CrowdEmotion, une caméra qui scrute les émotions du téléspectateur : attention danger ?

Publié le Jeudi 19 Juin 2014
CrowdEmotion, une caméra qui scrute les émotions du téléspectateur : attention danger ?
CrowdEmotion, une caméra qui scrute les émotions du téléspectateur : attention danger ?
La BBC a annoncé, le 16 juin sur son site Internet, un partenariat avec la société CrowdEmotion qui développe une caméra capable de décrypter les expressions faciales. La vénérable chaîne britannique compte se servir de cette technologie sur ses téléspectateurs afin de leur proposer des programmes qui leur conviennent. Une avancée scientifique et technique, certes, mais quid des dérives potentielles ?
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La BBC Worldwide a annoncé avec fierté un partenariat avec la société CrowdEmotion, une jeune pousse prometteuse faisant partie du programme 2014 de mécénat annuel de la chaîne, le BBC Worldwide Labs. La start-up qui a mis au point des caméras capables de déchiffrer les émotions sur un visage a été sélectionnée par le pôle audience de la « Beeb ». Le but est d'utiliser sa technologie afin d'identifier les réactions du téléspectateur face aux programmes de la BBC, à l'instar de la célèbre série Sherlock.

La caméra CrowEmotion est annoncée comme un petit bijou technologique. En rassemblant les connaissances neuroscientifiques de ces 20 dernières années, la start-up a réussi à isoler les expressions et actions caractérisant chaque émotion puis à les catégoriser, de la joie en passant par la peur, le dégoût ou la tristesse. À terme, la BBC souhaiterait déterminer « ce que [ses] fans aiment regarder » mais pas s'il faudrait pour cela installer ladite caméra avant de pouvoir regarder lesdits programmes. Le PDG de la société, Matthew Celuszak, espère pour sa part que sa trouvaille contribuera à « faire émerger des émissions de qualité ». Un objectif qui se veut bien noble, mais sera t-il tenable ?

La NSA derrière la web-cam ?

Il vient tout d'abord la question évidente de la vie privée. Posséder une webcam associée à son écran de télévision, les deux appareils devant certainement fonctionner de manière simultanée, pose une question brûlante : la CrowdEmotion sera t-elle uniquement utilisée pour repérer les émotions, ou nous filmera t-elle ? Les vidéos seront-elles ensuite stockées ? Depuis les révélations fracassantes d'Edward Snowden en juin 2013 concernant les intrusions dans la vie privée  par les agences gouvernementales américaines, le regard des sociétés civiles sur ce type de technologie, pour le moins intrusive, a irrémédiablement changé.

Le « temps de cerveau humain disponible »

Par ailleurs, il n'est pas certain que les programmes plaisant le plus au public soient ceux qui se démarquent par leur intelligence. Les Anges de la télé-réalité de NRJ12 dépassent régulièrement le million de téléspectateurs, est-ce pour autant une émission de qualité ?

En outre, il ne faut pas oublier que la publicité constitue l'un des principaux revenus d'une chaîne de télévision, les programmes permettant de segmenter la population présente lors de la diffusion des réclames. Patrick Le Lay, l’ancien PDG de TF1, expliquait en 2004 que « le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. […] Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ». Et la CrowdEmotion, en ce qu'elle permet un ciblage plus fin du consommateur, semble être un énième moyen à destination des services marketing pour réaliser d'habiles placements produit.

Minority Report cathodique

Enfin, alors que Google est parfois accusé de réduire notre vision du monde en triant les résultats de recherche, la CrowdEmotion peut également être suspecte du même délit. Finalement, que ce soit la BBC ou une autre chaîne, deux options pourrait peut-être se présenter. D'un côté, imaginer le moindre désir du téléspectateur dans une anticipation à la Minority Report aboutissant à un formatage et un nivellement certain. De l'autre, se servir des données récoltées pour arbitrer des choix de programmation. Et ce, sans déroger à une ligne éditoriale exigeante ? Là est toute la question.

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