De quoi Lady Di était-elle le nom ? 25 ans après sa mort, le 31 août 1997, Diana Spencer fascine toujours autant. Et même pas besoin d'être abonné à Point de Vue, collectionner les mugs à l'effigie de la Reine ou s'appeler Stéphane Bern pour aimer et regretter la princesse de Galles. Car chacun retient de ce personnage ce qu'il souhaite : une valeur, une photo, un profil, un rôle.
Symbole de l'absurdité du système monarchique pour certains, emblème de la femme solitaire, secrète et mélancolique pour d'autres, à la fois femme de pouvoir généreuse, épouse délaissée, mère aimante... Il est passionnant de constater à quel point Lady Diana incarne certains stéréotypes (la mère, la princesse, la star glamour) tout en démontrant le poids des injonctions et pressions que font peser les stéréotypes en question sur les femmes.
Et cela, un film le démontre très bien : The Princess, nouveau documentaire estampillé HBO et dédié à la princesse disparue, à retrouver au cinéma ce 31 août. Soit un récap' de la vie mouvementée de Diana, de son mariage avec le prince Charles à sa mort tragique sur le pont de l'Alma. Ce sont uniquement les voix (d'époque) des journalistes et leurs images d'archives qui assurent la narration du film. Un concept audacieux et fort nous rappelant à quel point les médias ont fait et défait Lady Di, entre obsession et acharnement.
Un acharnement global, politique, parfois public, et, pour tout dire... sexiste. Car Lady Di a subi comme bien trop de personnalités féminines d'influence la misogynie crasse de son époque. Rappel des pires critiques.
The Princess revient généreusement sur l'un des grands scandales indissociables de la vie de Diana : sa vie conjugale, tout simplement. Sa relation révélée avec James Hewitt, la tromperie de Charles avec Camilla Parker-Bowles, les indénombrables clichés censés témoigner d'un "froid" entre la princesse et le prince... Rapidement, ce récit de couple devient pour la presse un feuilleton aussi inépuisable que Dallas. Et si Charles n'est pas épargné en terme de ragots, c'est Lady Di qui toujours en prend pour son grade.
Aux yeux de certains, Diana Spencer devient "la" mauvaise épouse : à la fois distante et envahissante (elle captive bien plus les médias que son mari, c'est un fait), bref, pas à sa place. Ce qui n'est pas loin de la réalité. Entre la différence d'âge (elle a 20 ans, Charles 32), l'ennui qui s'observe sur son visage, cette lassitude... Mais les mots des journalistes sont plus durs : "Il n'y a aucun lien physique, psychologique, émotionnel entre eux deux".
Lors de la sortie du livre Diana : sa vraie histoire d'Andrew Morton (1992), enquête qui fait beaucoup jaser, certaines voix se feront plus virulentes encore : "Lady Diana a un esprit malade, elle dit des choses horribles sur son mari, elle l'accuse d'être un mauvais père". C'est le public qui, au fond, la sauve. Au sein des émissions, des spectatrices s'exclament, scandalisées : "C'est à la presse de la laisse tranquille ! Tout mariage a ses problèmes et a besoin d'intimité".
On le comprend avec ces quelques bribes de clash, The Princess ravive une triste réalité : non, ce n'est pas parce que Lady Di était une femme privilégiée, surmédiatisée, aristocrate et star, qu'elle ne représentait pas un problème pour le patriarcat. Tout au long de ses excursions, intervieweurs et tabloïds ne seront ainsi pas avares en remarques sexistes.
De but en blanc, un journaliste lui demande un jour : "Que répondez-vous à ceux qui vous disent trop autoritaire et obstinée ?". Le tact. Le message est clair : sois belle et tais-toi.
"Je suis exigeante avec moi-même, mais pas avec les autres", décochera simplement la princesse en retour. Ce qui en dit long sur la pression que cette dernière devait subir : correspondre à une certaine image, s'imposer une discipline et, en retour, goûter à des questions aussi subtiles qu'un édito de Boris Johnson. On est très loin du conte de fées.
