Ramadan 2013 : quand l'intégration culturelle passe par le supermarché

Publié le Mercredi 10 Juillet 2013
Ramadan 2013 : quand l'intégration culturelle passe par le supermarché
Ramadan 2013 : quand l'intégration culturelle passe par le supermarché
Alors que le ramadan débute ce mercredi 10 juillet pour tous les musulmans pratiquants de France, certaines voix s'élèvent pour dénoncer la récupération commerciale de cette fête religieuse voire une atteinte à la laïcité. Consultante en marketing et diversité, Mai Lam Nguyen Conan rappelle que ce brassage commercial n'a rien de nouveau, et propose même d'y voir un facteur d'intégration des communautés. Tribune.
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Je ne pense pas être en mesure de nourrir une polémique autour de la laïcité en en donnant une lecture politique. En revanche, je peux donner un point de vue « marketing » qui n'analyse pas les choses en termes de frontières mais d'espaces.
Le principe du marketing est la conquête, les nouveaux segments, les nouveaux marchés, les nouveaux territoires. Un espace en marketing n'est jamais un espace isolé, il naît toujours en lien avec un autre, qui le précède ou dont il est adjacent. Donc, lorsque l'on analyse le phénomène de l'appropriation ou de la réappropriation du ramadan par les enseignes françaises, on se situe d'emblée dans un système d'ouverture (s), plus ou moins opportunes, il va sans dire.


Le supermarché, lieu de brassage des cultures

L'espace commercial est un espace de brassage culturel par excellence, au sens le plus général et populaire, s'il faut utiliser ce mot. Il y a en France et dans les pays développés, une plus large fréquentation des hypermarchés que des musées, les études montrant qu'environ 98% des Français sont amenés à visiter un hyper/supermarché au moins une fois par an, ce qui n'est pas le cas des musées, et on peut le déplorer, mais là n'est pas le débat


Ce chiffre déplaira aux politiques et bobos parisiens, mais il n'en est pas moins réel. Partant de cette réalité là, qui dit « espace culturel » dit également espace d'échanges. On peut critiquer la qualité de ces échanges, leur fausseté (rapport unilatéral et incitations à la consommation) ou l'aspect réducteur des événements qui sont proposés. Mais, dans le sens classique du terme, il s'agit bien d'un lieu d'échanges et de circulation. Et on compte un tas d’exemples de réappropriation des cultures exogènes par les enseignes.

Le nouvel an chinois à la sauce hyper

À l'occasion du nouvel an chinois, les enseignes n'hésitent plus à investir dans un catalogue décoré de chinoiseries diversement heureuses et appropriées, à offrir des promotions sur des produits absolument peu adaptés, et à parfois même déguiser leurs employés, d'origines autres que chinoise, en hôtes d'une Chine mythifiée et caricaturée.


Et même si cela nous fait sourire un peu jaune (la blague est facile et il vaut mieux devancer ceux qui la trouveront charmante), nous, asiatiques acceptons ces aspects avec agacement mais néanmoins de la distance car finalement, ce qui se joue, c'est la réinterprétation de notre culture dans un brassage un peu brouillon qui donnera lieu, au fil du temps, nous le savons, à une nouvelle culture métissée et très certainement différente du métissage qui existera dans d'autres pays, sous d'autres cieux. Carrefour et les autres inventent une vision de la culture chinoise à la française, agrémentée d'une sauce pour nems insipide. Soit.

Mais c'est cela l'intégration. La rencontre de deux mondes, voire plus, qui s'interrogent, se mélangent, s'approprient ou non les aspects de l'un et de l'autre, sans se fondre nécessairement dans l'une ou l'autre, sans s'assimiler ou en s'assimilant parfois, une culture absorbant l'autre.

Religion et commerce, je t’aime moi non plus

Ce processus d'intégration vaut aussi pour les rapports entre religion et commerce. Contrairement aux propos erronés de Laurent Burgoa sur Facebook : « Désole (sic) mais Noël ou pâques pour carrefour sont des fêtes pour les enfants ou plus grands mais pas religieuses Avec le Ramadam, ce n'est pas le cas!!! ». Noël et Pâques sont devenues des fêtes, des pics commerciaux, pour tous, enfants et grands, du fait de leur commercialisation à outrance et de leur exploitation aussi bien par les distributeurs que par les annonceurs.

Voici quelques exemples pour illustrer « la magie » du marketing et l'appropriation du religieux par le marketing :

1) Coca-Cola fait face à un problème quelques décennies après son lancement : perçue comme une boisson désaltérante et fraîche, elle se consomme trop peu l'hiver. Il faut renforcer les ventes. La grande trouvaille ingénieuse du géant américain est de s'emparer de l'image de Saint-Nicolas et de réinventer Santa Claus, Le Père Noël, et partant, de diffuser une iconographie très riche mettant en avant la magie de Noël, la convivialité de la fête, le moment de partage, et surtout de rendre complètement évidente la bouteille de Coca et le verre de soda que l'on échange à cette occasion.

2) Aux États-Unis, la forte présence de la communauté juive, qui ne fête pas Noël, incite les enseignes à avancer dans le calendrier la « magie » de cette fête pour enfants afin de la faire coïncider avec Hanukkah. Le syncrétisme aidant, on décore les boutiques de plus en plus tôt, les enfants juifs reçoivent des cadeaux pour Hanukkah et ainsi envient moins les enfants chrétiens. Le marketing enrobe tout cela sous le terme de « lumières » de Noël ou de fin d'année et hop, le tour est joué. En important ces habitudes, les enseignes françaises ont également vu l'opportunité d'avancer les décorations de Noël, qui débutent maintenant parfois en novembre (voire même octobre).


Un débat qui interroge notre rapport à l’islam

Encore une fois, la question de la « gêne » ressentie face à la réappropriation du ramadan par les enseignes interroge plus notre vrai rapport à l'islam en France, pas notre rapport au religieux ni aux techniques du marketing, que l'on accepte pour tout et n'importe quoi. C'est pourquoi, s'insurger contre ce qui selon moi fait partie d'un processus d'intégration culturelle au quotidien, presque naturelle, dénote du refus que cette intégration se fasse et relève d'une propagande politique aussi pauvre que la démarche commerciale qu'elle critique, mais certainement plus nauséabonde, car elle se masque derrière le voile d'une laïcité omnipotente et tyrannique.

À défaut d'un brassage culturel plus riche dans un espace/temps privilégié (un musée, une salle de concert, une école),  je continue à privilégier ce brassage commercial populaire, parfois appauvrissant : il est le seul garant que ni les politiques et leurs lectures partisanes, ni les religieux, et leurs dogmes orthodoxes ne puissent intervenir.

Tout comme je tolère cette ridicule interprétation du nouvel an chinois, je souhaite également tolérer cette triste interprétation du ramadan à la Carrefour. Elle ne m'enrichit ni ne me menace, au pire ai-je à regretter que l'aspect festif ne soit pas suffisamment présent dans le cas des fêtes musulmanes. Je regrette de ne pas vivre plus d'Iftars en France, ces moments de convivialité et d'ouverture, ces moments de rupture. La fête, ensemble, pour tous (comme le défilé du nouvel an chinois ou sur un autre registre, la Gay Pride); c'est l'ingrédient marketing par excellence pour permettre au plus grand nombre de changer d'avis et de perception, les uns par rapport aux autres et vice-versa.

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