Rentrée littéraire 2012 : « Le vase où meurt cette verveine », une histoire de famille

Publié le Mercredi 29 Août 2012
Rentrée littéraire 2012 : « Le vase où meurt cette verveine », une histoire de famille
Rentrée littéraire 2012 : « Le vase où meurt cette verveine », une histoire de famille
Dans ce roman épistolaire, Frédérique Martin met en scène un couple de septuagénaires qui se retrouve séparé à cause de problèmes de santé. La grand-mère part chez sa fille à Paris pour être suivie par un médecin, tandis que son mari sera accueilli chez son fils en province. Le livre commence par cette relation émouvante entre un vieux couple très amoureux, puis s'exposent les problèmes de communication entre parents et enfants, la difficulté à vivre ensemble, avant d'aller au fond des impasses de la famille. Un roman qui touche, surprend et questionne. Entretien avec Frédérique Martin, qui s'est interrogée avec nous sur la famille et ses enjeux.
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Terrafemina : Le roman met en scène un homme et sa femme, qui ont un grand besoin de communiquer à deux. Et pourtant, ils ont beaucoup de difficultés à parler avec leurs enfants… Pensez-vous que cette communication entre parents et enfants quasi-impossible que vous illustrez soit un problème récurrent dans les familles aujourd’hui ?


Frédérique Martin : Croyez-vous vraiment qu’on se parlait davantage autrefois ? Je ne connais rien de plus difficile que communiquer avec un autre être humain. Quand cette tentative s’enracine dans une relation affective aussi puissante que celle qui unit les parents et les enfants, les difficultés n’en sont qu’exacerbées. Mais ardu ne veut pas dire impossible. Je crois qu’il ne faut jamais renoncer à se faire comprendre et à « entendre » l’autre dans ce qu’il considère comme sa vérité. Un travail de longue haleine et sans ligne d’arrivée.

Tf : Pourquoi avoir choisi d’écrire sur la famille ?

F.M. : La famille est un thème récurrent chez moi. Rarement en accord avec ce qu’elle paraît être ou ce qu’on voudrait qu’elle soit, c’est une microsociété qui répond à ses propres règles, croyances, secrets et névroses. Parler de la famille, c’est donc, en ce qui me concerne, parler de la société. Dans les familles on retrouve des fonctionnements qui se vivent à plus grande échelle et qui dirigent le monde, avec les conséquences que l’on sait. Les grandes figures tutélaires du père, de la mère, du frère, de la sœur, etc. Les relations de dominants/dominés, les interactions, les prises de pouvoir, l’ascendant, les mécanismes profonds qui poussent à agir ou qui, au contraire, entravent l’action… Nous sommes aussi le produit d’une histoire transgénérationnelle, même défaillante ou inconnue.
Et pour quelles raisons écrivons-nous avec acharnement si ce n’est pour comprendre ? Dans mon cas, c’est la base qui m’intéresse : se comprendre, comprendre l’autre, c’est le socle fondamental de la relation.

Tf : Dans cette société où les générations ne parlent plus la même langue, où elles se parlent peu, comment communiquer en famille, entre trois générations ?

F.M. : La société actuelle est sans conteste plus communicante que les générations précédentes. Se parler peu ne fait pas problème, c’est se parler vrai qui est au cœur de tout. Il me semble qu’il faut exercer deux qualités : la capacité d’empathie et l’acceptation – la compréhension – que chaque génération a ses propres codes liés à l’évolution du contexte dans lequel elle a été baignée. C’est donc percevoir chaque individu dans sa singularité, son histoire personnelle, sans perdre de vue qu’il est aussi façonné par une époque, une culture, un héritage moral et bien d’autres facteurs encore. À cela s’ajoute le fait non négligeable que, même en mettant ces attitudes en œuvre de manière lucide et volontaire, rien n’en garantit la réciprocité. La responsabilité d’une relation est dans les deux sens !

