Rondes et grosses, ces clientes que le monde de la mode refuse de voir

Publié le Dimanche 22 Septembre 2013
Rondes et grosses, ces clientes que le monde de la mode refuse de voir
Rondes et grosses, ces clientes que le monde de la mode refuse de voir
Dans cette photo : Karl Lagerfeld
« Cachez-moi ces gros que je ne saurais voir ! » Voilà ce que semble hurler notre société à l'intention de tous ceux qui sont un peu trop grassouillets, en particulier si ce sont des femmes. Tribune de Catherine Lemoine, militante de la Size Acceptance et chroniqueuse pour MaGrandeTaille.com.
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Des clientes rondes à séduire

Si on les adore à nouveau avec des formes, encore faut-il qu'elles soient judicieusement « agencées », de préférence et de façon quasi-extraordinaire au niveau des seins et des fesses. En dehors de cela, pas de place pour la cellulite, les bourrelets. L'utilisation même de ces mots étant à elle-même presque une insulte provoquant une quasi-immédiate et irrépressible envie de vomir et/ou de se mettre au régime illico !

Il en va de la mode grande taille comme du reste de notre société. Si on commence enfin à considérer les rondes comme des clientes à séduire, pour les grosses c'est encore très compliqué. Si par chance on leur accorde quelques modèles au-delà du 52, qu'elles ne viennent pas en plus demander qu'ils soient tendance, bien coupés et à des prix abordables. Tout ce qui est rare est cher et la mode grande taille n'y échappe pas !

C'est dans ce contexte qu'est arrivée la semaine dernière la Fashion Week de New York. Elle semble avoir eu envie de donner un coup de pied salvateur dans la fourmilière en présentant le premier défilé de mode grande taille. Le premier depuis 70 ans ! Une vraie révolution... Et attention, pas question de mettre sur les podiums des mannequins dit « plus size » s'habillant en 42/44... La créatrice de la marque Cabiria a « mis les pieds dans le plat » en faisant défiler de superbes femmes grosses, sublimement maquillées, coiffées et habillées comme tous les autres modèles taille zéro. « Superbe », « femme » et « grosse » dans la même phrase... N’est-ce pas un peu fou-fou tout cela ?

Une révolution que l'on voudrait voir enfin arriver en France

Certes, on a bien quelques numéros « Spécial rondes » dans la presse féminine, mais dans le meilleur des cas, ils mettent en scène des mannequins taille 42/44 pas plus !

Des « spécial rondes » qui n’ont visiblement pas envie de parler aux « grosses » qui le leur rendent d'ailleurs bien et qui ont bien du mal à trouver de jolis vêtements de grande taille. Passé le 44/46, il semblerait que les dressings doivent se transformer placard à housses plus size.

Les fabricants sont à des années lumières de ce qu’attendent les femmes rondes et plus. Leurs modèles sont présentés sur des mannequins taille 40/42 alors que les collections vont parfois jusqu’au 70 ! Quant au mot « mode »... Peut-on vraiment parler de mode quand on parle de l’offre grande taille ?

Mode pour les rondes... Il y a une grande hypocrisie dans tout cela. On parle de rondes, de plantureuses, les grosses étant elles laissées de côté, alors qu'honnêtement, quand on s'habille en 54, on n'est pas « ronde », on est « grosse » , comme un grand est grand, un petit est petit, un brun est brun etc. Grand, petit, brun ne sont pas des insultes, alors pourquoi grosse est-il considéré comme une insulte ?

Y aurait-il autre chose que des questions de mensurations derrière tout cela ? On s'interroge

La grosse ne serait pas vendeuse, elle ne ferait pas rêver. D’après les marques, la cliente grosse n’a pas envie de voir une personne qui lui ressemble en photo...

C’est amusant, car lorsque l’on parcoure les blogs de mode, comme Ma Grande Taille, par exemple, les lectrices semblent toutes en avoir assez de voir les vêtements portés par des mannequins qui ne leur ressemblent pas ! Le Blog de Big Beauty (Stéphanie Swicky) rencontre un vif succès alors qu’elle se met en scène portant des vêtements souvent ajustés malgré ses formes plus que généreuses. Son blog regorge de messages d’admiration et de femmes lui disant merci d’oser présenter des jupes courtes alors qu’elle a de grosses jambes, des vêtements sans manches alors qu’elle a de gros bras, des ceintures alors qu‘elle a un gros ventre, etc. Pour elles, ce n’est visiblement pas un problème, c’est même un modèle, une idole. Elles ne voient pas une « grosse femme », mais une « jolie femme ». Alors pourquoi les marques sont-elles aussi hésitantes ?

Karl Lagerfeld, le grand maître de la mode déclarait dernièrement que la sublime chanteuse Adele était « trop grosse ». Interrogé sur l’image des mannequins très maigres, il répondait : « Il y a moins d'1% de filles anorexiques en France, mais il y a 30% de filles en surpoids. Je pense que la junk food diffusée sur nos écrans est bien plus dangereuse et mauvaise pour leur santé ». Ajoutons à son palmarès sa célèbre phrase d’octobre 2009 : « Personne ne veut voir des femmes rondes dans la mode » qui avait fait couler beaucoup d’encre.

Si personne ne veut les voir, elles existent pourtant bien. Elles sont des clientes comme les autres, disposant d’un pouvoir d’achat. Des femmes qui ont envie de séduire, de s’habiller, de se sentir belles.

En continuant à nier ainsi le corps de ces femmes « grosses », les industriels se privent d’un joli pactole. Il ne s’agit pas là de faire l’apologie de l’obésité mais de rappeler que la mode devrait répondre aux désirs de chacun et chacune d’entre nous.

N’ont-elles pas le droit de s’habiller elles aussi, d’aller à la plage, de sortir, d’être élégantes, et pourquoi pas franchement fashionistas ? Est-il si compliqué de produire quelques exemplaires de chaque modèle en montant un peu plus haut dans les tailles ?

Est-ce qu’à l’instar Abercrombie & Fitch qui ne veut pas de gens « gros et moches » dans ses rayons, les industriels pensent qu’habiller des gros dégraderait la valeur d’une marque auprès de ses acheteurs branchés. Les clients minces seraient-ils contre le fait de voir le même vêtement fashion sur une femme taille 56/58 ? Cela freinerait-il les ventes ? On peine à le croire.

Près de 30% des femmes s’habillent en 44/46/48

N’oublions pas que si les tailles 36/38/40/42 représentent 55,6% des femmes françaises, 29,3% s’habillent en 44/46/48, 10,6 % en 50/52/54 et près de 4% au-delà. C’est encore plus parlant en chiffres ! Les 44/46/48 représentent un marché d’environ 7 818 000 femmes âgées de plus de 18 ans, les 50/52/54 2 828 000 femmes, et les 56 et plus 1 067 000 femmes, presque autant que les tailles 38 !

Messieurs de la mode, la prochaine fois que vous commercialiserez vos collections, pensez-y.

Allez-vous encore longtemps ignorer ces clientes potentielles ? Quelque chose me dit que si vous n’y prenez gare, ce marché pourrait très bientôt vous filer sous le nez !