Fête des mères : le mythe de la mère idéale

Publié le Dimanche 03 Juin 2012
Fête des mères : le mythe de la mère idéale
Fête des mères : le mythe de la mère idéale
Pas facile pour une maman d'avouer en public qu'elle ne supporte plus ses enfants. Les enfants, on les aime, on ne les quitte pas, et c'est comme ça. Dans un essai fouillé, « Même les kangourous se détachent de leur mère » (Payot), le psychiatre Jean Maisondieu revient sur le mythe de la mère angélique et dévouée, négation de la femme et de sa sexualité, et qui serait à l'origine des manifestations de sexisme les plus violentes. Une théorie à explorer pour arrêter de culpabiliser. Entretien.
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Terrafemina : Vous vous attaquez au mythe de la mère idéale, à l’amour sans limite pour sa progéniture. Mais la plupart des mères ne vont-elles pas vous répondre que leur amour pour leurs enfants est sans limites ?

Jean Maisondieu : Elle peut difficilement répondre autrement, puisque c’est une exigence posée comme naturelle. En quelque sorte, sa réponse est truquée. Mais on rencontre des femmes qui arrivent à dire que tout n’est pas si facile. Qu’il est impossible de prendre soin de son enfant 365 jours par an, 24h/24. L’épuisement guette celles qui en font trop parce qu’elles n’osent pas s’avouer que cet amour pour leur enfant n’est pas inconditionnel, qu’il a ses limites. L’un des moments difficiles de la maternité est aussi la rencontre avec le bébé après l’accouchement. Ce moment est une sorte d’adoption, tout le monde s’extasie devant l’enfant comme s’il était parfait et beau, ce qui est loin d’être le cas de tous les nourrissons ; la mère doit faire connaissance avec lui, et ce n’est pas si simple. Si elle ne semble pas l’apprécier sans la moindre restriction, on la juge, on la condamne au lieu d’avoir de la compassion.

Tf. : Elisabeth Badinter a été l’une des seules avant vous à se poser haut et fort contre le concept d’instinct maternel. S’agit-il aujourd’hui de prolonger son combat ? Que penser de l’accueil plutôt violent qui a été fait à son livre : « Le conflit, la femme et la mère » ?

J. M. : Ma position est différente de celle de Mme Badinter. Je pose la question justement de la distinction entre amour maternel et instinct maternel. L’instinct existe, la mère est en effet conditionnée pour avoir les bons gestes, mais je veux montrer que l’amour ne découle pas naturellement de cet instinct. Pour la bonne raison que l’amour se caractérise par sa liberté, or l’instinct n’est pas une liberté. L’amour est une élection, on le comprend très bien pour l’amour entre adultes, mais pas pour l’amour maternel. De là résulte un mensonge, un fantasme de la mère 100% dévouée à son enfant. L’erreur de Mme Badinter c’est le clivage qu’elle opère dès le titre, entre la femme et la mère, comme si on pouvait séparer les deux : toutes les mères sont des femmes !

Tf. : Vous affirmez que cette image de la mère aimante confine au sexisme. Est-il dégradant de regarder la femme comme une mère, ce rôle n’est-il pas plutôt valorisant, puisque seules les femmes sont capables de donner la vie ?

J. M. : Les hommes participent tout de même un peu au processus… Cette façon de voir les choses qui veut qu’on assoit la dignité de la femme sur le fait qu’elle est capable d’être une mère, revient à la déprécier en tant que femme. C’est ce que traduit très bien cette formule populaire et très vulgaire, veuillez m’en excuser, « Toutes les femmes sont des putes, sauf ma mère par respect ». Tout le sexisme de notre société repose là-dessus. On considère qu’une femme qui n’a pas eu d’enfants n’a pas accompli son rôle de femme, alors qu’un homme n’a pas besoin d’être père pour prouver qu’il est un homme. Mais cela est en train d’évoluer et c’est plutôt positif.

Tf. : Vous consacrez même un chapitre au viol, expliquant que les condamnés pour crime sexuel ont été les « victimes » de ce mythe de la mère idéale. Comment avez-vous abouti à ce constat ?

J. M. : Dans le cadre de mon métier de psychiatre des hôpitaux, je me suis retrouvé à prendre en charge des patients incarcérés pour des crimes sexuels. J’ai découvert que derrière leur passage à l’acte sur des femmes anonymes, se cache une volonté de vengeance sur la mère. Celle-ci est un personnage fantasmé, qui doit être admirable, angélique, et qui s’oppose en tout à la femme qui a un sexe et une sexualité. Une mère normale doit être seulement intéressée par « moi », sinon c’est que je ne suis pas « aimable », et qu’elle est coupable de s’intéresser à autre chose (d’autres hommes) qu’à moi et pire de se désintéresser de moi. Ce déni de la sexualité de la mère, donc de sa féminité, entraîne un désir de rabaisser la femme, en la réduisant à sa sexualité, comme pour lui dire « tu n’es pas digne d’être mère », mais il n’excuse pas le crime évidemment.

Tf. : Dans les médias et la publicité, on a l’impression que le personnage clé est plutôt la femme complète, à la fois femme et mère, séduisante et aimante… Est-ce que l’on n’avance pas dans le bon sens ?

J. M. : J’ai plutôt l’impression que la pub en rajoute une couche. Les femmes y font beaucoup de choses, comme si il allait de soi de pouvoir être une mère parfaite et dévouée 24h/24, plus tout le reste à plein temps ! Ce qui est positif c’est qu’on commence à y voir des hommes faire ce que faisaient les mères toutes seules – ménage, emmener les enfants à l’école, etc. -. La publicité accompagne les changements, elle les amplifie, mais les modèles et les stéréotypes restent les mêmes.

Tf. : A l’approche de la fête des mères, quel message voulez-vous faire passer auprès des femmes, et de leurs compagnons, afin de mettre à mal le cliché de la mère idéale ?

J. M. : Mon conseil à tous : apprenez à vous détacher de votre mère, vous les adultes, essayez d’être adultes... Pour un enfant il est normal de fantasmer sur une mère idéale. Quant aux femmes, qu’elles ne croient pas tout ce qu’on leur raconte sur l’amour maternel. Vous n’êtes pas une mauvaise mère si vous en avez ras-le-bol. Vous n’avez pas l’obligation d’aimer votre enfant, seulement de le respecter. Mais il n’y a aucune restriction à votre droit de l’aimer.

Jean Maisondieu, « Même les kangourous se détachent de leur mère » (Payot).

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