Top Chef 2013 : sexisme en cuisine

Publié le Mardi 19 Février 2013
Top Chef 2013 : sexisme en cuisine
Top Chef 2013 : sexisme en cuisine
La quatrième saison de Top Chef bat son plein, réunissant chaque lundi soir près de 4 millions de téléspectateurs et surtout téléspectatrices fascinées par cette compétition culinaire haletante faite de suspens, de colères, de rebondissement mais aussi… d'un certain sexisme relevé semaine après semaine par des internautes impressionnées par la phallocratie ancestrale qui semble régner dans l'univers de la haute gastronomie.
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Dès leur plus jeune âge, les filles sont incitées par les fabriquants de jouets, leurs parents, l’école et la société dans son ensemble à tâter de la casserole en bois. Pendant que leurs frères crânent au volant de camions rutilants et sonores, ces jeunes demoiselles suent aux fourneaux, mitonnant carottes en plastique et poulets en mousse afin de nourrir leur nombreuse progéniture faite de doudous et de poupées. Bah oui, elle font comme maman, quoi ! Originellement conditionnées, on eût pu croire alors que les femmes prendraient le pouvoir de cette voie enviée qu’est la cuisine professionnelle pour (très bien) vivre de leur passion, exercer l’un des métiers les plus courus du moment et imposer à ces conducteurs de poids lourds leur expérience acquise de longue date.

Et pourtant, lorsqu’on regarde
Top Chef, « le plus grand concours de cuisine réservé aux professionnels », on comprend rapidement qu’à ce niveau, les femmes ont été laissées au bord de la route avec leurs cuisses de dinde en mousse. En 2010, au casting de Top Chef, elles étaient 3 femmes sur 12 candidats, puis 3 sur 14 en 2011, idem en 2012 pour enfin atteindre à nouveau la barre symbolique des 25% en 2013 (vive la parité !). Quant au Michelin, l’année dernière, il couronnait 12 femmes pour 571 hommes de ses divines et mâles étoiles... Si beaucoup argueront que les horaires imposés par cette activité phagocytante sont peu compatibles avec une vie de famille (notamment à cause des fameuses « coupures » entre deux services qui, selon notre chef Rosalyne Sakulwongsa, créent un quotidien difficilement compatible avec une vie sociale digne de ce nom), on s’étonne pourtant que les deux premières gagnantes de Masterchef, chacune mère de famille, laissent entendre le contraire. Elisabeth confiait d’ailleurs au Parisien : « Moi qui ai exercé le métier d'infirmière avec deux jeunes enfants, je pense que cuisine et famille n'ont rien d'incompatible. Ça demande juste de l'organisation ! ». Et même si Rosa se voit difficilement « envoyer ses 120 couverts à 7 mois de grossesse », l'inégalité hommes-femmes observée en cuisine n'aurait finalement pas grand chose à voir avec la maternité...

Des fours trop hauts, conçus pour des hommes grands et forts

Il semble en effet que le terme de « brigade », solidement ancré dans le vocabulaire militaire, pas le plus women friendly qui soit, n’ait pas été conservé au hasard et participe à la préservation d’une atmosphère éminemment machiste en cuisine, sans que personne ne cherche à le faire changer. Sur Wikipedia, lorsqu’on tape « chef cuisinier », on trouve tout simplement la définition suivante : « Meneur d’hommes, il coordonne le bon fonctionnement de la brigade. » Selon Kim Thuy, écrivaine québécoise qui a tenu un restaurant vietnamien à Montréal, en cuisine, « les fours sont trop hauts, conçus pour des hommes grands et forts. Si vous saviez le nombre de brûlures et de cicatrices que je me suis faites en voulant saisir des plats. Dans certaines marmites, je ne voyais pas le fond. Même les couteaux étaient disproportionnés par rapport à ma taille. »

Ne parlons pas du
Japon où, même en 2013, l’idée d’une femme itama (chef sushi) relève encore de l’hérésie (sous le prétexte que leur maquillage ou leur parfum altérerait leur sens olfactif, ou parce que leurs mains sont jugées trop chaudes…). En bref, ces messieurs semblent vouloir garder jalousement leurs jouets et cet univers traditionnellement masculin rien que pour eux, fermant ostensiblement la porte de leur monde viril. Selon Rosa, une femme devra d'autant plus se battre en cuisine qu'elle gravit les échelons, subissant alors souvent la ire de mâles egos blessés. Passée « au chaud », et donc au même grade que ce sous-chef qui l'adorait, elle constate : « lorsque j'étais  sous ses ordres, je lui étais sympathique. Lorsque j'ai atteint son niveau, son ego ne l'a pas supporté. »

