Viols en Inde : un film "coup de poing" révèle l'indifférence des passants

Publié le Mercredi 18 Juin 2014
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
Viols en Inde : un film "coup de poing" révèle l'indifférence des passants
Viols en Inde : un film "coup de poing" révèle l'indifférence des passants
Selon des chiffres gouvernementaux, une femme serait victime de viol toutes les 22 minutes en Inde. Malgré cette statistique pour le moins saisissante, aux yeux des associations, la société civile comme les politiques feraient encore preuve d'une réelle indifférence vis-à-vis des violences sexuelles envers les femmes. Afin de dénoncer avec force cette apathie générale, un artiste de New Dehli a réalisé une caméra-cachée choc.
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Une fourgonnette blanche garée le long d'une rue déserte de New Dehli, de nuit. À l'intérieur, une femme pleure, hurle, supplie, tandis qu'un homme lui intime l'ordre de se taire. Dehors, des hommes passent, s'arrêtent pour écouter, puis repartent, sans intervenir. Seuls quelques-uns, alertés par les cris, tentent d'ouvrir la porte de la fourgonnette ou menacent d'appeler la police. Il ne s'agit pas d'un énième cas de violence sexuelle envers une femme en Inde, mais une mise en scène, filmée par une caméra-cachée, censée révéler l'indifférence des passants face à ces agressions récurrentes. Postée sur YouTube il y a une semaine, la vidéo a d'ores et déjà été visionnée près de 2 millions de fois.



Réalisée par Sahil Bedi, un vidéaste originaire de New Dehli, cette « expérience sociale » comme le décrit l'auteur, a suscité un vif émoi en Inde, ou de nouvelles affaires de viol en réunion et de viols de femmes secouent à nouveau le pays. Le but de la vidéo de Sahil Bedi ? Pointer du doigt l'apathie persistante que suscite aujourd'hui, dans son pays, les violences sexuelles faites aux femmes. « Il existe encore une large indifférence envers ce qui arrive aux femmes, une insensibilité à cette question, même si les attitudes changent », explique la présidente de l'association WomenPowerConnect, Ranjana Kumari.

« Nous entendons parler de viols chaque jour en Inde, qui ont conduit à de larges manifestations. Nous avons décidé de voir combien de personnes aideraient quelqu'un en difficulté », écrit Sahil Bedi en guise de légende à sa vidéo, dont le visionnage laisse un goût amer. Car au final, peu de « héros » ont pris l'initiative d'ouvrir la porte ou de briser la vitre de la fourgonnette. Parmi eux, un vieil homme, qui tape sur la carrosserie avec un bâton, avant d'être arrêté par le réalisateur de la vidéo.

Des mesures politiques inefficaces

La diffusion de la vidéo de Sahil Bedi intervient alors que l'Inde est à nouveau secouée par plusieurs affaires sordides en viols en réunion. Fin mai, dans la province de l'Uttar Pradesh, l'État le plus peuplé du pays, deux adolescentes de 12 et 14 ans ont été retrouvées pendues à un manguier après avoir subi les assauts d'au moins quatre hommes. Quelques jours auparavant, c'est une jeune femme de 19 ans qui a elle aussi été retrouvée pendue après avoir été violée. Une autre femme enfin a récemment déclaré avoir été agressée sexuellement dans un commissariat de l'Uttar Pradesh par quatre policiers.

Ces nouvelles affaires de viols collectifs mettent à nouveau en lumière le sort des femmes dans un pays qui compte plus d'1,2 milliard d'habitants. Selon le National Crime Records Bureau du ministère de l'Intérieur indien, un viol serait signalé toutes les 22 minutes aux autorités, mais seuls 26,4% d'entre eux aboutiraient à une peine contre les accusés. En 2012, 24 900 viols et agressions sexuelles ont été signalés, dont 23 569 crimes visant des femmes rien que dans l'État de l'Uttar Pradesh. Des chiffres accablants, qui avaient amené le gouvernement indien à prendre des mesures plus concrètes pour prévenir les agressions sexuelles dans le pays, et plus sévères à l'égard de ses auteurs. Ainsi, il avait adopté, le 21 mars 2013, une série de lois visant à renforcer les sanctions pénales envers les violeurs.

Des mesures visiblement insuffisantes, déjà pointées du doigt par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU. Suite à l'adoption des lois anti-viol, celui-ci avait déclaré : « La triste réalité, c'est que les droits de nombreuses femmes en Inde continuent d'être violés en toute impunité comme si c'était la norme. » Un point de vue partagé par anjana Kumari, qui est aussi directrice du Centre for Social Research de New Delhi : « Il existe encore cette croyance selon laquelle la femme doit avoir fait quelque chose pour mériter une telle agression », estime-t-elle.

Mercredi 11 juin, le nouveau premier ministre indien Narendra Modi a réitéré la volonté du gouvernement de « protéger et respecter les femmes ». « Le gouvernement aura une politique de tolérance zéro envers les violences faites aux femmes et va renforcer le système judiciaire pour sa mise en œuvre effective », a-t-il à nouveau promis ce lundi devant le Parlement.


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