Plus d'un Français sur deux veut "moins" d'Europe

Publié le Mardi 08 Octobre 2013
Plus d'un Français sur deux veut "moins" d'Europe
Plus d'un Français sur deux veut "moins" d'Europe
Chômage, austérité, baisse du pouvoir d'achat… Bouc-émissaire désigné, l'Europe est accusée de tous les maux. À tel point qu'un Français sur deux voudrait aujourd'hui « moins d'Europe », d'après un sondage exclusif CSA pour Terrafemina. À l'occasion de l'ouverture de son antenne bruxelloise, le Club Terrafemina s'interroge sur le divorce entre l'opinion et l'Union européenne. Analyse des résultats par Sylvie Goulard députée au Parlement de Bruxelles et auteur de l'essai « Europe : amour ou chambre à part ? » (Éd. Flammarion).
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Terrafemina : Lorsqu’on les interroge sur l’avenir, un Français sur deux souhaite « moins d’Europe » contre moins d’un sur cinq qui en souhaiterait davantage. Comment expliquer ce désamour des Français pour le projet européen ?

Sylvie Goulard : Je ne pense pas qu’il faille raisonner en termes de « plus » ou « moins » d’Europe, mais plutôt en termes qualitatifs. Malgré ce qui ressort du sondage, je pense qu’il y a un attachement au projet européen, et que ces réponses sont le reflet de la façon dont l’Europe fonctionne en ce moment : les marchandages à huis clos, le chacun pour soi n’ont plus rien à voir avec le projet originel. Dans mon livre, Europe : amour ou chambre à part ? (Éd. Flammarion), je dénonce l’Europe telle qu’elle se fait : il y a un dévoiement des objectifs et de la méthode. On ne sait plus qui décide, en grande partie par la faute des gouvernements nationaux. Monnet disait : « Nous unissons des hommes, nous ne coalisons pas des États ». Aujourd’hui on enferme les Européens dans des boîtes nationales, on les monte les uns contre les autres. 

Tf : Cette désaffection est encore plus marquée chez les 35-64 ans, une tranche d’âge qui a vécu l’élargissement et la construction de l’UE. Est-ce qu’il faut voir là une déception vis-à-vis de l’Europe et de ses ambitions originelles, ou un manque de lisibilité de son action ?

S. G. : Il y a un phénomène de génération. On observe que les plus âgés (27% des 65 ans et plus veulent « plus d’Europe », contre 17% de la population, ndlr) se souviennent des raisons impérieuses pour lesquelles on a construit l’Europe. Les jeunes, eux, valorisent davantage la liberté de circulation, il y a une approche plus « décontractée » de leur part (21% des 18-24 veulent « plus d’Europe », ndlr). La tranche d’âge intermédiaire est en effet plus réticente, il faut noter que les difficultés économiques et le chômage ont un impact sur les actifs, ce sont des gens qui ont un peu perdu le sens historique de l’Europe et qui ne sont pas à l’aise dans un monde sans frontières. 

Tf : Ce sentiment est-il partagé dans les autres pays de l’UE ?

S. G. : Malheureusement oui, le désamour de l’Europe est loin d’être un phénomène franco-français, avec des nuances d’un pays à l’autre toutefois. Les sondages Eurobaromètres de la Commission européenne montrent que les habitants des pays en crise sont plus méfiants tandis qu’en Allemagne, par exemple, l’attachement à l’Europe reste fort.

Tf : Au sujet de leur situation personnelle, un quart des Français estiment que l’Europe n’y change rien, et 49% pensent que l’UE a un impact plutôt négatif. Quelles institutions et quelles politiques sont particulièrement visées ici ?

S. G. : Le paradoxe est que l’opinion se détermine rarement sur les institutions mais qu’en matière économique et sociale, l’imbrication des responsabilités entre niveau européen et national aboutit à ce que l’austérité par exemple soit imputée à « l’Europe ». En réalité, nos difficultés actuelles viennent en large part de mauvaises politiques nationales : éducation et formation peu efficaces, report des réformes des systèmes sociaux, perte de compétitivité et de marchés, etc. L’opinion se demande « qui décide ? » ; « Ai-je une influence sur les gens qui décident ? » ;  « puis-je choisir une politique plus verte, plus sociale ou libérale au niveau européen ? » et n’a pas la réponse. Est-ce la Commission si souvent critiquée ? Est-ce le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement ? Le Parlement élu au suffrage direct ou des institutions encore moins identifiées comme la Banque centrale ou la Troïka ? De plus, la plupart des dirigeants nationaux acceptent des choses à Bruxelles et tapent ensuite sur l’Europe. Non seulement la classe politique nationale fait rarement des efforts de pédagogie mais elle joue même souvent à contre-emploi. 