Vaisseaux, sous-marins, navires mais aussi, semble-t-il, cuisine : ces huis-clos ne toléreraient manifestement pas la présence d’une Eve tentatrice détournant la brigade couillue et disciplinée de son objectif initial : le boulot, merde ! Et comme le concluait le chef Anton (chef 3 étoiles du Pré Catelan, mais aussi juré de « Masterchef ») lorsque nous étions allés l’interroger sur la présence, ou plutôt la non-présence, de femmes en cuisine : « Trop de filles au même endroit au même moment, ça peut devenir compliqué… »

Oui, chef !

Assez discret sur ses élans résolument misogynes, le monde de la cuisine entrouvre pourtant la lucarne dans les émissions comme Top Chef, qui laissent la parole à ces professionnels aguerris, souvent élevés en brigade depuis l’âge de quatorze ans, qui laissent alors s’exprimer sans filtre ce sexisme ordinaire dont plus personne ne s'émeut et ne semble même s'apercevoir. « Je vais mettre mes couilles sur la table ! », s’exclamait encore lundi soir Yoni, décomplexé du vocable pénien. Tout comme Florent, qui veut que ses plats le fassent « bander ». Il faut en effet « supporter le ton quotidiennement graveleux des cuisines. Tout a rapport au sexe et tout tourne autour de ce sujet de prédilection », concède Rosa. Julien, lui, surfe sur les clichés plutôt que sur le lexique paillard. Pour séduire les Miss France venues déguster et juger leurs plats, il leur avait en effet mitonné un petit dessert sucré à souhait et rose bonbon, parce que « on sait bien que les nanas sont gourmandes ». Bah oui, enchaînait alors Florent, « c’est pas le genre qui mangent du cassoulet ». Vu comme ça, on comprend que les femmes soient peu attendues en termes de créativité culinaire : en clair, pour cuisiner des rognons, mieux vaudrait en avoir des grosses.

Dans les foyers, il n’est pas rare non plus que madame soit cantonnée aux steack hachés, patates et coquillettes rébarbatifs de la semaine alors que monsieur prendra possession de la cuisine pour épater amis et collègues les soirs de week-end, laissant le chantier à ces délicates petites mains qui savent « si bien ranger ». « Comme tu cuisines bien, Norbert... Ça doit être un bonheur d’avoir un homme comme ça à la maison, non ? » Grrrr. Tiens, Norbert, parlons-en, qui ce lundi soir, assistant à l’épreuve de deux des candidates les plus douées de la saison, lâchait : «
Y’a de la bonasse quand même à Top Chef ! » Bref, comme il le dirait lui-même, « un cri qui vient du slip ! ». Le pire dans tout ça, c’est que les quelques demoiselles acceptées avec mansuétude dans l’antre mâle semblent avoir elles-mêmes été conditionnées par ce machisme sectaire. Si la plupart ne trouvent rien d’étonnant à ce qu’on qualifie leurs créations de « cuisine de femme » (sic), Latifa RÊVE même que Norbert dise d’elle : « Maman elle a envoyé aujourd’hui ». Quant à Virginie qui, avec sa voix d’enfant et ses minauderies énervantes, rend peu service à la cause, elle s’excusait (sincèrement) la semaine dernière de n’être « qu’une fille ».

La conclusion reviendra certainement à Thierry, l’agriculteur brut de décoffrage invité hier soir à déguster huîtres et moules, et qui nous gratifia de cette perle qui fit marrer tout le monde, Ghislaine Arabian (seule femme du jury, quota des 25% oblige) la première : « Il faut toujours avoir la frite, déjà. Et après, on goûte à la moule ! » (rire gras).

Consolez-vous mesdames, grâce à l’émission et à ses nombreuses coupures pub pendant lesquelles on essaiera de vous refourguer tout l’attirail nécessaire à la confection de vos fameux steack hachés, vous aurez également la possibilité de gagner 1 an de liquide vaisselle. Et ça, c’est quand même bien pratique dans une cuisine domestique !