La femme dispose-t-elle réellement de son corps ?

Publié le Mardi 11 Septembre 2012
La femme dispose-t-elle réellement de son corps ?
La femme dispose-t-elle réellement de son corps ?
Objet de plaisir, outil de procréation ou territoire à défendre, notre experte Sophie Bramly se penche aujourd'hui sur la question du corps féminin à travers les siècles.
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La femme dispose-t-elle réellement de son corps ?
À l'heure où la bataille des élections américaines se joue en partie sur son corps (l'avortement sera-t-il, ou non, remis en question, au nom de la morale ou de la démographie ?), il est opportun de se souvenir que dès la Grèce Antique – et peut-être même avant – l'Eros était une affaire d'hommes et les propos de Dèmosthène en attestent : « Les courtisanes, nous les avons pour le plaisir ; les concubines, pour les soins de tous les jours ; les épouses, pour avoir une descendance légitime et une gardienne fidèle au foyer ».

Platon, dans son « Banquet », envisage la femme essentiellement comme une matrice pour la reproduction, l'amour physique se joue ailleurs (entre hommes pour lui, entre esclaves et prostituées pour la plupart des Grecs), seul Aristophane fait exception, parlant, lui, d'un corps double scindé en deux entités sous le coup de la colère des Dieux, d'où une éternelle quête à vouloir retrouver « son autre moitié ». Mais dans une société centrée sur la « domination des hommes libres »*, la morale des plaisirs est définie par les hommes, dont les rapports entre eux, relation charnelle ou simple amitié, sont plus solides et importants que tous les marivaudages avec les femmes, il suffit que la descendance soit assurée. Le mariage d'un homme n'implique aucunement le lien sexuel à son épouse. Chez les Romains, faire l'amour est un devoir civique presque ennuyeux, où la femme allongée (définie aussi comme « le ventre ») attend que l'époux éjacule sans autre but que de récolter son sperme afin de procréer, et lui-même voit l’acte comme une besogne.

De même, il est entendu, dès les prémices de l'ère chrétienne, que le plaisir ne peut faire partie des rapports sexuels que s’il sert à améliorer la procréation.

Parce que la question de l'enfant légitime est un souci profond pour l'homme, les Grecs avaient instauré des lois d'une rigidité implacable en cas d'infidélité de l'épouse (impossibilité de se présenter dans des lieux publics, etc.), bien que l'acte privé du mariage ne nécessitait pas l'intervention des pouvoirs publics.

Jusqu'au XVIIIe siècle, où furent découverts ovules et spermatozoïdes, le ventre de la femme n'était rien d'autre qu'un réceptacle du sperme à fin de procréer. La question reste encore aujourd'hui si cruciale, malgré la fiabilité des tests de paternité, que le plaisir féminin lorsqu'il se dévoile sous la plume scientifique, continue d'offusquer les plus conservateurs d'entre nous, car il bouscule une société occidentale entièrement construite sur le culte du phallus (Grecs et Romains plaçaient des sculptures géantes de phallus à l'entrée des villes pour afficher une bonne santé de leur société). Un clitoris bande et voilà que certains défaillent.

La dissymétrie mise en place par les Grecs vaut encore aujourd'hui. Certes, la contraception a changé le cours de l'histoire des femmes et les a libérées, mais elle n'a pas encore libéré tous les esprits, ni modifié en profondeur les cultures. Jean-Jacques Rousseau disait dans « Émile » que « le mâle n'est mâle qu'en certains instants, la femelle est femelle toute sa vie », signe d'une crainte ancienne de féminisation de l'homme. Un système de défense masculine contre ce qui serait le « crépuscule du pénis » (Jean-Jacques Courtine), entraînant une féminisation de la société n'est que la marque conservatrice de ceux qui voient les valeurs du passé comme un refuge aussi douillet que la matrice féminine qui leur a donné la vie. Refaire du ventre de la femme un temple sacré dont ils auraient les pleins droits ne suffira pas à calmer leur vulnérabilité, leurs angoisses. Si les Américaines (comme les Espagnoles) ne défendent pas âprement leurs droits grâce à leurs bulletins de vote, elles risquent de se retrouver bien vite dans l'espace si confiné, carcéral, qui a été le leur pendant des siècles, et leur ventre, leur corps, leur sexe seront à nouveau et pour longtemps encore un territoire sous la loi des hommes.

* Michel Foucault, « L'usage des plaisirs »

Crédit photo : iStockphoto

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