Et le pire, c'est que les choses semblent destinées à ne jamais changer. Cette hantise de la femme de pouvoir trop sûre d'elle, une autre figure royale abondamment critiquée l'a récemment évoqué : Meghan Markle, l'épouse du prince Harry, fils de Diana. Lors d'un récent podcast, cette dernière fustigeait le sexisme dont font l'objet les femmes trop ambitieuses. "Être une femme ambitieuse ne veut pas dire que l'on est calculatrice, égoïste ou agressive. Et si l'on est forte, féroce ou courageuse, ça ne veut pas dire qu'on peut s'en prendre plein la tête", dénonçait-elle.
Difficile de ne pas ressentir l'écho qui lie ces deux femmes et obsessions de la presse people. Deux personnalités qui prouvent au passage que santé mentale et famille royale constituent une très, très mauvaise équation.
Tout au long de la vie de Lady Di, tout du moins de sa carrière au sommet du royaume britannique, une grande question ne cessait de s'imposer, de plus en plus évidente, illustrée par ce documentaire implacable : comment une femme aussi moderne peut-elle survivre dans un système aussi archaïque ? Ce système archaïque, c'est évidemment celui de la monarchie, dont la princesse subira plutôt deux fois qu'une les traditions patriarcales.
C'est cette institution et les règles, rituels et bienséances qui lui sont propres qui lui valent d'être épiée : chacun de ses gestes, mots, regards, est commenté. Quelque part, Lady Di dérange. Elle-même sait qu'elle ne convient pas à ces protocoles qui l'étouffent. Lors d'une interview accordée à la BBC, elle dit les termes : "Je fais les choses autrement. C'est pour cela qu'on a décidé à ma place que je ne serai jamais reine. Je pense que la monarchie et le peuple devraient marcher ensemble au lieu d'être si éloignés".
Les interviews de Diana sont abondamment commentées. Et critiquées. On l'accuse de laver son linge sale en public. De salir la monarchie. De trop parler. On voit même en elle le signe du déclin du système monarchique. Or, sa relation au peuple appuie cette volonté de "marcher ensemble". Lady Di, relate dans sa première demi-heure The Princess, est paradoxalement considérée comme "un vrai cadeau pour la monarchie", puisque "accessible, avenante, suscitant un intérêt perpétuel". Intérêt qui pourtant, lui sera volontiers reproché... Face tu perds, pile, tu perds.
Pire que la femme invisible : la femme trop visible. Après son divorce retentissant, c'est ce qu'était devenue Lady Diana. The Princess nous renvoie d'une manière fracassante aux saillies dont la principale concernée fit alors l'objet. Les paparazzi ne la quittent pas d'un oeil ? On dit d'elle : "Elle aime se montrer !". Et pire encore. "Elle ferait n'importe quoi pour faire la Une. C'est devenu un monstre", entend-t-on alors en Angleterre.
Et lorsque Vanity Fair détonne avec son fameux portrait/interview "Diana Reborn" (la princesse souriante, émancipée, épanouie), l'opinion publique se fait plus virulente : "elle veut sa dose d'attention médiatique", vocifèrent certains sur les plateaux télévisés. Ces images semblent anecdotiques : une personnalité médiatisée, bien trop d'ailleurs, qui vivra aussi bien les vertus que les maux de la médiatisation. Mais ce n'est pas tout.
Comme l'a démontré récemment l'absurde scandale dont fut victime la Première ministre de Finlande Sanna Marin, suite à la diffusion d'une vidéo la dévoilant en train de danser et de chanter lors d'une soirée, une certitude perdure surtout : les femmes de pouvoir sont systématiquement conspuées lorsqu'elles sont trop visibles. Trop sonores. Trop modernes ? L'exemple de Lady Di est quasiment un cas d'école en la matière. Eloquent, et tragique.
C'est dire si les coups de rétro vers son passé à elle, et celui de son pays, témoignent d'une histoire qui n'évolue guère, celle du sexisme, politique et médiatique. Merci à The Princess de le rappeler vivement.
The Princess de Ed Perkins, en salles le 31 août.