Religion et Internet : l'interview de Delphine Horvilleur, rabbin

Publié le Jeudi 12 Mai 2011
Religion et Internet : l'interview de Delphine Horvilleur, rabbin
Religion et Internet : l'interview de Delphine Horvilleur, rabbin
Internet et les innovations numériques bouleversent-ils les pratiques religieuses ? C’est tout l’objet de notre 6ème Observatoire réalisé avec Orange sur les révolutions numériques. Pour Delphine Horvilleur, rabbin à Paris mais qui a longtemps vécu aux Etats-Unis, il faut cesser de penser que la technologie dénature la religion et signe la mort de la spiritualité.
À lire aussi

Delphine Horvilleur est l'une des deux femmes rabbins en France. Titulaire d'un master de littérature hébraïque, elle a été ordonnée rabbin au plus grand séminaire rabbinique de New York (HUC). Elle enseigne la pensée juive et le midrash (littérature rabbinique). Elle est rabbin du MJLF (mouvement juif libéral de France) à Paris et rédactrice en chef du magazine Tenoua.

Terrafemina : Le sondage CSA réalisé dans le cadre de notre Observatoire sur la religion et le numérique montre que 2 croyants sur 3 sont très réticents à la religion sur Internet. Comment l’expliquer ?

Delphine Horvilleur : Pour moi ce sondage est révélateur d’une mentalité propre à notre pays. J’ai vécu aux Etats-Unis, et le contraste est drastique. Là-bas, l’utilisation de la technologie est très forte par les lieux de prières ou le monde de l’enseignement juif. Par exemple, des communautés se constituent de façon virtuelle. La technologie est tellement présente qu’elle a fini par envahir la pensée religieuse. Certains offices de Shabbat sont même retransmis sur le Net. En France, une telle réticence pose la question de savoir ce que l’on attend de la religion et si on veut qu’elle reste hors du temps et de la culture.

Tf : Pourtant, en France il existe beaucoup d’initiatives religieuses numériques (sites, blogs, réseaux…)

D.H. : Oui, et d’un point de vue juif, Internet comme vecteur d’enseignement ou de connaissance d’initiatives culturelles est très accepté. Par exemple, le site akadem.org rencontre un gros succès dans la communauté juive. On peut suivre des cours sur ce que cela représente de manger cacher. Ce qui pose problème en revanche, c’est notamment l’utilisation de la technologie au sein de la synagogue. Ainsi pendant Shabbat, il est interdit d’utiliser l’électricité et donc les technologies, ce qui pose un conflit pratique si l’on veut réaliser un podcast.

Tf : Ne s’agit-il pas aussi d’une manière d’individualiser la pratique religieuse ?

D.H. : C’est vrai que lorsque l’on parle de communauté virtuelle, cela signifie qu’il n’y a plus besoin d’être là pour faire partie d’un groupe et cela va à l’encontre de la pensée traditionnelle selon laquelle une communauté partage un même espace. Moi je fais partie de la mouvance libérale donc je n’y suis pas hostile.

Tf : Quand on voit certaines applications pour Smartphones très ludiques, est-ce que cela ne contraste pas avec le côté spirituel des religions ?

D.H. : Tout dépend dans quel esprit cela est fait. Si les gens imaginent qu’ils peuvent être lavés de tout devoir en un clic, il s’agit d’une paresse de l’esprit. Mais on ne peut pas faire l’économie du fait que la technologie peut donner lieu à une prise de conscience. Notre génération peut en faire quelque chose de noble et spirituel, et cela peut être un vecteur de communauté renforcée. Il ne faut pas tomber dans l’équation trop simple : technologie égale mort de la spiritualité.

Tf : Toujours selon notre sondage, très peu de pratiquants sont finalement au courant de la présence religieuse sur Internet. Cela vous étonne ?

D.H. : Dans ma synagogue on utilise une newsletter électronique, donc les gens sont très au courant. Nous le faisons peut-être plus que d’autres, mais de plus en plus de synagogues s’y mettent. De mon point de vue, il est inconcevable qu’une synagogue n’ait pas son site de nos jours, ne serait-ce pour informer des horaires des offices.

Tf : Pensez-vous qu’à l’avenir les pratiques religieuses numériques pourront remplacer les pratiques traditionnelles ?

D.H. : Je ne pense pas. La technologie ne remplacera pas le déplacement à la synagogue car les gens préféreront toujours le contact physique avec le prochain. En revanche il faut se poser la question de savoir en quoi la technologie va influencer la pratique et la pensée religieuses. Si la religion est ce qu’elle est aujourd’hui, c’est aussi grâce à l’imprimerie et dans une certaine mesure le téléphone et la télévision. Internet aussi aura un impact sur la façon dont on interagit avec le monde.

Tf : Internet, c’est aussi un lieu de prolifération facile de certaines dérives intégristes/ sectaires… qu’en pensez-vous ?

D.H. : Internet fournit une fausse culture de la transparence, un accès à la vérité avec un grand V, et il a consolidé les théories du complot qui ont simplifié les explications du monde. Les leaders du monde religieux doivent donc enseigner que le monde est complexe, tout comme sa lecture. Le contrôle des dérives se fera par l’enseignement et la pédagogie.

LES RESULTATS DE L’OBSERVATOIRE ORANGE SUR INTERNET ET LES RELIGIONS

Les résultats du sondage CSA sur Religion et Internet
Le benchmark des pratiques religieuses par l’Institut Treize articles web lab

VOIR AUSSI

Observatoire Tf-Orange : Religions et numérique, la tradition à l’épreuve des nouvelles pratiques
Religion et Internet : l’interview d’Isabelle Jonveaux, sociologue spécialiste des religions
Religion et Internet : l’interview de Saïd Branine, directeur de oumma.com
Religion et Internet : l’interview de François Nautré, spécialiste NTIC auprès des catholiques

Plus d'actu sur : DOSSIER Religion et Internet

Religion et Internet : l'interview de Saïd Branine, directeur de oumma.com
Religion et Internet : l'interview de François Nautré, spécialiste NTIC auprès des catholiques
Religion et Internet : l'interview d'Isabelle Jonveaux, sociologue spécialiste des religions