Salon du Livre 2016 : les femmes auteures victimes d'inégalités salariales et de sexisme

Publié le Jeudi 17 Mars 2016
Adèle Bréau
Par Adèle Bréau Ex-directrice de Terrafemina
Ex-directrice de Terrafemina, je suis aussi auteure chez J.-C. Lattès, twitta frénétique, télévore, bouquinophile et mère happy mais souvent en galère.
Les femmes auteures prennent-elles leur place dans le monde littéraire ?
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Il fut un temps où elles devaient prendre des pseudos pour qu'on accepte leur présence dans le monde des lettres. En 2016, la place des femmes en littérature semble acquise et pourtant... Si beaucoup de gros vendeurs de romans sont des femmes, inégalités salariales et sexisme règnent aussi dans le petit milieu littéraire.
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Delphine de Vigan, E.L. James, Fred Vargas : toutes trois figurent parmi les dix auteurs les plus vendus en France en 2015. Mieux, Delphine de Vigan a décroché le Prix Renaudot, parvenant à réconcilier, une fois n'est pas coutume, succès populaire et lauriers de la critique. Serait-ce à dire que les femmes ont enfin trouvé leur place en littérature, après des siècles de tapisserie ? Pas vraiment, si l'on en juge par les chiffres toujours accablants qui mettent en exergue le sort réservé à la gente féminine par le petit milieu des lettres, engoncé dans un machisme dont il peine à se défaire, comme bien d'autres filières professionnelles certes moins artistiques.

Les auteurs femmes gagnent un tiers de moins que les hommes

En effet, Médiapart a publié ce mercredi (16 mars) les chiffres de l'IRCEC (la caisse de retraite complémentaire des artistes-auteurs). Ainsi y apprend-on que le revenu moyen annuel des auteurs affiliés (touchant plus de 8449 euros annuels de droits d'auteurs) par sexe place les femmes auteures à 29 114 euros par an contre 46 239 pour leurs homologues masculins, soit un tiers de moins, tout simplement. Seraient-elles, comme dans bien d'autres branches, de mauvaises négociatrices, la faute à une éducation qui les empêche de trop demander, et à des éditeurs ravis de faire l'économie de quelques deniers supplémentaires ? Ou vendraient-elles tout simplement moins ?

Interrogée par BibliObs en 2013, Amy King, du site Vida, visant à "explorer les perceptions de l'écriture féminine dans la critique et la culture", analysait le phénomène qui veut que les hommes soient davantage publiés, mais aussi chroniqués. A l'instar des experts invités à la télévision, encore trop souvent masculins, comme nous l'avions récemment relaté sur Terrafemina, il semblerait que les journalistes littéraires (souvent eux-mêmes des hommes), soient également plus enclins à puiser dans le vivier mâle des catalogues.

"Quand un écrivain réclame une critique pour son livre, il est souvent perçu comme audacieux ; alors que quand c'est une femme, elle est considérée comme "arriviste" ou "pleurnicharde"", analyse ainsi King, qui souligne également le rôle de la femme, dont on considère encore aujourd'hui qu'elle a le devoir de s'occuper des enfants, lui laissant de ce fait de moins de temps que les hommes pour s'adonner à l'écriture. Le 4 janvier 2012, BibliObs observait en effet que, parmi les 30 livres les plus chroniqués par la presse depuis l'été précédent, 26 avaient été écrits par des hommes...

"Une femme qui compose est semblable à un chien qui marche sur ses pattes de derrière"

Les Vigan, Pancol, de Rosnay et Vargas seraient-elles ainsi les arbres qui cachent la forêt ? Il semble bien. D'autant que Fred Vargas elle-même aurait choisi de réduire son prénom à un pseudonyme asexué parce qu'il "passait mieux" auprès des gens du métier comme du lectorat de romans noirs. Idem pour J. K. Rowling (Joanne), la "maman" d'Harry Potter, à qui un agent avait demandé d'utiliser ses initiales plutôt que son prénom afin que son livre ne perde pas de lecteurs. L'Histoire aura connu bien des anecdotes similaires, où des George Sand (Amantine Aurore Lucile Dupin) durent elles aussi se cacher derrière une identité mâle, ou "cosigner" avec un expert comme leur époux (Colette et Willie) afin de faire valider le sérieux de leurs écrits. Quant au prix Femina, appelé à son origine "Goncourt des dames", n'oublions pas qu'il est né du scandale causé par le refus de l'Académie Goncourt, en 1904, de couronner Myriam Harry, comme si une femme qui pense et écrit devait à tout prix se cacher. Ainsi Virginia Woolf citait-elle en 1928 dans Une chambre à soi l'extrait d'un article qui affirmait : "Une femme qui compose est semblable à un chien qui marche sur ses pattes de derrière. Ce qu'il fait n'est pas bien fait, mais vous êtes surpris de le voir faire." Ou encore Edmond de Goncourt qui, en 1893, analysait dans son journal* : "Si on avait fait l'autopsie des femmes ayant un talent original, comme Mme Sand, Mme Viardot etc., on trouverait chez elles des parties génitales se rapprochant de l'homme, des clitoris un peu parents de nos verges." Rien que cela.

Alors certes, pendant que s'ouvre à Paris ce 17 mars 2016 le 36e Salon du livre de la Porte de Versailles, on est bien loin de cette chasse aux sorcières visant à bouter les monstresses de la plume hors du viril sérail littéraire. Mais le sexisme qui y règne encore et toujours est un fait. En août dernier, nous vous avions relaté l'action de l'éditrice Sarah Davis-Goff, qui avait publié une tribune dans le Irish Times visant à mettre en lumière le "sexisme accidentel" des femmes elles-mêmes en littérature. Ainsi s'était-elle rendu compte que, lorsqu'elle interrogeait ses auteurs (hommes et femmes) sur leurs influences, ceux-ci ne nommaient quasiment jamais d'écrivaines. Il faut être conscient d'autre part que, sur 663 prix littéraires décernés depuis le début du XXe siècle, 108 l'ont été à des femmes, soit un petit total de 16% de lauréates.

"Il est très clair qu'il y a des problèmes liés à l'égalité des sexes dans le monde de l'édition et ces problèmes doivent être résolus avec des actions", concluait dans sa tribune Sarah Davis-Goff. Les femmes de cinéma font aujourd'hui entendre leur voix, grâce à des figures emblématiques telles que Emma Watson, Jennifer Lawrence ou Patricia Arquette, qui dénoncent les inégalités encore indécentes dans un milieu artistique pourtant reconnu comme plus ouvert d'esprit que d'autres filières moins lettrées. Et si les grandes voix du monde littéraire, auteures, éditrices, journalistes, unissaient leurs forces pour lutter contre ces "préjugés accidentels" ? Parce qu'il est temps, aujourd'hui, que les femmes aient tout autant leurs chances de devenir de Grands Hommes.

* dans Les femmes peuvent-elles être de Grands Hommes, de Christine Détrez chez Belin

Salon du livre 2016 : où sont les femmes ?
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