Entrepreneurs : la prise de bec ne s’arrête pas au mouvement des Pigeons

Publié le Vendredi 19 Octobre 2012
Entrepreneurs : la prise de bec ne s’arrête pas au mouvement des Pigeons
Entrepreneurs : la prise de bec ne s’arrête pas au mouvement des Pigeons
Dans cette photo : Audrey Pulvar
En dix jours, le mouvement des pigeons s'est imposé comme un acteur clé du débat sur la politique économique et fiscale du gouvernement. Si les 70 000 entrepreneurs mécontents ont en partie été entendus, l'envolée polémique ne dégonfle pas pour autant. Éditorialistes, politiques et chefs d'entreprise alimentent les prises de bec. Dernièrement c'est Audrey Pulvar, rédactrice en chef des Inrocks, qui s'est fait recadrer par Patrick Robin, fondateur de l'agence de social marketing 24h00.fr. Terrafemina fait le point avec l'intéressé.
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Terrafemina : Dans une tribune parue sur le Huffington Post, vous répondez à l’édito d’Audrey Pulvar, rédactrice en chef des Inrocks, qui attaquait le mouvement des pigeons. Vous faites allusion au « malaise des entrepreneurs ». D’où vient-il selon vous ?

Patrick Robin : Le malaise ne date pas d’hier, et encore moins du 6 mai 2012. Mais il s’est sans doute accéléré ces derniers mois. Quand Fleur Pellerin déclare « En France, il y a toujours eu un problème avec l’argent (…) il y a sans doute un petit problème avec la réussite » et qu’Audrey Pulvar s’autorise à la brocarder je la défends et cela même s’il peut m’arriver d’être parfois en désaccord avec notre ministre des PME et du Numérique. Quand on est ministre et socialiste il faut une certaine dose de courage et d’honnêteté, s’émanciper de tout dogme, pour énoncer haut et fort un tel constat.

Tf : Pensez-vous que ce malaise soit profond ?

P. R. : Oui le malaise est profond. Les entrepreneurs sont souvent stigmatisés, assimilés aux grands patrons et aux abus de certains alors que 80% des patrons de PME font partie de la classe moyenne. Les entrepreneurs et les investisseurs sont fatigués de n’avoir aucune visibilité, aucune stabilité fiscale. Les 3 millions d’entrepreneurs ne se réveillent pas tous les matins en se demandant où ils vont bien pouvoir s’installer pour payer moins d’impôts. Ils se demandent simplement comment ils vont pouvoir faire leurs échéances, comment ils vont pouvoir se financer, comment ils vont pouvoir se développer à l’international, comment ils vont pouvoir embaucher des profils qualifiés… Créer son entreprise est un combat de tous les jours, 7j/7, et les entrepreneurs ne comprennent pas pourquoi ils doivent aussi se battre contre l’administration et les gouvernements successifs de leur propre pays alors que la concurrence est mondiale et qu’on devrait tout faire pour les aider à créer des emplois, innover, investir.

Tf : La France est-elle si ingrate envers ses entrepreneurs ?

P. R. : En contrepoint du malaise que je viens d’évoquer, Il y a aussi d’excellentes choses en France pour les créateurs d’entreprise et notamment pour les entreprises de croissance. Le Crédit Impôt-Recherche qui va sans doute être étendu à l’innovation, le statut des JEI (Jeunes entreprises Innovantes), Oseo…. mais surtout il y a (il y avait) un formidable éco-systeme du financement des start-up que nous avons mis près de 15 ans à bâtir et que beaucoup de pays nous envient. Les Business angel sont un maillon essentiel dans la chaîne de financement. Ce sont eux, avec les entrepreneurs, qui prennent le plus de risques en investissant dès la première heure dans ces projets qui la plupart du temps ne font encore aucun chiffre d’affaires et dont le business model n’est même pas encore stabilisé. Si ce maillon indispensable disparaît en France, les start-up de demain se créeront ailleurs. Les jeunes start-upers sont habitués aujourd’hui à la mobilité, ils sont polyglottes et n’ont plus le même attachement à un seul pays et leur terrain de jeu c’est le monde.

Tf : Le gouvernement a fait néanmoins des concessions sur le volet entrepreneurs de la loi de finance 2013.

P. R. : Les amendements présentés cette nuit par le gouvernement montrent que nous avons été en partie entendus, mais que le gouvernement, malgré un certain courage et un certain pragmatisme n’a sans doute pas osé s’opposer, plus encore, à sa majorité parlementaire. Certains députés de gauche pensent déjà un peu trop aux prochaines élections et semblent vouloir montrer aux électeurs de leur circonscription qu’ils sont plus à gauche que le gouvernement. C’est triste, car pour des raisons électoralistes, ou par conviction idéologique, on risque de sacrifier l’avenir de la France et de sa jeunesse. Les amendements proposés vont créer une nouvelle « niche fiscale » qui s’appelle « entrepreneur » avec des critères contraignants plus adaptés aux PME traditionnelles qu’aux entreprises innovantes ou de la net-économie. Il ne faut pas différencier entrepreneurs et Business Angels. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Si ce projet de loi passe en l’état, il y aura de moins en moins de Business Angels en France (8000 recensés contre 50 000 en Angleterre) et sans eux de très nombreuses start-up ne verront pas le jour et toutes les mesures positives (JEI, CIR, OSEO…) n’auront aucun sens car n’auront plus l’occasion de s’appliquer. Les start-up et les emplois se créeront ailleurs.

Tf : Formé sur Internet et par la viralisation des réseaux sociaux, ce mouvement des pigeons est assez inédit et donne la parole à des acteurs de l’économie qu’on n’entend pas souvent.  Il fait même tache d’huile avec le « mouvement des moutons » (patrons de CGPME) Qu’est-ce que cela révèle selon vous ?

P. R. : Que la nouvelle génération maîtrise parfaitement les nouveaux outils de communication et notamment les réseaux sociaux. À ceux qui sont parfois sceptiques sur l’efficacité de Facebook, il est intéressant de relever qu’une véritable marque « Les Pigeons » a été lancée en moins de 10 jours exclusivement grâce à Twitter et Facebook. Ce que j’écrivais à Audrey Pulvar suite à son bien triste édito résume assez bien ma pensée sur l’évolution des mode de « manifestation » qui peuvent parfois aller jusqu’aux révolutions: «  pourquoi en vous lisant, Madame Pulvar,  ai-je le désagréable sentiment qu'à vos yeux, la parole, les inquiétudes, les "revendications" de 70 000 jeunes entrepreneurs auraient moins de valeur que celles toutes aussi légitimes, parfois, de salariés, de fonctionnaires, battant le pavé de la République à Nation. »


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