Selfie de journalistes à la Maison Blanche : pourquoi "ça ne se fait pas"

Publié le Mercredi 12 Février 2014
Antoine Lagadec
Par Antoine Lagadec Journaliste
Selfie de journalistes à la Maison Blanche : pourquoi "ça ne se fait pas"
Selfie de journalistes à la Maison Blanche : pourquoi "ça ne se fait pas"
Dans cette photo : François Hollande
Chargés de couvrir la visite d'Etat de François Hollande aux Etats-Unis, plusieurs journalistes français se sont fait remarquer sur la toile pour des selfies postés à la Maison Blanche. L'attitude, jugée peu professionnelle par les Américains, repose la question de l'usage des réseaux sociaux par les journalistes dans le cadre de leur activité.
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Des «touristes turbulents», envoyés «en colonie de vacances»... Depuis mardi soir, plusieurs journalistes accrédités pour le déplacement de François Hollande au pays d'Obama font l'objet de vives critiques pour avoir posté des selfies, autoportraits réalisés avec un smartphone, depuis le Bureau ovale.

Souvenir de voyage

Alors que le président français était en visite à la Maison Blanche pour un entretien avec son homologue américain, ces reporters ont, en effet, tenté d'immortaliser le moment en se prenant en photo devant les deux chefs d'Etats puis dans la salle de presse. Parmi eux, le journaliste du Monde, Thomas Wieder.


Journée symbolique oblige, le fameux selfie semble manifestement de circonstance. Un peu plus tôt, la délégation de journalistes français avait également pris le temps de poser devant la résidence officielle du président américain, malgré le froid qui règne actuellement à Washington.


Problème, des journalistes qui cèdent à la petite mode du selfie en pleine visite officielle, la presse américaine n'avait jamais vu ça. Plusieurs confrères du pays de l'Oncle Sam ont donc ironisé sur les réseaux sociaux, taclant – plutôt gentiment – le comportement de leurs confrères d'outre-Atlantique.


Journalistes « recadrés » par la Maison Blanche

Ce comportement potache n'a, par contre, pas plu au service de sécurité de la Maison Blanche qui ne s'est pas privé pour rappeler à l’ordre les journalistes français. Sur place, l'envoyée spéciale de Canal+ Laurence Haïm rapporte que, malgré les consignes adressées par les conseillers de Barack Obama avant d'entrer dans le Bureau ovale, les journalistes ont dû ainsi être recadrés.


Si bien que la presse américaine commence à se faire écho du phénomène.

ITV François Hollande

François Hollande french journalists


Deux cultures du journalisme

Interrrogé par Terrafemina, le spécialiste des Etats-Unis, François Durpaire explique ces réactions par l'exigence de sérieux imposé aux journalistes américains. «Aux Etats-Unis, les codes de déontologie sont très durs et exigent une discipline forte de la profession», souligne l'historien. Une culture de travail qui fait dire à la presse américaine que son homologue française manque de distance, voire adopte un comportement de «groupie» depuis le début de cette visite d'Etat.

Mais «l'attitude de quelques-uns ne doit pas être généralisée à toute la profession», poursuit François Durpaire qui affirme ne pas avoir souvenir d'un comportement similaire de journalistes américains en France. «Il faudra attendre la prochaine visite de Barack Obama en France pour le 70e anniversaire du Débarquement allié», pour établir un possible point de comparaison.

« journées du patrimoine » ou « sortie scolaire » ?

En France, l'attitude des journalistes n'a pas manqué de susciter de vives réactions, au point qu'un hashtag #SelfieGate émerge mercredi 12 février sur Twitter. Si certains s'interrogent en posant la question du sérieux de la délégation, d'autres comme la journaliste Agnès Poirier qualifient ce comportement de carrément «stupide».


«Mieux que les Ch'tis à Hollywood, le 'Hollande Tour' à Washington», s'indigne également Sébastien Rochat sur le site d'Arrêt sur Images. Et le journaliste de dénoncer le manque de distance de ses confrères en comparant ce flot d'images avec un spectacle digne de la télé-réalité : «Sur Twitter, suivez ainsi les aventures de Valérie (TF1), Thomas (Le Monde), Apolline (BFM TV) ou encore FX (Le Figaro), des journalistes qui n’hésitent pas à se prendre en photo devant la Maison Blanche, derrière un pupitre ou encore dans le bureau ovale».

«Il y a dans cette jubilation profondément, délibérément régressive, un bras d'honneur à l'actualité dramatique que ces journalistes sont censés traiter», renchérit de son côté, Daniel Schneidermann, également sur Arrêt sur Images.

« Etre captif de soi-même » ?

Moins virulent, l'écrivain et spécialiste de communication politique, Christian Salmon, tente de donner une explication aux selfies polémiques. «Pour pouvoir captiver les autres, il faut être captif de soi-même», résume le chercheur, non sans ironie, dans deux tweets adressés au journaliste Thomas Wieder. Des critiques auxquelles le principal intéressé n'a pour le moment pas jugé utile de répondre sur son compte Twitter.