Sexisme sur le tapis rouge : sommes-nous toutes complices ?

Publié le Mardi 20 Janvier 2015
Ariane Hermelin
Par Ariane Hermelin Journaliste Terrafemina
Journaliste société passée par le documentaire et les débats en ligne sur feu Newsring.fr.
Sexisme sur le tapis rouge : sommes-nous toutes complices ?
Sexisme sur le tapis rouge : sommes-nous toutes complices ?
Dans cette photo : Scarlett Johansson
Une vidéo diffusée par le site « Upworthy » brocarde les questions sexistes posées aux actrices sur le tapis rouge. S’il est légitime d’exiger que les journalistes ne se cantonnent pas à l’apparence des stars, il ne faut pas non plus oublier que celles-ci s’exposent à cette inquisition en signant des contrat avec des marques pour devenir leurs ambassadrices glamour.
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« Qui a dessiné votre tenue ? », « Vous avez fait un régime pour rentrer dans votre robe ? », « Parlez-nous de vos préparatifs pour ce soir »... Voici un échantillon des questions posées aux actrices lorsqu’elle foulent le tapis rouge avant les Oscars, les Golden Globes, et toutes les avant-premières. Sans compter ces interrogations hautement existentielles portant invariablement sur leur apparence et qui sont le lot des stars féminines en promotion d'un film.



« Vous faites ça aussi aux hommes ? »

Ces questions ont été compilées dans la vidéo ci-dessus mise en ligne sur le site Upworthy la semaine dernière. On y voit ainsi, entre autres, Scarlett Johansson prendre la mouche quand un journaliste lui demande quel entraînement physique elle a suivi pour pouvoir incarner la Veuve noire dans Avengers, ou encore la séquence désormais célèbre lors de laquelle Cate Blanchett prend à partie un cameramen qui filme sa robe sur le tapis rouge des SAG Awards et lui demande : « Vous faites ça aussi aux hommes ? ». Une réaction désormais immortalisée sous le forme du GIF ci-dessous, et devenue synonyme de la rébellion des actrices contre le traitement médiatique ras-les-paquerettes des cérémonies de récompense. Moins connu, mais tout aussi jubilatoire, voici, en-dessous, le doigt d’honneur d’Elisabeth Moss (actrice de Mad Men) face à la caméra de la chaîne E! Entertainement qui filmait… sa manucure.

Cate Blanchett

Elisabeth Moss

Inspection du corps de la femme VS 7ème art

Le succès du montage d’Upworthy diffusé au lendemain des Golden Globes et repris massivement en pleine saison des cérémonies de récompenses (« awards season » en anglais, ndr), a contribué à relancer sur les réseaux sociaux la campagne #AskHerMore inaugurée l’an dernier. Cette initiative, mûrie par l’association The Representation Project, avait pour but d’encourager les journalistes à ne pas parler que chiffons avec les célébrités.

Surfant sur ce phénomène médiatique, le site américain Bustle a d’ailleurs établi une liste des « 5 questions sexistes qui ne devraient pas être posées sans arrêt aux actrices ». Soit tout ce qui concerne leur tenue, leur préparation à la soirée, leurs sous-vêtements ou leur régime. Très justement, la journaliste Kristen Sollee écrit : « Il n’y a rien de mal dans le fait d’être fière de son corps et de l’afficher, mais si cette inspection sadique du corps de la femme observée lors de chaque apparition publique ou chaque interview pouvait être remplacée par des interviews aussi approfondies au sujet du 7e art, ce serait révolutionnaire. »

Choisissant la forme parodique, le site Buzzfeed a fait sensation l’an dernier en soumettant Kevin Spacey à un questionnaire généralement réservé aux femmes lors des Golden Globes ; un exercice auquel l’acteur de House of Cards s’est d’abord prêté de bonne grâce, jusqu’à ce qu’on lui demande s’il avait fait une manucure avant la soirée…


Bad buzz, meme et danseuse de flamenco

Les tenues de stars lors de cérémonies ou d’avant-premières font systématiquement l’objet d’articles dans la presse. Se moquer des robes nunuches ou des tenues tout simplement moches est même devenu le sport national de certains médias ou blogueurs comme Perez Hilton, qui consacre toujours un article aux « best dressed », et, son pendant vachard les « worst dressed » (« les mieux habillées », et « les moins bien habillées », ndr), quand il ne pointe pas sournoisement du doigt les « wardrobe malfunctions », soit les « accidents de garde-robe » (pensez à Sophie Marceau au Festival de Cannes en 2006). 

Capture du site Coco Perez

Rien de très étonnant là-dedans : il suffit d’évoquer le sujet des robes de stars aux Oscars au sein de la rédaction d’un site féminin pour constater que les ratages vestimentaires des célébrités marquent plus les esprits que les tenues sublimes. C’est humain, les loupés font rire, comme en témoignent le bad buzz autour de la robe « barbe-à-papa » de Lena Dunham aux derniers Emmy Awards, ou les moqueries essuyées par Catherine Zeta-Jones, comparée à l’émoticône « danseuse de flamenco » lors des derniers Golden Globes. Sans oublier le célèbre jeu de jambes d’Angelina Jolie dans sa robe noire en 2012, devenu carrément un meme sur Internet… 


Angelina Jolie

Sommes-nous toutes hypocrites ?

Mais, alors, comment expliquer le succès de la vidéo d’Upworthy sur l’attention excessive accordée à l’apparence des stars ? Ferions-nous preuve d’hypocrisie, en dénonçant les travers des médias, pour, l’instant d’après, décortiquer les tenues des actrices, et, pire, nous gausser de leurs choix vestimentaires ? Sans doute. Le fait est que les « red carpets », les articles montrant le défilé des célébrités sur le tapis rouge, font figure de « marronniers » dans les journaux. Vite rédigés, vite lus, ces papiers illustrent à n’en pas douter la contradiction (voire, aux yeux de certains, la schizophrénie) de la presse féminine, qui conseille bien souvent à ses lectrices de s'accepter « telles qu'elles sont » tout en érigeant les stars au rang de déesses inaccessibles ou de modèles à copier.

Quant aux actrices, n’oublions pas qu’elles ont leur part de responsabilité dans ce phénomène. Nombre d’entre elles sont en effet tenues de révéler le nom du créateur qui a réalisé leur robe ou la marque de bijoux qu’elles portent, en échange du prêt gratuit de ces atours (ou d'un gros chèque). Sans parler des contrats lucratifs que certaines ont avec des grandes marques de vêtements ou de cosmétiques, dont elles sont aussi là pour faire la promotion sur le tapis rouge.