Françoise Benhamou : "Un livre numérique au-delà du livre numérisé"

Publié le Jeudi 25 Octobre 2012
Françoise Benhamou : "Un livre numérique au-delà du livre numérisé"
Françoise Benhamou : "Un livre numérique au-delà du livre numérisé"
"Culture : les raisons d'espérer". C'est autour de ce thème qu'artistes, experts, responsables publics et privés se réuniront du 15 au 17 novembre prochain au Palais des Papes, pour le cinquième Forum d'Avignon. Françoise Benhamou, économiste, livre ses "raisons d'espérer".
À lire aussi

La culture / l’imagination créative vous donne-t-elle des raisons d’espérer ?

La créativité n’est pas seulement nichée dans les œuvres, elle procède aussi de l’accompagnement des œuvres, et c’est sur ce terrain que j’aimerais me situer. La créativité imprègne toute la chaîne de valeur de la culture, du processus de création au processus de diffusion : créativité dans la manière de créer et de promouvoir son œuvre, créativité des modes de financement (crowdfunding), créativité des supports (le livre numérique et toutes ses déclinaisons), créativité dans les modèles économiques…

Cette créativité même permet l’émergence de manifestations aussi intéressantes et déconcertantes que l’exposition Wim Delvoye au Louvre, qui vient d’ouvrir ses portes. La nouvelle « porosité » du monde, notamment permise par l’émergence de nouvelles technologies de communication, a libéré les artistes en permettant une réorganisation économique et géographique : des artistes, auparavant contraints de déménager dans des pays tels que les États-Unis pour gagner en visibilité, peuvent désormais se faire connaitre dans leur propre pays sans avoir besoin du concours d’autres nations. L’émergence de nouvelles formes dynamiques de diffusion a également conduit à plus de créativité dans les propositions de diffusion - ne serait-ce que par les suggestions d’ouvrages ciblés. Par ailleurs, l’imagination créative bénéficie, de manière générale, de l’accroissement de la mobilité. Le déplacement des artistes aujourd’hui est un formidable moyen de faire se rencontrer des cultures différentes, même s’il reste encore beaucoup à faire dans le soutien prodigué à ces voyages d’artistes, notamment par le biais de programmes suivant un modèle proche de celui d’Erasmus. 
Le déplacement des musées hors de leurs murs constitue, de la même manière, une raison d’espérer à part entière : de Beaubourg au Louvre, au public des villes de province ou des prisons (exposition à la prison centrale de Poissy), la distance ne cesse de se réduire. On peut s’atteler aussi à la transposition de telles initiatives au-delà des frontières.
Les raisons d’espérer sont nombreuses – encore faut-il donner les moyens aux créateurs et aux autres de les concrétiser.

Qui l’incarne le mieux ?

Cela peut sembler dérisoire, bien trop « matériel », mais l’exemple d’un livre numérique qui irait au-delà du seul livre numérisé serait une réelle raison d’espérer, permettant une mise à jour simplifiée des données, davantage d’échanges et d’enrichissement des contenus presque en temps réel. On peut aussi décliner de nouvelles formes de créativité au sein de nouveaux « objets ».

Le numérique et la diversité des formes de la création qu’il induit permettent aussi aujourd’hui aux artistes de s’exprimer sous des formes « complémentaires ». L’exemple de la bande dessinée est fascinant, associant différents types de création se complétant, à travers les nouvelles formes de communication, de diffusion. Des réseaux se créent dans ces secteurs – réseaux de partage, de travail, de recherche de financement, etc., rappelant que la créativité se déploie dans l’adaptation, mettant en contact des artistes et ouvrant leurs cercles respectifs à de nouveaux horizons.

Dans la BD, je pense à Delitoon, au collectif 8Comix, et à bien d’autres encore. Plus généralement, cela peut aller de cercles restreints d’artistes et/ou d’amateurs à des cercles plus larges, de Socialarts à nombre de collectifs en région – pays de la Loire, Bretagne... D’une manière générale, Internet, comme outil, donne des raisons d’espérer parce qu’il constitue un vecteur incroyable de diffusion, avec la réserve à apporter sur la question de la protection des données, point de vigilance à maintenir en veille.

Quel serait l’initiative/l’œuvre/le concept qui concrétiserait votre raison d’espérer ?

Le monde universitaire, et le secteur de l’enseignement de manière générale, sont des champs en évolution permanente, au sein desquels la marge de progression demeure réelle. Les raisons d’espérer se mêlent aux raisons d’enseigner, de donner, de transmettre des codes, des clés, afin d’aider les jeunes défavorisés, de combattre la violence sociale, et celles-ci sont des raisons d’espérer auxquelles je réfléchis chaque jour. Les projets qui en valent la peine doivent pouvoir trouver leur place à l’école et à l’université, tout comme les artistes doivent pouvoir investir ces lieux, y travailler et partager avec les jeunes y circulant chaque jour.

Comment souhaitez-vous transmettre aux générations futures ?

Tout est à inventer en ce qui concerne l’accompagnement de la créativité et sa mise en valeur, quand elle existe. L’université, comme lieu d’émergence et d’accompagnement de la création, mérite d’être réinventée. Beaucoup reste à faire en matière de formation également : c’est la récurrence dans la fréquentation des lieux culturels qui fonde une relation de qualité entre une personne et l’objet culturel.

Une politique de la ville encourageant la diffusion de la culture à l’endroit même où les gens vivent permettrait de mieux transmettre, et d’aller vers de vrais changements. Il faut bâtir ces raisons d’espérer. Pour cela, l’art et la culture doivent aller vers les banlieues, la province, réinvestir l’ensemble du territoire et ne pas se limiter aux centres. Il faut obliger l’art à traverser les villes, à les imprégner. Le projet de Villa Médicis à Montfermeil était une bonne initiative si l’on prête attention à ce type de critères. La mise en place de résidences d’artistes dans les universités va également dans ce sens, et il y aurait une piste à creuser ici : Paris 13 avait ainsi tenté une expérience de ce type en accueillant en résidence des artistes de cirque.

C’est un aspect bien plus développé aux États-Unis ou au Royaume-Uni, du fait que le campus fonctionne plus en microcosme et que le temps consacré aux activités et aux pratiques culturelles y est beaucoup plus encouragé. A ce jour, beaucoup reste à faire pour professionnaliser le talent et faire de la créativité un métier, ou du moins un atout. Aux États-Unis, les activités extrascolaires, du sport à l’art, ont un poids qu’elles n’ont pas en Europe : une telle valorisation crée des opportunités pour des individus créatifs et encourage l’imagination au sein même des universités.

Enfin, les entreprises ont aussi leur rôle à jouer dans la transmission culturelle ; elles le font par le biais des Comités d’entreprise (accès aux spectacles par exemple) ou encore des Fondations… Pour les PME, la mutualisation de ce type d’initiative pourrait s’avérer très positive.

VOIR AUSSI

Laure Kaltenbach : "La culture est un sport collectif"
Liza Donnelly : "Ouvrir aux femmes de nouvelles opportunités par la culture"
Sana Ghenima : "La diversité culturelle peut aider à surmonter les conflits"

Dans l'actu