White Shadow : le trafic des albinos au coeur d'un film coup de poing

Publié le Mardi 10 Mars 2015
Anaïs Orieul
Par Anaïs Orieul Journaliste
White Shadow : le jeune Salum Abdallah interprète l'un des héros du film
White Shadow : le jeune Salum Abdallah interprète l'un des héros du film
Dans cette photo : Ryan Gosling
Ils sont massacrés pour leurs organes aux supposées vertus magiques. En Tanzanie, les albinos sont victimes des croyances et vivent dans la terreur. Ce drame dont on parle peu en Europe, est au coeur du long-métrage White Shadow, en salles ce mercredi 11 mars. Plus qu'une fiction, un film d'utilité publique.
À lire aussi

C'est l'histoire d'Alias, un jeune garçon albinos qui assiste au meurtre de son père – albinos comme lui - et doit fuir loin de son petit village de Tanzanie s'il veut survivre. Voici le point de départ du film White Shadow de Noaz Deshe en salles ce mercredi 11 mars. En nous racontant les tristes péripéties d'Alias, le réalisateur israélien met en lumière un drame qui touche l'Afrique de l'est et partiellement de l'ouest depuis des décennies : les enlèvements et meurtres d'albinos pour leurs organes et membres aux supposées vertus magiques. Selon l'ONG canadienne Under The Same Sun , 151 personnes atteintes d'albinisme auraient été attaquées depuis 2006 en Tanzanie, tandis que 74 auraient été tuées depuis 2000. Autres chiffres glaçants : un expert de l'ONU rapporte qu'un membre d'albinos se négocie autour de 600 dollars tandis qu'un corps entier peut monter jusqu'à 75 000 dollars.

Ces actes barbares puisent leur source dans les superstitions et légendes propagées par les sorciers et guérisseurs. Ces derniers affirment que les organes d'albinos portent bonheur aux hommes politiques, aux chercheurs de minerais ou encore aux pêcheurs. Or, les élections générales approchant (octobre 2015), les candidats se tourneraient vers la sorcellerie pour accroître leurs chances de remporter la victoire. Ces derniers mois, les enlèvements et meurtres d'albinos ont donc augmenté dans certaines régions du pays. On notera par exemple l'enlèvement et la mort d'un bébé de 18 mois, retrouvé mutilé, l'agression d'un petit garçon en plein milieu de la nuit (sa main droit a été coupée à la machette), ou encore le meurtre d'une femme, démembrée chez elle par deux sorciers.

Un film pour réveiller les consciences

Le sort tragique qui attend certains albinos a touché en plein coeur Noaz Deshe alors qu'il était en Tanzanie pour participer à un atelier sur le court-métrage. Là-bas, le sujet est très largement traité dans les médias, et le réalisateur n'a pas pu passer à côté. En avançant dans ses recherches, il a également rencontré beaucoup de témoins d'agressions envers les albinos. La scène d'ouverture de White Shadow, où le père d'Alias est chassé comme un animal, lui a ainsi été inspiré par deux faits-divers, même si comme il l'explique au site International Policy Digest , " ces incidents étaient bien pires et leur côté rituel va au-delà de ce que nous percevons comme un comportement humain ".

Produit notamment par Ryan Gosling, White Shadow a conquis le public de tous les festivals où il a été diffusé. Auréolé du prix Lion of the Future au Festival de Venise et du prix des Nouveaux réalisateurs au Festival International du Film de San Francisco, le film a semble-t-il réveillé les consciences. Noaz Deshe lui-même sait qu'il n'avait pas le choix, ce sujet devait être traité. Interrogé par le site du Festival de Venise , il révèle : " Il est très vite devenu clair qu'un film devait être fait tout de suite. C'était urgent. L'idée de départ a dicté les règles et nous a donné une source inépuisable d'énergie ".

" Des actes inacceptables "

Comme l'a expliqué Noaz Deshe à divers médias, son film lui a également été inspiré par le reportage sur le massacre des albinos de la journaliste Vicky Ntetema. Diffusé en 2010 sur la BBC, le film a permis à la journaliste de recevoir le Prix d'Excellence décerné par la Fondation Internationale des Femmes dans les Médias. Le réalisateur en dit plus au site Berlin Poche : " Dès la publication de ce reportage, Vicky a été poursuivie par le gouvernement. Mais après quelques semaines, le premier ministre du pays a fait une apparition à la télévision et a déclaré, les larmes aux yeux, que ces meurtres sont en effet un problème considérable auquel les pays d'Afrique doivent faire face actuellement. C'est à ce moment-là que ces affaires ont été révélées au public ".

Les années ont passé, mais le travail de Vicky Ntetema a fait son oeuvre en Tanzanie. Une opération baptisée " En finir avec les meurtres d'albinos " a été lancée dans les régions du pays les plus touchées, et le président Jakaya Kikwete a plusieurs fois assuré qu'il " prendrait toutes les mesures " pour mettre un terme à " ces actes inacceptables qui sont une honte pour des gens civilisés ". Plusieurs personnes accusées de meurtres sur des albinos ont été jugées et condamnées à mort .

L'albinisme est une particularité génétique héréditaire qui touche un Occidental sur 20 000 et un Africain sur 4 000. Néanmoins en Tanzanie, une personne sur 1 400 en est atteinte, en raison notamment des mariages consanguins selon certains experts. 35 000 albinos sont recensés dans ce pays d'Afrique orientale, mais ils seraient en réalité entre 100 000 et 150 000.

Une mère et sa fille forcées de vivre dans un centre de protection en Tanzanie, août 2012
Une mère et sa fille forcées de vivre dans un centre de protection en Tanzanie, août 2012
Dans cette photo : Ryan Gosling