Les éditions Fei : un trait d'union entre la France et la Chine

Publié le Jeudi 21 Avril 2011
Les éditions Fei : un trait d'union entre la France et la Chine
Les éditions Fei : un trait d'union entre la France et la Chine
Née dans un camp en Mandchourie, Xu Ge Fei a dû s’imposer pour avoir droit à une éducation réservée aux garçons. La jeune Chinoise a multiplié les petits boulots avant de s‘installer en France où elle a créé les éditions Fei. Grâce à la bande dessinée, elle veut créer une passerelle culturelle entre la France et la Chine. Entretien.
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Née en 1979, fille de la génération Deng Xiaoping, Xu Ge Fei n’a pu voir le jour que parce que ses parents ont rusé sur sa date de naissance avec le calendrier lunaire, ce qui leur a permis d’avoir un deuxième enfant sans avoir à payer d’amende rédhibitoire. Sa curiosité vis-à-vis de l’autre, son amour pour les langues, la dévotion de ses parents qui ont donné leur vie pour l’éducation de leurs enfants, lui ont permis d’apprendre l’anglais presque clandestinement puis le français à l’Alliance Française de Shanghai. Désireuse de réussir et de s’extirper de son destin, elle est passée par une multitude de métiers et des situations parfois pénibles, dangereuses ou rocambolesques, racontés dans sa biographie « Petite Fleur de Mandchourie » (XO éditions en Français).

Portrait : Xu Ge Fei Photo © Emma Barthere

Petitjournal.com/Pékin : Vous parlez beaucoup de votre grand-père paternel qui a perdu tous ses biens en 1949 et qui est passé par la prison et les camps. Très érudit, il tenait pour primordial l’enseignement, les connaissances mais, traditionnellement, c’était aux garçons qu’elles devaient être transmises et donc à votre frère aîné. Racontez-nous comment vous avez vécu cette frustration et cette éducation distincte ?

Xu Ge Fei : Quand j’avais six ans, mon grand père voulait absolument apprendre la langue japonaise qu’il maîtrisait très bien à mon grand frère – le garçon étant la racine familiale, l’héritier du savoir des Xu. Mais Feng, mon frère, a toujours détesté cette langue et préférait de loin jouer avec ses petites voitures. Comme mon grand père ne parvenait pas à lui faire entrer un mot de japonais dans son crâne, il le punissait en tapant fort sur ses petites mains. Lors d’une de ces leçons « forcées », je suis entrée dans la chambre pour stopper le calvaire de mon frère qui pleurait à chaudes larmes, et demander à mon grand-père de m’apprendre cette langue. Car, même tenue à l’écart, j’enregistrais tout ce que j’entendais, et je rêvais d’en apprendre plus. Ce jour-là, mon grand père m’a fait comprendre qu’une fille c’était comme l’eau sur le sable, qu’un jour, elle se marie à une autre famille et change de nom, et que par conséquent, ça ne servait à rien de m’apprendre quoique ce soit.
Il a fini par ranger ces livres de japonais sur la plus haute étagère du salon, pour que je ne puisse pas les toucher. J’ai pleuré et mesuré la distance entre moi, la petite fille et ce livre dont on m’interdisait l’accès. Je me suis jurée à cet instant que j’apprendrai tout ce que je veux quand je serai grande, et que je n’aurai pas seulement les livres que je veux, j’en donnerai aussi aux autres filles comme moi, qui veulent apprendre et n’ont pas accès au savoir.

PJ : Votre parcours, du camp d’Antu en Mandchourie à éditrice à Paris est totalement incroyable. Il est dû à la fois à votre indépendance d’esprit, votre capacité à surmonter les obstacles et probablement votre facilité pour les langues. Vous le devez aussi à l’aide précieuse voire au sacrifice de vos parents. Mais ce sont aussi des rencontres que vous avez parfois provoquées qui vous ont permis d’en arriver là. Quelle a été pour vous la plus décisive ?

X. G. F : Il y en a beaucoup en effet… Mais parmi ces rencontres, trois sont les plus décisives. A 21 ans, j’ai rencontré un écrivain réalisateur chinois dans la rue à Shenzhen, qui m’a encouragée à quitter cette ville et à connaître Shanghai, puis à quitter Shanghai pour Paris… Je l’ai écouté. A 23 ans, j’ai rencontré mon ami américain qui m’a fait comprendre que la vie est une aventure osée ou rien du tout. Et à 28 ans, j’ai rencontré mon amoureux français, qui m’a aidée et encouragée à suivre mon rêve et à ne jamais, jamais lâcher !

PJ : Votre volonté en tant qu’éditrice est de faire découvrir la Chine aux Français. Vous aimez particulièrement ces deux pays et vous les connaissez bien. Quels sont pour vous les grands points communs entre Français et Chinois et ce qui nous sépare ?

X. G. F. : Nous avons beaucoup de coutumes, nous sommes compliqués et paradoxaux, nous naviguons entre l’autocritique et la fierté nationale ; nous avons tous deux des milliers d’années d’histoire. Nous sommes tous les deux capables de parler de la nourriture pendant cinq heures en mangeant ! Ce qui nous sépare c’est la peur nourrie par l’ignorance, la peur de l’autre et de sa différence. Pourtant Claude Lévi Strauss nous a bien répété qu’il fallait nous enrichir de nos différences !

PJ : Vous avez choisi la bande dessinée, -les albums du Juge Bao de Patrick Marty- pour créer cette passerelle culturelle entre la Chine et la France. Pourquoi ce medium ?

X. G. F : Parce que la BD est un art populaire qui a la particularité de transmettre du savoir, des connaissances par le biais de la fiction. Et également parce que j’ai grandi avec les bandes dessinées traditionnelles chinoises « Lian Huan Hua », et que je dévore la bande dessinée franco-belge. Si nous avons choisi le Juge Bao pour nos premières parutions, c'est qu'il est à la fois un personnage historique, un héros populaire connu par tous les chinois et qu'il est totalement inconnu en France. Au onzième siècle, l’empereur Ren Zong donna les pleins pouvoirs à ce juge pour lutter contre la corruption, il représente aujourd’hui encore pour le peuple chinois le symbole d’une justice inflexible capable de juger et de condamner sans distinction délinquants issus du bas peuple comme ceux appartenant aux hautes sphères de l’Etat. Les aventures du juge Bao, si elles nous plongent dans la dynastie des Song du Nord, n'en sont pas moins le reflet de problématiques contemporaines et universelles.

PJ : La distinction homme/femme est-elle toujours aussi marquée en Chine et qu’aimeriez-vous désormais apporter à ces petites filles ?

X. G. F : Aujourd’hui la distinction entre homme et femme en Chine est très différente entre la campagne et la ville. J’aimerais rendre le savoir plus accessible aux filles de la campagne qui ont le désir d’apprendre. Ce « savoir » est au sens large, c’est la connaissance du monde pour mieux se connaître soi-même. J’aimerais leur apprendre à apprendre.

Par Eric Ollivier (Le petit journal – Hongkong)



Juge Bao & le Roi des Enfants © Les Editions Fei

Le site des Editions Fein

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