Mai Lam Nguyen-Conan : Le marketing ethnique comme moyen d’intégration

Publié le Mercredi 23 Février 2011
Mai Lam Nguyen-Conan : Le marketing ethnique comme moyen d’intégration
Mai Lam Nguyen-Conan : Le marketing ethnique comme moyen d’intégration
Avec l’affaire des Quick halal, le marketing ethnique a fait une entrée polémique en France, en occultant les bénéfices possibles de ces nouvelles approches. Dans son essai intitulé « Le marché de l’ethnique, un modèle d’intégration ? » (Michalon), Mai Lam Nguyen-Conan, consultante en marketing, aborde la diversité sous un angle économique et profane. Interview.
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Mai Lam Nguyen-Conan est consultante en marketing et en diversité pour plusieurs organismes dont l’Institut Vivavoice à Paris. Elle publie ce mois-ci un essai intitulé « Le marché de l’ethnique, un modèle d’intégration ? Halal, casher, beauté noire… » aux éditions Michalon.

Terrafemina : Qu’est-ce que le marketing ethnique ?

Mai Lam Nguyen-Conan : Pour ma part je l’identifie comme l’ensemble des stratégies marketing à destination des minorités visibles dans un pays développé occidental. Mais pour certaines entreprises, il s’agit de regarder les groupes ethniques d’un point de vue mondial, observer par exemple le marché musulman dans le monde comme le fait Nestlé avec la marque Maggi, qui propose des produits halal dans plusieurs pays. Il ne faut pas confondre selon moi le marketing ethnique et le « commerce ethnique » qui a existé de tous temps. China Town ou Little Italy à New York par exemple, sont des lieux de commerce organisés par les minorités elles-mêmes à destination de leurs semblables ou de la population majoritaire.

TF : Comment est né le marketing ethnique ?

M-L. N.-C. : La chercheuse Marilyn Halter situe sa naissance en 1965, au moment où l’Amérique s’ouvre à une immigration extra européenne. L’arrivée des populations hispaniques et asiatiques a considérablement augmenté le poids numérique des minorités visibles, auparavant uniquement constituées par les Noirs. Jusqu’alors on vendait aux Afro-américains des produits correspondant à l’idée du rêve américain fabriqué par les Blancs. On a commencé à prendre en considération les besoins de ces populations en particulier, et à décliner des campagnes en plusieurs langues, du cantonais à l’espagnol, en cherchant à toucher chaque communauté en fonction de ses valeurs et de ses priorités.

TF : Vous dénoncez dans votre livre la « réticence française ». Le marketing ethnique existe-t-il dans l’Hexagone ?

M-L. N.-C. : Il n’existe pas dans des formes évoluées du marketing, c’est-à-dire que les entreprises ne l’exploitent pas totalement, à cause d’un certain nombre de freins sociaux et politiques. Le premier frein est cette impossibilité de parler d’ « ethnie ». Si on le fait on est accusé d’incitation au communautarisme. Les entreprises optent donc pour des arbitrages mesurés : elles communiquent sur le multiculturalisme de façon globale, respectent les quotas de diversité dans leurs publicités, mais ce n’est pas vraiment du marketing. D’autres choisissent de vraies approches ethniques, mais au niveau local. C’est ce qu’a fait la chaîne de restaurants Quick, en s’adaptant aux consommateurs d’un emplacement géographique précis, par souci d’économie et de profit.

TF : Vous voulez dire qu’en France le marketing ethnique ne s’assume pas en tant que tel ?

M-L. N.-C. : En effet certaines entreprises communiquent même comme si elles ne faisaient pas de marketing ethnique alors qu’elles semblent cibler certaines populations. Lorsque McDonald’s sort un sandwich « oriental » ou un 100% pur bœuf en pleine polémique sur la certification halal, cela ne peut pas être vraiment innocent. La réticence française vient de notre principe républicain, qui recherche l’égalité et refuse la mise en avant des différences au profit d’un idéal d’assimilation. Cette assimilation revient en somme à renier ses origines, alors que l’intelligence multiculturelle consiste plutôt à négocier sans cesse, à faire des choix selon les domaines et les étapes de la vie entre les deux cultures, c’est un processus qui ne s’arrête jamais.

TF : La polémique autour des Quick estampillés « halal » reflète-t-elle cette réticence française ?

M-L. N.-C. : Oui complètement. On a opposé la laïcité à un problème qui ne relevait pas de la religion mais de la culture. Il n’y a pas de discrimination de la part de l’entreprise qui décide s’adapter au contexte local : c’est un choix stratégique et non idéologique. L’espace de liberté que représente l’espace commercial a permis justement de répondre à des besoins identitaires auxquels on n’apporte pas de réponse ailleurs. On ne voit pas la mécanique d’intégration que peut constituer le marché halal : il s’agissait d’une envie culturelle, mais les polémiques et la pression médiatique en ont fait un enjeu religieux.

TF : Est-il possible de concilier les idées d’intégration et de diversité dans une stratégie marketing ?

M-L. N.-C. : C’est possible si l’on conçoit que l’intégration n’est pas seulement une question politique, et qu’il y a aussi des leviers économiques à activer. Le commerce est un moyen d’intégrer, c’est un pas vers une population, cela signifie qu’on crée de la valeur. Mais il faut que les minorités s’affirment et sachent ce qu’elles veulent dire d’elles-mêmes. Il faut pouvoir expliquer aux entreprises l’intérêt de cibler tel ou tel groupe, parce qu’elles ne le savent pas à l’heure actuelle. En ne parlant pas et en maintenant des sujets tabous on crée des tensions comme cela a été le cas pour le halal. Le marketing est un espace purement profane qu’il faut apprendre à utiliser pour travailler à l’intégration.


TF : Comment va évoluer ce marché ethnique en France selon vous ?

M-L. N.-C. : Des entreprises se démarquent dans des stratégies de marketing ethnique, tout en restant très discrètes sur ces approches et en ciblant géographiquement la distribution. Le secteur de la téléphonie mobile essaie notamment de pénétrer les réseaux des minorités pour atteindre le marché des communications transnationales. Le marché halal non-alimentaire est à développer dans les secteurs de l’assurance, de l’immobilier ou de la banque. Enfin, dans la cosmétique, le marché va se structurer, et l’offre à destination des peaux noires et basanées va s’étoffer et se sophistiquer pour mieux répondre à la demande des femmes afro-antillaises.

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