Desk sharing : sommes-nous prêts à partager nos bureaux ?

Publié le Vendredi 12 Juillet 2013
Desk sharing : sommes-nous prêts à partager nos bureaux ?
Desk sharing : sommes-nous prêts à partager nos bureaux ?
Est-ce la fin du bureau perso, avec plantes grasses et boîtes de gâteaux planquées ? Avec le desk sharing, les espaces de travail sont interchangeables entre les collaborateurs, en fonction de leurs disponibilités et de leurs horaires. Mais ce nouveau mode d'organisation est-il vraiment fait pour tout le monde ?
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Sébastien a 28 ans. Depuis un peu plus d'un an, il travaille dans une entreprise de presse en horaires décalés. Dans son service, une cinquantaine de personnes se relaient chaque jour en deux équipes. Lui fait partie de celle de l'après-midi. Mais quand il arrive à 13 heures, Sébastien ne sait jamais quel sera son poste de travail. Sa société pratique le « desk sharing », une forme de partage de l'espace fréquente aux États-Unis et de plus en plus pratiquée en France. Surtout réservé aux entreprises de consulting à ses débuts, comme Accenture, qui la première s'est lancée dans les années 1990, ce mode d'organisation se développe désormais chez les commerciaux ou dans les entreprises de presse. Le principe ? Fini le bureau perso, avec photos et boîtes de gâteaux planquées, les tables de travail sont désormais interchangeables en fonction des disponibilités et des horaires de chacun. Et pour l'employeur, cette technique n'est pas sans intérêt. Selon le conseiller en immobilier d'entreprise, Jones Lang LaSalle, seuls 60% des postes dans les immeubles de plus de 5000m² en Île-de-France sont occupés. Dans un contexte économique difficile, et qui plus est dans une région où la pression immobilière pèse sur les sociétés, les mètres carrés alors gagnés ne sont pas négligeables. Une augmentation de 15% du ratio d'utilisation d'un poste se traduirait ainsi, selon la même étude, par une réduction de coût de 25% par poste de travail.

« Les salariés ont a priori une préférence pour un bureau exclusif »

Mais si le desk sharing est tentant pour les entreprises, l'est-il tout autant pour les salariés ? Non, répond Alain d'Iribarne, président du Conseil scientifique d'Actineo, l'Observatoire de la qualité de vie au bureau : « Les salariés ont a priori une préférence pour un bureau exclusif. » Et en effet, 90% des employés disposant d'un poste individuel le plébiscitent, selon les résultats du baromètre Actinéo/TNS Sofres 2011. « Mais ce n'est pas pour autant qu'ils ne comprennent pas que leur table de travail puisse être utilisée par quelqu'un d'autre lorsqu'ils sont en déplacement ! » précise le sociologue. Sébastien le reconnaît d'ailleurs, cette organisation ne l'a pas « choqué » lorsqu'il est arrivé dans son entreprise : « Je pensais que c'était de toute façon inhérent à la division de notre poste en deux équipes. » Pourtant, le jeune homme a « très vite déchanté » : « J'ai compris qu'il n'y avait pas assez de place pour tout le monde et qu'il faudrait que j'arrive tous les jours un peu en avance. » Un facteur de stress pour lui, mais surtout de démobilisation dans son travail : « Les jours où on est trop nombreux, on peut se retrouver à naviguer d'un poste à un autre au cours de la même journée. Comme si on était le prolongement du matériel informatique. C'est extrêmement aliénant et du coup on ne se sent pas impliqué comme il le faudrait dans l'entreprise. »

Le desk sharing, idéal pour « s'approprier l'espace collectivement »

Pour Alain D'Iribarne, pas question de diaboliser le desk sharing, ni d'en vanter les mérites. Ce mode d'organisation n'est tout simplement pas fait pour tout le monde, selon le sociologue : « Il correspond à un certain type de métier. Et il faut être attentif à qui l'on met sur le même poste. Il faut une équipe qui s'entend bien, qui ait la possibilité de s'approprier l'espace collectivement et la capacité de s'organiser ensemble. Si l'on interdit aux salariés de personnaliser leur environnement, qu'ils doivent tout le temps vider les lieux et qu'ils n'ont rien à dire sur leurs co-utilisateurs, ce peut être une organisation contre-productive. » Une dimension collective qui manque aujourd'hui à Sébastien : « Mon lieu de travail, froid et impersonnel - type "call center" - me prouve à quel point c'est important d'avoir un bout de son univers au travail. C'est quand même l'endroit où l'on passe le plus clair de son temps [...] Dans les films, quand une personne se fait virer, on la voit toujours repartir avec un carton rempli d'affaires personnelles. Si ça devait m'arriver, je repartirais comme je le fais tous les jours : les mains dans les poches, avec mon sac en bandoulière. Cela doit faire bizarre, surtout pour quelqu'un qui y travaille depuis des années. »

« Ce dont nous avons surtout besoin, c'est de salles de réunion »

Pour Alain d'Iribarne, ce mode d'organisation est « une contrainte supplémentaire » pour le salarié, mais elle peut être aussi un gage de flexibilité. Christian a 26 ans et pratique depuis deux ans et demi le desk sharing chez Deloitte où il est consultant senior : « Je me déplace énormément, je peux passer la journée au bureau ou chez un client, ou je peux naviguer entre les deux. Quand je suis au travail, j'utilise l'espace dédié à notre équipe, où j'amène mon matériel : ordinateur, téléphone, casque, tablette, tout est mobile. Et si je dois revenir le lendemain, j'y laisse mes affaires. » Un mode de fonctionnement qui lui convient parfaitement : « Nous faisons énormément de points ensemble, le partage d'informations est essentiel dans notre métier. Ce dont nous avons surtout besoin, c'est de salles de réunion, et ça, nous en avons beaucoup. » Dans les locaux de son entreprise, on compte ainsi entre 1,5 et 2 collaborateurs par poste pour l'ensemble des consultants et auditeurs, à l'exception des plus séniors. « Mais ce n'est pas du tout aseptisé, ajoute le jeune homme. Nous avons des trophées d'équipe, des photos de vacances, nous hésitons même parfois à faire venir les clients dans nos locaux tellement ceux-ci sont décorés à notre goût ! »

Un management exigeant

Mais si l'expérience peut donc s'avérer heureuse, comment manager quand les lignes hiérarchiques sont ainsi floutées ? « C'est beaucoup plus compliqué !, insiste Alain d'Iribarne. Le manager est encore plus contraint à l'harmonie dans son équipe. Et il ne suffit pas d'édicter un code de conduite, c'est là toute la difficulté. Il faut que tous les employés soient d'accord entre eux. » Et en effet, lorsque le supérieur de Sébastien a souhaité organiser un concours de création artistique entre les employés pour décorer les bureaux, l'idée n'a pas eu le succès escompté : « Ce que je veux, ce n'est pas une croûte d'un collègue-artiste contrarié, mais pouvoir avoir mon propre poste, laisser mes magazines sur mon bureau, avoir ma propre photo en fond d'écran, mon tiroir, une adresse mail, voire un téléphone. Bref, qu'on me fasse comprendre que ma présence influe sur l'entreprise », conclut le jeune homme. Pour Alain d'Iribarne, il faut donc être très vigilant quant à l'organisation en desk sharing : « Il peut être une immense source de conflit, avec des salariés en souffrance, qui au mieux se révolteront, et au pire déserteront. » Mais il peut aussi être une opportunité rappelle le sociologue : « Les salariés ont aussi plaisir à partager ! Une des sources de bien-être au travail, c'est le collectif, la coopération en équipe. »

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