Le mariage forcé d'une ado tchétchène enflamme les réseaux sociaux

Publié le Jeudi 21 Mai 2015
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
Samedi 16 mai à Grozni, la capitale tchétchène, une jeune fille de 17 ans a été mariée de force à un chef de la police locale, de 30 ans son aîné et déjà marié. Depuis, la colère gronde sur les réseaux sociaux pour dénoncer une union aussi abusive qu'illégale, la polygamie et les mariages précoces étant proscrits dans le pays.
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Inutile de chercher un quelconque cliché de Louisa Goïlabieva souriante lors de son mariage le 16 mai dernier à Grozni, la capitale de la Tchétchénie : il n'y en a aucun. Âgée de 17 ans, cette jeune fille issue d'un milieu modeste a été mariée de force à Najoud Goutchigov, un chef de la police de la région de Noja-Yourt sous le regard "bienveillant" de Ramzan Kadyrov, le président tchétchène qui a comparé leur union à celle de Kate Middleton au prince William.


Un "mariage du millénaire" auquel Louisa a pourtant été contrainte. Sur les photographies prises lors de la cérémonie, la jeune fille, habillée en blanc de la tête au pied, lève à peine les yeux pour regarder son futur époux. Selon plusieurs témoins, il a fallu lui poser trois fois la question pour qu'elle finisse par répondre d'une voix étranglée, un "oui" tout juste audible.


La tradition au-dessus de la Constitution

Relayée en avril dernier par Elena Milachena, une reporter travaillant pour le journal indépendant Novaïa Gazeta, le mariage entre Louisa Goïlabieva et Najoud Goutchigov a suscité une vague de colère sur les réseaux sociaux russes. Et ce pour plusieurs raisons : d'abord parce que la Constitution russe qui s'applique dans cette république autonome musulmane interdit aussi bien les mariages précoces que la polygamie, mais aussi parce que le non-consentement de la jeune fille lors du mariage est généralement peu toléré par la tradition tchétchène.


Le problème, comme souvent avec les proches de Ramzan Kadyrov – dont fait partie le mari de Louisa – c'est que la loi ne semble pas les concerner. L'affaire est d'autant plus grave que, d'après la journaliste de Novaïa Gazeta, Najoud Goutchigov s'était dans un premier temps vu essuyer un refus de la part de la famille de Louisa à sa demande en mariage. Victime de menaces de la part de l'entourage du policier, les parents de Louisa auraient finalement accepté l'union pour éviter que leur fille ne soit enlevée.


"C'est une situation ignoble et inacceptable, mais elle est soutenue par les autorités car le marié est l'un des leurs. La jeune fille ne voulait pas de cette union mais pour la faire changer d'avis, il y a beaucoup de méthodes. C'est cela, aujourd'hui, la Tchétchénie", a déclaré dimanche une représentante des droits de l'Homme.

"La seule loi réelle qui s'applique c'est 'Ramzan a dit'"

Excédé par la mauvaise presse rencontrée par le mariage de Louisa Goïlabieva et Najoud Goutchigov, Ramzan Kadyrov – toujours très prolixe sur les réseaux sociaux – a qualifié la polémique de "tempête dans un verre d'eau". Postant plusieurs vidéos de la cérémonie sur son compte Instagram, le président tchétchène a affirmé que "les médias ont délibérément distordu la réalité en répétant des informations fausses et intrusives sur la vie d'autres personnes", avant de souhaiter "beaucoup de bonheur" aux jeunes mariés...


"Le droit russe ne fonctionne pas en Tchétchénie, de manière générale. La seule loi réelle qui s'applique c'est 'Ramzan a dit'", explique Tanya Lokshina, de l'ONG Human Rights Watch à Libération .


Malgré ses irrégularités, les autorités fédérales ont accepté l'union. Pour la défendre, la jeune Louisa ne pourra même pas se tourner vers le défenseur du droit des enfants au Kremlin Pavel Astakhov, ce dernier ayant affirmé qu'"aucun crime n'a été commis". "Dans le Caucase, la puberté est précoce. Ne soyons pas hypocrites : il y a des régions où, à 27 ans, les femmes sont déjà toutes ridées comme les nôtres le sont à 50 ans", a-t-il déclaré à la télévision russe.


Quant à la journaliste Elena Milachena qui a révélé l'histoire, elle a préféré quitter la Tchétchénie pour des raisons de sécurité, rapporte Europe 1 .