Tf : Il semble qu’il y ait en effet un gros défaut de pédagogie au niveau national mais également au niveau européen. Les trois quarts des Français que nous avons interrogés estiment être mal informés sur l’Europe…

S. G. : Selon moi cela va même plus loin. En anglais, il y a le mot ownership, qui désigne le fait d’assumer ce qu’on fait. Assumer par exemple devant les populations que la souveraineté est partagée, que ce partage se matérialise dans l’euro, et qu’en conséquence, le contrôle mutuel des budgets représente une nécessité. Il y a une manière d’expliquer cela aux populations ; nous avons créé une sorte de caisse commune, il est normal qu’on regarde comment les uns et les autres dépensent l’argent. Ce genre de discours décontracté et offensif, à ma connaissance il n’y a guère que Mario Monti qui l’ait tenu en Italie. On voit plutôt des classes politiques qui sont dans le déni, qui ne font pas l’effort nécessaire de rentrer dans les questions européennes. 

Tf : Quid des élections des députés au Parlement européen, au suffrage universel direct ? Pourquoi sont-elles si peu visibles ? Le taux d'abstention en 2009 a atteint 57%.

S. G. : Les partis prennent hélas trop souvent le Parlement européen pour la poubelle de la politique nationale. Ils y envoient des gens qui n’ont pas envie de travailler et ne sont pas à la hauteur de cet enjeu fabuleux qu’est la création d’une démocratie supranationale. Les gouvernements se débarrassent des débats européens. La preuve : on a fixé le dépôt des listes en France le 2 mai 2014, pour des élections le 25 mai ! Le gouvernement avait sérieusement envisagé de supprimer, pour ce seul scrutin, et non les municipales, l’envoi des professions de foi et autres documents électoraux.

Tf : Les femmes, encore plus que les hommes, manifestent une certaine indifférence quant au projet européen, se déclarant plus souvent « sans opinion ». Comment interpréter cela ? Le constatez-vous dans les institutions européennes ?

S. G. : C’est un phénomène ancien qui s’explique par plusieurs facteurs. D’abord les femmes sont moins informées, elles lisent moins les journaux parce qu’elles consacrent plus de temps que les hommes aux tâches ménagères. Il y a toujours un lien entre le niveau d’éducation, l’accès à l’information et le sentiment européen. Ensuite elles subissent de plein fouet la crise, je pense aux familles monoparentales, aux familles touchées par les emplois précaires, les horaires décalés, et les salaires moindres. Tout cela ne les encourage pas à croire en l’Europe.

Tf : Leur scepticisme va plus loin, puisque sur les sujets liés à l’égalité hommes-femmes (parité, éducation, lutte contre les violences) 59% des femmes pensent que le renforcement de l’UE n’a pas eu d’impact (contre 52% des hommes).

S. G. : Cela procède sans doute de ce déficit d’informations et de temps mais c’est d’autant plus consternant que l’Europe a fait beaucoup pour l’égalité hommes-femmes, notamment grâce à l’exemple des pays nordiques. En 2013 nous avons mené une bataille au Parlement européen pour éviter qu’il n’y ait que des hommes au directoire de la BCE. Nous avons perdu parce que les dirigeants nationaux ont décidé, contre l’avis du Parlement européen, de nommer encore un homme.

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Tf : Que penser de la stratégie de communication des institutions européennes ? Comment redorer le blason médiatique de l’Europe ?

S. G. : Quand on communique sur une idée confuse ou à laquelle on ne croit pas, on ne peut pas convaincre. Je pense qu’une grande partie de la classe politique française, et une grande partie des soi disant « élites », n’ont pas fait l’effort intellectuel de s’adapter au nouveau contexte juridique et international. Ma thèse est que les élites nationales sont moins pro européennes que les peuples. On a dans la haute fonction publique, les banques centrales, les superviseurs financiers, les juristes ou les médias, des individus dont l’horizon est national, les prérogatives nationales et entendent les préserver ! Ainsi, ceux qui devraient être à l’avant-garde de l’explication de la complexité du monde en arrivent à prôner le souverainisme, la démondialisation et la fermeture des frontières. Pour moi c’est une défaillance grave car elle fait passer des intérêts particuliers avant le bien commun.


Le 11 octobre 2013, le Club Terrafemina Bruxelles présentera à l'occasion de son lancement les résultats complets d'une étude CSA sur les Français et l'Europe, lors des Journées de Bruxelles, organisées par le Nouvel Observateur. L'étude sera débattue autour d'une table ronde (« Peut-on encore aimer l'Europe ? ») à 16h00, avec les intervenants suivants :
William Dartmouth, député européen,
Isabelle Durant, vice-présidente du Parlement européen,
Sylvie Goulard, députée européenne,
Matteo Renzi, maire de Florence.

*D'après une étude CSA pour Terrafemina, réalisée sur Internet les 3 et 4 septembre 2013 sur un échantillon de 1 010 personnes représentatif de la population française.

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