Enjeux de la présidentielle 2012 : « 30% des électeurs restent sceptiques »

Publié le Samedi 11 Février 2012
Enjeux de la présidentielle 2012 : « 30% des électeurs restent sceptiques »
Enjeux de la présidentielle 2012 : « 30% des électeurs restent sceptiques »
Alors que le premier tour de l'élection présidentielle est dans 70 jours, sur quels enjeux va se jouer la campagne ? Contexte politique et économique historique, marge de manœuvre du futur président extrêmement serrée, électeurs soupçonneux : les prochaines semaines vont s'avérer décisives pour les candidats. Décryptage avec Luc Rouban, politologue, directeur de recherches au CNRS (Cevipof, Sciences Po).
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Terrafemina : Selon vous, sur quels enjeux va se jouer la campagne ?

Luc Rouban : Selon moi il y a deux nerfs de la guerre pour cette campagne 2012. Le premier est sans l’ombre d’un doute la question du prix à payer pour se sortir de la crise. La grande problématique que doivent régler les candidats est de savoir qui va régler l’addition : faire peser la dette sur les plus riches ou sur la classe moyenne, telle est la question centrale. Autre enjeu crucial : la situation sociale, aujourd’hui bloquée. Dans le contexte actuel, la classe moyenne est menacée par un fort risque de redescendre dans la hiérarchie sociale et est dans l’attente d’un projet de dynamique sociale ascendante : là est le véritable enjeu, un enjeu générationnel.

Tf : Dans votre ouvrage « La solitude de l’isoloir, les vrais enjeux de 2012 », vous parlez d’un « contexte très particulier » et d’un tournant historique lorsque vous évoquez l’élection présidentielle qui aura lieu dans 3 mois. En quoi le contexte de cette campagne est-il spécial ?

L.R. : Avant tout, c’est la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’on observe un niveau aussi bas de confiance des citoyens vis-à-vis des personnalités politiques. Cette grave crise de confiance fait que la campagne s’inscrit sur un arrière-fond de populisme. Notons que la crise économique a en parallèle déclenché un autre regard des électeurs sur le fonctionnement de la démocratie en France : les enquêtes montrent une vraie déception des Français vis-à-vis de leur système. Il y a un malaise politique grave.
Au-delà de ce contexte particulier, les électeurs s’interrogent aussi sur la capacité d’action nationale et la marge de manœuvre réelle du futur président. Les Français sont noyés sous une avalanche d’informations concernant le déficit budgétaire et le poids de la dette publique : cela les conforte dans l’idée que leur choix politique n’aura finalement pas beaucoup d’effet sur la situation nationale. D’où un accroissement sensible des électeurs sceptiques, ceux que l’on appelle les « ninistes » et dont le crédo est « ni à gauche, ni à droite ». Ils représentent aujourd’hui 30% de l’électorat, et sont plutôt attirés par les extrêmes, comme le Front National ou le Front de Gauche.

Tf : Au-delà de ce malaise, il y a aussi une question d’idéologies en berne…

L.R. : Sur le fond, la spécificité de cette élection est que pour la première fois sous la Ve République, il n’y a pas de projet très clair pour la France. Le libéralisme est mort et son cadavre devient très encombrant pour tout le monde, aussi bien la droite que la gauche. La France est en panne d’un projet philosophique cohérent. En 2007 on avait eu le président de la « rupture », avec un projet qui promettait la mobilité sociale et la fin des élites traditionnelles. Mais Nicolas Sarkozy n’a pas tenu ses promesses et l’Etat a du intervenir massivement face à la crise. Par ailleurs, le thème de l’Europe, fer de lance du projet socialiste, a également révélé ses failles.  La crise a montré que l’Europe est un projet un peu creux et que ce n’est pas l’Europe mais les accords intergouvernementaux qui ont permis d’éviter la catastrophe. Bref, les grands mythes sur lesquels on faisait reposer la politique française des vingt dernières années se sont écroulés et les politiques peinent à les remplacer ou les renouveler. Tout cela conjugué crée un panorama très particulier.

Tf : Vous parliez plus haut de populisme et dans votre ouvrage vous abordez les risques d’une personnalisation trop forte de la vie politique. Qu’en est-il ?

L.R. : Le grand risque d’une trop forte personnalisation est de finir par avoir une campagne électorale qui reposerait moins sur des projets que sur une personnalité et un style. D’ailleurs, la campagne repose actuellement essentiellement sur le rejet de Nicolas Sarkozy, ce qui peut être analysé comme un retour de bâton face à la trop forte personnalisation de la vie politique opérée par le chef de l’Etat. Les Français ne veulent plus du style de Sarkozy : près de 65% des sondés qui prévoient de voter pour le parti socialiste le font avant tout pour éliminer l’actuel président de la course à l’Elysée.
Autre problème posé par une trop grande personnalisation de la campagne : on court le risque d’être uniquement sur le terrain de la communication et de l’image et de faire passer les élections pour une mise en scène. Cela risque donc d’alimenter encore plus le rejet de la politique par les citoyens.

Tf : La personnalisation de la vie politique, cela peut aussi signifier la mise en avant de nouvelles façons de faire la politique…

L.R. : En effet, la mise en avant d’une personnalité politique n’est pas uniquement négative : elle peut permettre de valoriser une certaine façon de faire de la politique. Or les Français attendent de nouvelles personnalités, en rupture avec le style de leur Président. On voit en Europe que les hommes politiques qui ont ce profil un peu exubérant, comme Nicolas Sarkozy ou Silvio Berlusconi, se font peu à peu écarter au profit de profils plus technocrates. On observe le retour d’une demande de profils d’hommes plus austères, qui gèrent le pays et qui ne passent pas leurs vacances sur des yachts privés et ne font pas parler d’eux. Les électeurs attendent que leur futur président porte une nouvelle valeur : la vertu.

Crédit photo : AFP

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