Elections au Maroc : « 15% de femmes, ce n'est pas la parité »

Publié le Vendredi 25 Novembre 2011
Elections au Maroc : « 15% de femmes, ce n'est pas la parité »
Elections au Maroc : « 15% de femmes, ce n'est pas la parité »
Les féministes marocaines envisagent avec regret les élections du 25 novembre. Alors que la nouvelle Constitution a consacré le principe de l’égalité hommes-femmes, la loi électorale ne réserve que 60 sièges aux femmes dans la nouvelle Chambre des représentants. La conquête de la parité politique ne fait que commencer. Eclairage avec Khadija Errebah, membre de l’Association démocratique des femmes du Maroc (Adfm) à Casablanca.
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Terrafemina : La nouvelle Constitution, adoptée le 1er juillet 2011, garantit l’égalité des hommes et des femmes notamment en droits civils. Quels sont les changements attendus pour les Marocaines ?

Khadija Errebah : En effet l’article 19 de la nouvelle Constitution pose le principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, et c’est un grand pas. Cela doit permettre d’avancer sur de nombreux sujets, notamment la mise en application des lois existantes, la mise en conformité de nos lois avec les grandes déclarations internationales relatives aux droits humains, et à travailler sur de nouvelles lois attendues depuis longtemps par le mouvement féministe. Les chantiers sont nombreux : les violences conjugales –aucune loi n’a encore été adoptée au Maroc-, l’avortement, la révision de la législation sur l’héritage, la suppression de la polygamie, la prise en compte de la dimension genre dans la gouvernance et l’accès des femmes à l’administration, et la parité politique.

TF : Sur le sujet de la parité politique, les lois votées en septembre ont déclenché la colère des féministes. Que dénoncez-vous ?

K. R. : Nous dénonçons le fait que l’inscription de la parité dans la Constitution ne soit pas suivie d’effets. Les lois organiques votées en septembre étaient censées mettre en pratique l’égalité hommes-femmes dans l’accès aux fonctions politiques, et c’est loin d’être le cas. Certes, les partis politiques devront appliquer le principe des quotas et présenter au moins un tiers de femmes en leur sein, mais rien n’est garanti, puisque le texte « encourage » et n’oblige à rien. Quant à la loi organique de la Chambre des représentants, elle maintient le principe d’une liste nationale de 90 sièges, dont 60 sont réservés aux femmes –au lieu de 30 dans la liste nationale préexistante. Cela ne garantit qu’un pourcentage de 15% de femmes –contre 10,8% dans la Chambre précédente-, c’est tout à fait insuffisant pour oser prétendre à une politique de parité, qui exigerait au moins un tiers de femmes. En outre nous savons d’expérience que cette liste exclusive est un ghetto qui ne donne pas vraiment de place aux femmes, puisque toutes les candidates vont se concentrer sur cette liste, sans aller chercher à mener des listes au sein des partis.

TF : Il y a en effet peu de candidatures féminines dans les listes qui se présentent dans les circonscriptions locales. Les femmes engagées en politique manquent-elles à l’appel ?

K. R. : Sur les 1521 listes locales, on ne compte que 57 têtes de liste féminines, et 4% de candidatures féminines au total. Pourtant les partis comptent un grand nombre de femmes cadres et militantes, mais ils préfèrent présenter des notables connus sur leurs listes. La mentalité de la société a évolué en faveur de la présence des femmes en politique, mais les partis ne suivent pas, ils continuent de courir après le pouvoir au lieu de chercher à établir un véritable contrat avec la population.

TF : Où en est actuellement la réforme de la Moudouwana, la loi régissant le statut des femmes et les relations familiales ?

K. R. : La réforme de la Moudouwana de 2004 n’a pas apporté les résultats escomptés au niveau de la mise en œuvre. Les dispositions ne sont pas claires sur la polygamie, le mariage précoce et le mariage forcé. Les filles sont mariées avant d’atteindre l’âge requis, le divorce pour la femme n’est pas prononcé conformément aux lois et le couple recourt rarement à l’acte relatif au partage des biens. Des lois plus claires devront être votées par la nouvelle assemblée.

TF : Quel bilan faites-vous de l’action de Nezha Skalli, féministe et ministre du Développement social, de la famille et de la solidarité, qui œuvre notamment pour une légalisation partielle de l’avortement ?

K. R. : Mme Skalli a fait beaucoup pour l’histoire du Maroc, mais le ministère dont elle a la charge dispose d’un maigre budget comparé aux dossiers à traiter (le social, la famille, les enfants, le handicap…) Nous espérons que l’agenda de l’égalité 2011-2015, qu’elle a mis sur pied en collaboration avec d’autres ministères, sera mis en œuvre après les élections et ne sera pas relégué dans un tiroir par le nouveau gouvernement.

TF : Le parti de la justice et du développement (PJD), formation politique islamiste, est donné favori pour les élections de vendredi. Comment appréhendez-vous ce scrutin un mois après la victoire d’Ennahda en Tunisie, et au vu de la montée en puissance des Frères musulmans en Egypte ?

K. R. : Les mêmes discours ont été véhiculés lors des élections de 2002 et de 2007, et finalement ce sont toujours les mêmes qui l’emportent à quelques sièges près. Il faut attendre ce que les urnes vont donner comme résultat avant de faire des extrapolations.
Le PJD est un parti modéré et démocratique. En outre, la comparaison avec la Tunisie ou l’Egypte n’est pas valable étant donné que le régime marocain n’est pas le même et qu’il y a une Constitution qui détermine la gouvernance du pays et des institutions. En tant que mouvement associatif, l’Adfm (Association démocratique des femmes du Maroc) est indépendante de toute logique partisane, et nous espérons la victoire d’un parti dont le programme sera fondé sur la démocratie et l’égalité des droits.

Khadija Errebah
 est membre de l’antenne de l’Adfm à Casablanca, et coordonne le Mouvement pour la démocratie paritaire au Maroc.

Crédit photo : AFP/ Un militant du parti marocain islamiste Justice et Développement distribue des tracts électoraux, le 22 novembre 2011 à Oulmes

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