Tf : Les rôles parents-enfants semblent s’inverser dans le roman, quand les enfants s’occupent de leurs parents sous leur toit, qu’ils ne les laissent plus prendre de décisions… Dans le cas où les grands-parents deviennent vieux et que leur santé ou moyens ne leurs permettent plus de vivre seuls, comment faire pour qu’ils puissent garder une forme d’indépendance ?

F.M. : En les laissant être vivants jusqu’au bout. Un avenir sans projet, sans choix, sans désir, aussi bref soit-il, est-ce encore une vie ? On confond trop souvent vieillesse et sénilité. Si les limites physiques doivent être prises en compte, elles n’ont pas pour autant à se substituer au droit de chacun de vivre en accord avec lui-même. La réciprocité entre en jeu à nouveau. Nous attendons de nos parents qu’ils nous comprennent, qu’ils évoluent avec nous et qu’ils soient capables de s’adapter à nos transformations. De quoi d’autre s’agit-il alors, quand vient leur tour, que de répondre à une demande similaire qui prend juste une autre forme ? Commencer ou finir sa vie, c’est toujours l’arpenter. Le désordre vient de ce que chacun se croit mieux placé que l’autre pour décider à sa place.

Tf : Pensez-vous qu’on puisse « trop s’aimer » dans un couple, comme celui du livre, au point d’en oublier ses enfants ?

F.M. : Trop s’aimer ? Je n’y crois pas. Mal aimer, ne pas savoir aimer, ne pas être capable d’aimer… certainement. Entre la fonction biologique de parentalité et sa fonction affective, il y a d’innombrables nuances. On peut, par exemple, recevoir de l’amour, mais pas celui qu’on attendait. Croire en donner et se retrouver médusé parce qu’il n’est pas perçu. Il y a un malentendu fondamental entre l’intention et la perception.

Tf : Dans le roman, les relations entre les membres de la famille semblent être cordiales et correctes, jusqu’à ce qu’ils habitent ensemble…. La cohabitation parents-enfants, selon vous, est-elle possible après des années de vies indépendantes, et avec le fossé générationnel ?

F.M. : Vivre ensemble est une épreuve car nous sommes des animaux de territoire. À plusieurs, nous ne cessons de lutter pour conserver notre espace, voire pour l’agrandir. Nous souhaitons tant ordonner le monde à partir de nous, pour le maîtriser, lutter contre la peur, sauver notre peau, pour tout un tas de raisons plus ou moins objectives et avouables. Mais cela reste possible, bien sûr. Il y a des familles qui vivent cette cohabitation avec harmonie et même avec joie. C’est un choix de vie pas toujours facile, mais assurément riche. Toute la complexité tient à la qualité de relation que nous entretenons avec nos parents. Il y a toujours eu des pères et des mères pour abandonner leur progéniture et des enfants pour délaisser leurs familles. Ou pour se maltraiter. Parfois la « sauce ne prend pas ». Faut-il rester arrimé de force les uns aux autres ? Avons-nous des droits et des devoirs mutuels ? Il y a des questions qui demandent du courage. On peut les éluder, ou y faire face. Ce sont des choix, parmi la multitude que nous ne cessons d’avoir à faire et en tant que tels, ils comporteront toujours des avantages et des inconvénients. Quant à « opter pour le plus sûr »… à part mourir, je ne vois pas (rire).

Tf : Le roman se termine sur une note assez noire… Vous avez peur de vieillir ?

F.M. : Le roman laisse le lecteur sur une ouverture, un champ des possibles. C’est une histoire qui parle d’amour, et celui-ci n’est pas toujours rose, contrairement à ce qu’on voudrait croire. Mais l’amour qui est là, saurons-nous le reconnaître ? Saurons-nous l’accueillir ? La perspective de la vieillesse me confronte à des peurs multiples : dépendance, solitude, ennui, souffrance, perte, diminution… mais j’espère aussi que vieillir s’apprivoise et qu’il me sera donné d’être désirante, de savoir trouver la joie où elle se niche, de rester moi-même, d’accepter ce qui viendra. Bref, d’être vivante jusqu’à la fin.

« Le vase où meurt cette verveine » de Frédérique Martin, Éd. Belfond, 18€.

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