Un sketch sur les femmes de djihadistes scandalise l'Angleterre

Publié le Jeudi 05 Janvier 2017
Hélène Musca
Par Hélène Musca Rédacteur
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Real Housewives of ISIS : le sketch comique de la BBC qui a indigné la Grande-Bretagne
Real Housewives of ISIS : le sketch comique de la BBC qui a indigné la Grande-Bretagne
Dans l'émission "Revolting", sur la BBC, un sketch comique de trois minutes a déclenché des vagues de réactions très contradictoires. Zoom sur cette vidéo qui divise le web et qui s'attaque au difficile sujet des femmes parties rejoindre des djihadistes.
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Selfies avec des vestes de suicide, tenues de fête pour les décapitations et crises de couple pour cause de tromperies avec les 40 vierges : "Real Housewives of ISIS" ("Les épouses de l'EI") le sketch comique de la BBC, ne fait pas dans la dentelle. Pendant parodique de "The Real Housewives", une émission de télé-réalité très populaire aux Etats-Unis qui met en scène des femmes au foyer américaines aussi fortunées que désoeuvrées, Real Housewives of ISIS propose à ses téléspectateurs une plongée satirique dans le quotidien des femmes de djihadistes qui vivent en Syrie.

Au programme : des femmes voilées, enfermées dans des immeubles en ruines, qui parlent chiffons, s'échangent des ragots et se crêpent le chignon, le tout arrosé d'une bonne dose d'humour noir et de références au terrorisme et à l'actualité. Audacieux mais corrosif, le programme est loin de faire l'unanimité et déchaîne les foudres du public depuis sa diffusion le 3 janvier, dans l'émission Revolting, un sorte de Petit Journal très impertinent et très britannique. Encore et toujours, la même question revient : peut-on rire de tout ?

"La décapitation est dans trois jours et je n'ai plus rien à me mettre !"

Le sketch de Revolting attaque très fort dès les premières secondes, en alliant l'humour (très) noir des Britanniques aux codes de la télé-réalité. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le résultat est cinglant. "Il ne me reste plus que trois jours avant la décapitation et je n'ai plus rien à me mettre", se plaint devant la caméra la première femme de djihadiste, Asfana. Mel, quant à elle, confie qu'Abdel l'a séduite en ligne : "J'ai dit oui quand il m'a parlé d'une assurance maladie", explique-t-elle dans un sourire.

Une autre parade avec une veste d'explosifs offerte par son mari la veille, qu'elle porte aussi fièrement qu'une robe de bal, tandis que ses amies postent des photos d'elle sur Instagram à grands coups de "#DjihadJane, #Mortaloccident et emojis Etat islamique" tout en crachant sur son dos ("Elle avait l'air horriblement massive dans cette veste... Il va en falloir, des explosifs pour la tuer, celle-là !")

Dans la deuxième partie de l'épisode, l'une des "housewives" traverse une véritable crise de couple : "Il parle tout le temps de ces 40 vierges [ndlr, celles que l'on promet aux djihadistes qui commettent des attentats-suicides]. Pourquoi ne peut-il pas être juste heureux avec moi ?" pleure-t-elle. Pendant ce temps, Zaynab nous montre fièrement le cadeau de son mari : une chaîne plus longue de quelques centimètres. "Je peux presque aller dehors, c'est vraiment génial", s'extasie-t-elle. On l'aura compris, le but de Real Housewives of ISIS était de tourner en ridicule les grands thèmes du terrorisme, afin de dépoussiérer un peu un sujet qui devient tabou à force d'être sérieux.

Un sketch très clivant qui a scandalisé la Grande-Bretagne

Les héroïnes du sketch comique de la BBC, Real Housewives of ISIS
Les héroïnes du sketch comique de la BBC, Real Housewives of ISIS

Ce sketch à visée comique est très rapidement devenu viral, et ce n'est pas uniquement pour son originalité : avec plus de 13 millions de vues sur la page Facebook de la BBC et commenté 64 000 fois, les "Real Housewives of ISIS" sont la nouvelle obsession –et le nouveau clivage- du web.

"Absolument odieux", "intolérable", "moralement abject", : beaucoup de Britanniques ont été outrés par la légèreté et le "mauvais goût" avec lesquels était traité un sujet de société très sensible, explique le Dailymail. Les détracteurs des "Housewives of ISIS" accusent le sketch de colporter des stéréotypes négatifs à l'égard des musulmans, mais surtout de se moquer de l'enfer vécu par les femmes tombées dans le piège des djihadistes. Ces dernières, qui sont la plupart du temps séduites par Internet, emmenées en Syrie puis mariées de force avant d'être retenues captives et réduites au statut d'esclaves sexuelles pour les combattants , "doivent être considérées comme des victimes et non pas traînées dans la boue de cette manière", s'énerve un internaute en commentaire. Vanessa Beely, écoeurée, propose à la BBC "de lancer aussi des sketchs sur les viols collectifs, l'usage des enfants comme porteurs de bombes [...] ou la pédophilie".

Le commentaire incendiaire de Vanessa Beely, une internaute anglaise
Le commentaire incendiaire de Vanessa Beely, une internaute anglaise

A l'opposé, beaucoup de voix se sont élevées pour soutenir la BBC et le choix des créateurs de Revolting, Heydon Prowse et Jolyon Rubinstein. Face à la polémique, ces derniers ont pris la parole pour se justifier et expliquer que le concept de Revolting était d'aborder tous les sujets de manière satirique et sans tabous, rapporte Le Monde : "C'est important de ne pas faire semblant. Il ne faut pas avoir peur ou ça mine votre crédibilité", a déclaré Prowse. Tout le monde est toujours tellement sérieux à propos de tout". "On essaie de se foutre gentiment de sa gueule", a rajouté son complice. Leur initiative a par ailleurs été largement félicitée, notamment par des musulmans qui ont trouvé ça "hilarant". L'un d'eux, Shimul Barak, a par exemple commenté : "En tant que musulman, je trouve ça HILARANT. C'est brillant, et la satire souligne parfaitement ce qu'a de pathétique un groupe extrémistes comme l'EI. Ce n'est pas offensant pour un musulman : ça se moque des djihadistes, pas de l'islam". Un autre ajoute : "Certains semblent clairement passer à côté du but de la satire : l'usage de l'humour, l'exagération, l'ironie ou le ridicule sont utilisés pour critiquer et dénoncer les vices et les idioties des hommes, et ça sonne particulièrement juste dans le contexte politique actuel".

Et quoiqu'on en pense, on ne peut que saluer cette volonté de dédramatisation, parce que c'est aussi une forme de résistance contre la terreur que Daech tente de nous imposer : refuser toute légèreté sur le sujet, c'est aussi le sacraliser. En 2017, soyons donc irrévérencieux : on en aura bien besoin.

Diverses réactions de commentateurs sur le Facebook de la BBC
Diverses réactions de commentateurs sur le Facebook de la BBC