Laure Kaltenbach : "La culture est un sport collectif"

Publié le Lundi 08 Octobre 2012
Laure Kaltenbach : "La culture est un sport collectif"
Laure Kaltenbach : "La culture est un sport collectif"
Dans cette photo : Stephen King
"Culture : les raisons d'espérer". C'est autour de ce thème qu'artistes, experts, responsables publics et privés se réuniront du 15 au 17 novembre prochain au Palais des Papes, pour le cinquième Forum d'Avignon. Laure Kaltenbach, Directrice générale du Forum d'Avignon, croit en la culture comme lieu du rassemblement et de la diversité.
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La culture vous donne-t-elle une raison d’espérer ?

De nombreuses raisons d’espérer ! Diffuse et ancrée, personnelle et collective, vivante et morte, universelle et particulière, l’expérience de la culture est le ferment de la vie !
Que Jean Monnet ait prononcé ou non cette célèbre phrase « et si c’était à refaire, je commencerai par la culture », les crises actuelles nous appellent à repenser notre époque et à mettre la culture au cœur de l’Europe pour qu’un projet commun nous unisse – dans toutes nos diversités.
Ce n’est pas être boyscout que de s’enthousiasmer pour ce qui réussit à nous unir, ce n’est pas être hémiplégique que de s’attacher à observer l’aspect positif des choses. Et la culture nous y invite. Ce d’autant plus qu’elle s’appuie sur une action commune : la culture est un sport collectif.

Qui l’incarne le mieux ?

Tellement d’œuvres, d’artistes, de bâtisseurs ! Peut-être tous ceux qui tentent de définir la culture comme Cicéron s’y employa dans les Tusculanes au 1er siècle avant J.C. : « Un champ si fertile soit-il ne peut être productif sans culture, et c'est la même chose pour l'humain sans enseignement. »
Ou encore la formidable épopée de l’Internet. Mais pas sans règle car imaginez un Internet vide ? Non pas vide de tuyaux, de réseaux, de couches logicielles multiples, de boîtiers et d’écrans, de backbones et de fibre ou encore des quelque 1,5 million de km de câbles sous-marins qui sillonnent les mers et océans pour rendre la magie possible. Ni vide des billets d’humeur, des réactions à chaud, des imitations plus ou moins bienveillantes, des nouveaux services constitués à grand renfort de technologie et d’innovation créative ou par des phénomènes plus sociologiques de partage et de prescription.
Mais vide des livres qui nous ont construits et qui vont nous enchanter. Vide des meilleures répliques de cinéma qui sont devenues des cris de ralliement à partager entre amis et avec sa famille, vide des scènes d'anthologie ou des morceaux de bravoures, regardés en boucle. Vide des portraits et peintures qui reflètent les couleurs et la vie du Titien, des douze exemplaires des Bourgeois de Calais disséminés aux quatre coins de la planète, des joueuses de Polo pré-bouddhiques, de l'œuvre monumentale et fascinante de la dernière exposition d'Anish Kapoor au Grand Palais, des arts de la rue de Robin Rhode, des œuvres numériques de Charles Sandison, de l’univers fascinant de Louise Bourgeois ou de Subodh Gupta. Vide de la musique aux couleurs de l’Afrique de Salif Keita, de la harpe malienne et du violoncelle du duo magique qui réunit Ballaké Sissako et Vincent Ségal, de la force de Martha Argerich, de l’harmonie intérieure de Jordi Savall et Montserrat Figueras, de l’appel à la liberté de Léonore pour sauver Florestan, des métamorphoses des Beatles, de Bowie, d’Abba ou des Rolling Stones, de la dernière vidéo de Lady Gaga, de la poésie slamée de Grand Corps Malade, des refrains disparus à la fin de l’été. Des performances de Pina Bausch, des chorégraphies inédites de William Forsythe, des secrets bien gardés des répétitions des plus grandes compagnies de danse. Vide du bourgeois gentilhomme dans une multitude de versions, de la Russie décrite dans la cerisaie de Tchekhov, d’un Krzysztof Warlikowski en prise à la technologie. Vide des reproductions d’Aliénor d’Aquitaine, de Marie Durand, des amants Héloïse et Abelard ou du portrait de Madame de Maintenon pour préparer des exposés. Vide des poèmes conquérants de José Maria de Heredia, romantiques d’Arthur Rimbaud ou de l’inde actuelle de Tishani Doshi. Vide de l’écriture polyphonique de Mario Vargas Llosa, des intrigues haletantes de Stephen King, des rêveries de Rousseau, des épopées fantastiques de J.K. Rowling. Vide des bish?nen et bish?jo reproduits dans les mangas, des ports d’attache de Corto Maltese, des Spirou et autres Garfield. Vide des avatars qui défilent sur les jeux vidéos, vide des univers récréés en 2D, 3D, 3D temps réel avant qu’une technologie nouvelle – et déjà existante - ne vienne ajouter un sixième sens. Enfin, vide de toutes les œuvres et ouvrages en devenir dans les cerveaux des talents... Internet est une épopée formidable qui doit contribuer à développer la diversité culturelle et permettre que chacun puisse vivre de son talent.

Quelle serait l’initiative personnelle qui concrétise votre raison d’espérer ?

Il s’agit plus d’une initiative collective que personnelle : le Forum d’Avignon est une formidable raison d’espérer ! Être au confluent des disciplines artistiques, intellectuelles et techniques, partager les passions des technophiles aux intuitions géniales, des ingénieurs poursuivant leurs rêves, des talents récréatifs et de ceux – publics et privés - qui rendent la magie possible en investissant, dans tous les sens du terme, dans la création est une chance inouïe. Se remettre en question chaque année pour tenter de surprendre, de donner envie et de faire vibrer le cerveau droit et le cerveau gauche de celles et ceux qui contribuent et participent – et nous les souhaitons toujours plus nombreux - à cette aventure commune du Forum d’Avignon est un heureux destin.

Comment souhaitez-vous transmettre votre raison d’espérer aux générations futures ?

Je fais partie d’une génération relais : entre nos aînés, qui ont tracé une voie après la deuxième guerre mondiale et les générations numériques (natifs du digital, puis génération Y et maintenant génération Z). Entre les deux, mon cœur balance, non pas par sanctification du passé ou angélisme du futur. Il s’agit de trouver le bon équilibre entre la thèse de 700 pages qui nécessite une lecture attentive pour apprendre et comprendre les mondes qui nous entourent et les 140 signes du fil du poussin bleu. Montrer qu’en 700 mots, des idées complexes peuvent passer. Transmettre c’est partager. Or la culture, on la vit, on la ressent.


Le site du Forum d'Avignon


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