 90% des Maliennes le sont. Je suis Malienne, je suis née et j'ai grandi à Bamako, je parle de problématiques que je connais, donc oui, je suis très investie.

Quel message voulez-vous faire passer à l'occasion de la journée contre les violences faites aux femmes ce 25 novembre ?

L'idée est d'agrandir la Maison des femmes. C'est très difficile de fermer la porte à une femme qui a besoin d'être accompagnée. Nous arrivons à un moment crucial où nous sommes dans cette impasse. Nous avons des groupes de parole pour les femmes victimes de violences domestiques, d'autres pour les femmes victimes d'excision qui souhaitent soit être réparées, soit en parler. Nous avons besoin de place.

Que pensez-vous de la libération de la parole des femmes suite à l'affaire Weinstein ?

Je pense que les femmes parlent beaucoup plus parce qu'elles sont aussi plus écoutées. Parce que certaines parlaient déjà depuis longtemps. Je pense aussi que les femmes sont très actives aujourd'hui dans ce débat, en partie grâce aux différentes plateformes qui sont créées. Il y a une espèce de sursaut, de prise de conscience, et elles se battent davantage, toutes générations confondues. Le féminisme est à nouveau dans la bouche des gens. Quand j'ai commencé à être activiste, c'était mal vu. Aujourd'hui on prend la mesure nécessaire de ce qu'apporte le féminisme dans la société.

Vous considérez-vous féministe ?

A 100%. Je me suis toujours considérée comme féministe. Mes deux parents le sont, j'ai eu cette éducation-là. Je me considère activiste depuis 15 ans parce que mes premières actions sur le terrain remontent à cette période. Mais féministe, je l'ai toujours été. Mes frères et soeurs le sont également. C'est pour cela que le fait de nous être fait exciser avec mes soeurs, dans le dos de mes parents, a été un vrai drame dans ma famille.

Qui sont les trois femmes qui vous ont le plus inspirée dans votre vie ?

La chanteuse Miriam Makeba, une femme très investie dans la lutte contre l'apartheid. Elle était devenue un symbole de la femme africaine militante. Je pense aussi à Simone Veil, parce qu'elle a tellement fait pour les femmes françaises. Et ma mère. Elle est encore aujourd'hui, une vraie source d'inspiration. Elle est la première femme de sa famille à avoir été à l'école, elle s'est toujours battue pour avoir son mot à dire dans sa vie et la société. Aujourd'hui elle est sage-femme. A l'époque, ce n'était pas gagné.

Qu'est-ce qui vous révolte le plus aujourd'hui en tant que femme ?

Qu'on justifie les violences. La tendance veut que lorsque des violences ont été infligées à des femmes, on se demande ce qu'elles ont fait pour le mériter. Aucun acte ne mérite la violence. Quand la société se demande de quelle façon était habillée une victime de viol ou quelle attitude elle avait, c'est inadmissible. On a tendance à remettre la responsabilité sur la victime plutôt que sur l'agresseur. Ça pour moi, je le répète, c'est inadmissible.

L'avancée pour les droits des femmes que vous attendez encore ?

L'égalité des salaires. Même dans les pays les plus développés, l'égalité salariale entre hommes et femmes n'existe pas. C'est une chose que nous avons toutes en commun, n'importe où dans le monde. Il y a aussi la parité lors de l'embauche : on pense que les femmes ne sont pas capables de réaliser certaines tâches ou d'atteindre certains objectifs parce que ce sont des femmes. C'est quelque chose de tellement ancré dans les mentalités que certaines femmes elles-mêmes, pensent ne pas avoir les capacités de faire ce qu'elles veulent. Il n'y a pas de raison qu'elles ne le puissent pas. La capacité n'a rien à voir avec le genre. Ce sont des croyances primaires et basiques.

La chanson girl power que vous aimez écouter ?

J'écoute beaucoup de styles différents (rires). J'adore Nina Simone, qui pour moi, oeuvrait à la perfection entre le féminisme et les droits pour les personnes de couleur. Je trouve que sa musique et son propos étaient assez révolutionnaires. Mais comme chanson girl power je pense à Girls Just Want To Have Fun de Cindy Lauper.

Avez-vous une citation inspirante pour vous motiver ?

Estée Lauder disait : "Je n'ai pas rêvé le succès, j'ai travaillé pour". Je me rends compte dans ma vie personnelle que le fruit de mon travail est souvent attribué à la personne masculine qui est à côté de moi. On a tendance à penser, surtout dans la musique, que les femmes ont besoin d'être accompagnées, découvertes, révélées. Comme si on ne pouvait pas le faire nous-mêmes. Moi je suis auteure-compositrice et je m'occupe souvent seule de la direction artistique de mes projets. J'ai produit ma tournée sur les cinq continents pour la première fois. Nous avons fait plus de 200 dates et avant de la faire, on m'avait dit que j'étais idiote de croire que je pourrai le faire seule et que je n'y arriverai jamais. On a tendance à croire que les chanteuses sont instrumentalisées par les hommes, que nous sommes des pantins. C'est faux.

Une campagne de crowdfunding a été lancée pour permettre à la Maison des femmes de récolter des fonds et s'agrandir. Pour faire un don, cliquez ici.

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