Manifestation contre la taxe tampon : j'y étais et... ça a saigné

Publié le Jeudi 12 Novembre 2015
Olga Volfson
Par Olga Volfson rédacteur
Non à la #TaxeTampon !
Non à la #TaxeTampon !
Ce mercredi (11 novembre), une centaine de féministes a investi la place du Châtelet à Paris pour protester contre la taxe tampon, 8 jours avant que le Sénat ne se penche sur l'amendement budgétaire visant à réduire la TVA sur les protections périodiques. J'étais l'une d'entre elles.
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Depuis le rejet de l'amendement proposé par la députée PS Catherine Coutelle visant à faire passer la TVA sur les protections périodiques (qui sont bel et bien des produits de première nécessité pour la moitié de la population) de 20% à 5,5% à l'Assemblée Nationale le 15 octobre dernier, les féministes voient rouge ! Il y a de quoi, lorsqu'on sait qu'une canette de Coca-Cola, elle, bénéficie de cette taxe réduite, et que ces décisions sont prises majoritairement par des hommes qui eux, n'auront jamais à saigner, et à raquer pour éponger, permettez-moi l'expression.

Surtaxées en plus d'être moins bien payées : "ras la moule" !

J'arrive à 15 heures pile pour le début de la manifestation, avec une complice et nos quatre pancartes, nous retrouverons les deux autres sur place. L'esplanade parisienne grouille de monde malgré la grisaille et une légère bruine. Au premier rang, des organisations féministes : le collectif Georgette Sand, à l'origine de ce rassemblement, l'association lesbienne, bi et trans FièrEs, le groupe d'action La Barbe ainsi que les omniprésentes troupes d'Osez le Féminisme. Julien Bayou, porte-parole d'Europe-Ecologie-Les-Verts et conseiller régional d'Ile-de-France, est aussi venu soutenir l'initiative.

Beaucoup de médias grossissent les rangs pour couvrir l'événement, certes, mais la quantité de slogans, banderoles et déguisements ne laisse pas place au moindre doute : la mobilisation est là. Et il y a même quelques alliés masculins dans la foule compacte, qui se serre pour s'entendre, laisser passer piétons et cyclistes sur les rebords de la place et sans doute aussi, inconsciemment, pour se tenir chaud.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que la colère face à cette injustice inspire les esprits créatifs : "Ma cup est pleine, 20%, ça déborde !", "Un utérus = pas de pognon", "Pour les hommes de l'assemblée, protéger ma sortie de grotte n'est pas une priorité", "Votre avis sur notre confort, on s'en tamponne", "Chaque fois que je saigne, l'État récolte", "Les tampons, ça coûte bonbon", "Les tampons dans mon vagin, la taxe dans ton cul".

Derrière l'humour, les revendications

Les journalistes interrogent les militantes présentes, mais ne peuvent cacher leur amusement face à l'ironie de certaines réponses (ou bien du ridicule de la situation contre laquelle on manifeste, tout simplement ?). Les passants, quant à eux, ne savent plus s'ils doivent rire, être choqués ou concernés en voyant la place du Chatelet investie par les tampons géants, le faux sang et les déguisements de vulves multicolores.

J'ai d'ailleurs pris un malin plaisir à recadrer un cinquantenaire qui est venu, sur ses grands chevaux, m'expliquer que du temps de sa mère, on mettait des protections en coton lavables et que c'était mieux. Tout en insinuant que je me tamponnais bien de ses mecsplications (mansplaining), je lui ai précisé que tous les produits (écologiques ou non, réutilisables ou non) dits "d'hygiène féminines" étaient taxés de la même manière quoi qu'il en soit. Et que le choix de ces produits si particuliers ne concernait que celles qui les utilisaient. Offusqué de mon manque de considération pour sa vénérable sagesse masculine, il s'en est allé.

"Que répondez-vous à l'État, lorsqu'il dit que des millions d'euros sont en jeu si on baisse cette taxe ?", me demande ensuite un journaliste armé d'un micro. Je réponds par une autre interrogation : "Et les millions qui sortent de nos poches alors qu'on n'a pas choisi d'avoir à les dépenser, quelqu'un y pense ?". Une militante, sur le côté, rajoute : "Le tout, en étant moins bien payées que les hommes, c'est la double peine". "Que faut-il faire alors ?", enchaîne-t-il. "Taxer les canettes de Coca !".

Les Georgette Sand, cheffes d'orchestre du jour

Un peu avant 16h, après avoir pris la parole avec les autres groupes féministes présents (malheureusement, la sono était un peu fatiguée, il était difficile d'entendre ce qui se disait), les Georgette Sand nous distribuent le texte de leur chanson "Laissez-moi saigner", dont elles avaient diffusé le clip la semaine précédente pour motiver les troupes. Faites attention, le refrain est très catchy (24 heures après, je l'ai toujours dans la tête) !

Bien que la chanson résume parfaitement, en riant jaune, toute la frustration et la colère ambiante qui a motivé le rassemblement du jour, les interviews télévisées commencent après ce petit intermède musical. Regonflées d'énergie militante après le succès du rassemblement, les Georgette Sand promettent à l'AFP qu'elles ne sont pas près de renoncer. Elles ont donc demandé un rendez-vous avec Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne ainsi que Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques "Notre tampon géant va aller jusqu'à Bruxelles ! Le sujet concerne 150 millions d'Européennes et mobilise beaucoup en Europe"

Rassemblement contre la taxe tampon : une première victoire... sur les tabous !

Aux alentours de 17h, la place commence à se vider. Ma joyeuse bande d'amies féministes et moi-même ne tardons pas non plus à remballer nos pancartes et si nous avons un peu froid, toute cette énergie militante nous a réchauffé le coeur. Nous verrons bien ce que disent les sénateurs le 19 novembre quant à la taxe des produits de protection périodique, et nous verrons aussi ce qu'il conviendra de faire alors, en temps voulu (en attendant, on continue d'envoyer des culottes tachées de rouge aux élus comme le suggère le Collectif Culotte !). Mais une chose est sûre, cet évènement écarlate est déjà quelque chose de positif.

Réussir à remplir la place du Châtelet de tampons, serviettes, vulves géants, de slogans ensanglantés et de chants engagés est déjà une victoire. Une victoire sur le tabou qui entoure les menstruations, et sur le manque de représentation dans le discours public dont elles sont victimes. Non, messieurs les élus, ce n'est pas sale, c'est la réalité mensuelle de la moitié de l'humanité. Et ce n'est certainement pas du "luxe". Il serait temps de cesser de tourner de l'oeil dès qu'on évoque le sujet, parce qu'après tout, c'est peut-être plus le facteur "gêne" que le facteur économique qui jette l'opprobe sur nos règles dans les hémicycles testostéronés ?