Sexisme au festival de la BD d'Angoulême : "C'est un miroir de notre société en général"

Publié le Mercredi 06 Janvier 2016
Anaïs Orieul
Par Anaïs Orieul Journaliste
Depuis que le festival international de la bande dessinée d'Angoulême a publié sa liste 100% masculine des nommés au Grand Prix 2016, les réactions outrées se multiplient. L'occasion de poser quelques questions à Marie Gloris Bardiaux-Vaïente, scénariste de BD spécialisée dans les textes historiques et membre du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme. Ce même collectif qui a permis de mettre à jour le sexisme ordinaire qui ronge le neuvième art.
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Terrafemina : Pourquoi selon vous, les femmes continuent d'être ignorées par le Grand Prix du festival de la BD d'Angoulême ?

Marie Gloris Bardiaux-Vaïente : De façon générale, les femmes sont ignorées par la société. C'est le patriarcat, c'est le sexisme au quotidien, c'est une réalité. Et dans notre profession, cette réalité existe comme partout ailleurs. Il y a quelques mois, nous avons monté notre collectif, nous nous sommes regroupées, et je pense que le problème nous a donc sauté aux yeux encore plus vite. Hier matin, quand j'ai reçu le mail annonçant les nommés au Grand Prix, j'ai fait un bon sur ma chaise. J'ai vu tout de suite les noms des 30 nommés et il y avait 0 femme. Et là, c'est une douche froide. Parce que lorsqu'on passe à zéro, c'est une négation totale. L'année dernière, il y avait Marjane Satrapi, donc bon on a toujours le truc de se dire : 'Une c'est peu mais c'est déjà ça'. Mais zéro, c'est dur.

Terrafemina : Le festival d'Angoulême est-il sexiste ?

Marie Gloris Bardiaux-Vaïente : C'est difficile de nous recenser, mais aujourd'hui on serait environ 15% d'autrices dans la bande dessinée. Donc évidemment, nous sommes moins nombreuses statistiquement. Il n'empêche que nous sommes de plus en plus nombreuses. Dans les années 70, il n'y avait que Claire Bretécher et Florence Cestac. Aujourd'hui, dans la charte de notre collectif, nous avons à peu près 200 signataires. Donc cela fait 200 autrices, scénaristes, dessinatrices ou coloristes. Ce n'est plus 2 femmes, c'est 200. Il y a une vraie sous-représentation. Pour moi, c'est juste un miroir de notre société en général. C'est un milieu très masculin dans lequel d'un seul coup on nous nie complètement. Moi ce qui me choque, c'est ce zéro. Parce que cela a un sens en philosophique. Se dire qu'il y a des gens dans un comité – dont on ne connaît pas la composition d'ailleurs – qui nomment 30 auteurs et qui ne se rendent pas compte à un seul moment qu'il n'y a aucune femme, c'est grave. Et le pire, c'est que je ne dis pas qu'ils ont fait exprès, je pense qu'ils ne s'en sont même pas aperçu.

Tf : Que pensez-vous de la réaction des nommés qui ont choisi de se retirer de la liste des nommés en soutien à leurs consoeurs ?

Marie GBV : C'est un soutien extrêmement appréciable, notre collectif les remercie. Je suis aussi très contente que notre dénonciation ait permis cette réaction. Ce sont des personnes connues, bien souvent plus connues que nous, donc c'est un appui important. Et puis je pense qu'on peut le dire, on a cassé le Grand Prix de cette année. Ils sont tous en train de se retirer et sincèrement, on ne peut que les remercier de ce soutien. Grâce à eux, nous avons accès à une grosse médiatisation, et c'est cette médiatisation qui nous permet de montrer à tout le monde l'énorme problème auquel nous faisons face. Qu'il y ait d'autres désistements ou pas, de toute façon ce prix on l'a entaché. Ils étaient 30, ils ne sont plus que 20. Ce n'était pas forcément notre volonté à la base, mais au final les gens se rendent comptent qu'il y a un gros problème et la valeur de ce prix s'en retrouve donc amoindrie.

Tf : Quand Franck Bondoux, le délégué général du festival, déclare : "Il y a malheureusement peu de femmes dans l'histoire de la bande dessinée. C'est une réalité. Si vous allez au Louvre, vous trouverez également assez peu d'artistes féminines", quelle est votre réaction ?

Marie GBV : C'est très grave qu'on en soit là. Je parle au nom du collectif et ma voix n'engage pas que moi donc je ne peux pas parler du cas personnel de Franck Bondoux ou de qui que ce soit d'autre. Mais tout ce que je peux dire c'est que lorsqu'on en vient à dire des trucs pareils sur les oeuvres d'art en général, c'est qu'on n'a pas conscience de l'histoire des arts et de tout le domaine culturel. Ça démontre qu'on ne réfléchit même pas au fait que l'Histoire en général a été de toute façon écrite par les hommes.

Tf : Avec la polémique qui a maintenant bien enflé, pensez-vous que la direction du festival va réagir ?

Marie GBV : Moi ce que j'espère, c'est que les gens vont ouvrir les yeux et se dire que oui, c'est hallucinant. On ne peut plus accepter ça, on ne peut plus accepter qu'on nous nie. Sur les réseaux sociaux on nous parle de quotas et de parité. Mais à aucun moment nous n'avons demandé ça ! Mais entre le quota, la parité et zéro femme nommée, il faudrait quand même qu'on réussisse à trouver un juste milieu pour se dire qu'il y a quand même des autrices qui ont une carrière longue, conséquente et de grande qualité pour qu'on ne les nie pas totalement.

Terrafemina : Vous faites partie du Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme qui a vu le jour en septembre dernier. De quoi cela est-il parti ?

Marie Gloris Bardiaux-Vaïente : En fait, ça a commencé quand le Centre Belge de la Bande Dessinée a contacté des autrices, notamment Julie Maroh, pour leur demander de participer à une exposition appelée "La BD des filles" . Et là ça a été la goutte d'eau. Franchement, on n'en peut plus. Bref, ce collectif s'est monté à ce moment-là puis on s'est dit que maintenant qu'on s'était regroupées, on pouvait devenir un instrument de veille sur cette problématique du sexisme dans notre medium.