J'ai binge-watché "You" et j'ai le syndrome de Stockholm

Publié le Mardi 08 Janvier 2019
Pauline Machado
Par Pauline Machado Journaliste
Pauline s’empare aussi bien de sujets lifestyle, sexo et société, qu’elle remanie et décrypte avec un angle féministe, y injectant le savoir d’expert·e·s et le témoignage de voix concernées. Elle écrit depuis bientôt trois ans pour Terrafemina.
J'ai binge-watché "You" et j'ai le syndrome de Stockholm
J'ai binge-watché "You" et j'ai le syndrome de Stockholm
Le 1er janvier, j'ai regardé les 10 épisodes de la première saison de "You", la série Lifetime diffusée sur Netflix, et j'ai un aveu à faire : Joe Goldberg, le sombre psychopathe et anti-héros de l'histoire, ne me laisse pas indifférente. Explications.
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On est au lendemain du 31 décembre, j'ai mal au crâne. Je ne peux décemment pas quitter l'appartement dans cet état - physique comme cérébral - alors je cherche quelque chose à faire qui ne me prendra aucune énergie. La réponse : une bonne série. Une bonne nouvelle série. Vacances de Noël oblige, je me suis déjà enfilée une centaine d'heures de films et d'épisodes, et j'en suis même à croire que Netflix n'a plus de secrets pour moi. Grave erreur.

J'allume la télé, avachie sur le canapé, je bascule sur la plateforme de streaming et je tombe nez à nez avec le regard noir de Penn Badgley, aka ex-Dan Humphrey, aussi connu comme le personnage qui a subi le sort le plus décevant de l'histoire de la télé : être finalement derrière Gossip Girl.

Cette fois-ci, l'acteur est le protagoniste de You, un projet signé Sera Gamble et Greg Berlanti pour Lifetime, qui raconte la rencontre entre un harceleur et sa proie. On n'en sait pas vraiment plus pour l'instant, à part que ça a l'air terrifiant.

La bande-annonce se lit et l'ambiance sombre à contre-emploi du soap-opera pour riches New-Yorkais me tente bien. Je lance le pilote, je ne risque pas grand-chose, à part une petite frayeur. Et puis au pire, je pourrais toujours changer pour un vieux Secrets d'Histoire - il paraît qu'Aliénor d'Aquitaine passe encore en replay.

L'épisode s'ouvre avec Penn Badgley qui joue Joe Goldberg, un libraire passionné par son boulot, qui vit un coup de foudre pour Beck, une cliente. Comme je connais le synopsis, je ne suis pas vraiment surprise, bien que troublée, par la façon dont il analyse tous ses faits et gestes. Ils se parlent, ils flirtent, ils ont l'air de se plaire. Mais pas de numéro à la clé.

Ça pourrait s'arrêter là, d'ailleurs avec les gens sains, ça s'arrête souvent là, mais Joe n'est pas quelqu'un de sain. C'est un "stalker", un harceleur. Il a un comportement obsessionnel avec les femmes dont il est amoureux, et Beck vient de tomber dans ses filets.

Il agit méthodiquement.

D'abord, il recherche sa présence en ligne. Tous ses réseaux sociaux sont en mode public, tout le monde peut y avoir accès. Il se fait une idée de sa personnalité à travers cette fenêtre virtuelle. Il trouve son adresse et il passe au harcèlement réel. Et moi, j'en profite pour changer mes paramètres de confidentialité.

Pendant de longues heures, il la regarde vivre - Beck n'a pas de rideaux alors qu'elle vit au rez-de-chaussée, pourquoi ? -, coucher avec un mec, se masturber. Il la suit au resto, en justifiant aux téléspectateurs son comportement avec ses expériences passées : il a eu le coeur brisé, il veut donc s'assurer qu'elle est bel et bien faite pour lui. Comme s'il s'agissait du seul obstacle à leur romance et que son avis à elle n'avait pas vraiment d'importance.

Le Prince charmant et Barbe bleue

Troisième étape : la prise de contact. C'est à partir de ce moment-là que ça commence à basculer dans ma tête. Joe et Beck apprennent à se connaître et même si je suis très consciente des gros problèmes psychopathiques du personnage masculin (au-delà de harceleur, il est aussi meurtrier), je me laisse séduire en même temps qu'elle - sauf que moi, je suis déjà au courant qu'il est taré.

Je ne le trouve pas logique mais il me touche un peu, et j'espère presque une fin heureuse pour les deux "amoureux". J'en arrive même à défendre son cas auprès de mon frère qui me prend, à juste titre, pour une folle, et qui me demande comment je peux l'apprécier ne serait-ce qu'une seconde. "Il est drôle parfois, et puis il essaie aussi de la protéger en se débarrassant des personnes qui lui nuisent... non ?"

Non, on ne tue pas les gens. On ne suit pas les gens, on n'observe pas les gens depuis l'autre côté de la rue. Les gens ne nous appartiennent pas.

Après 10 épisodes intenses, la série se termine évidemment en drame et même là, je suis presque soulagée que lui ne se retrouve pas six pieds sous terre. Y'a urgence, mon syndrome de Stockholm - le fait d'avoir de l'empathie pour son tortionnaire - me fait flipper.

La raison principale de ce phénomène ? On est de son côté, littéralement. Car comme Joe narre chaque image ou presque, avec un humour plutôt cinglant et une haine des clichés millennials, on développe un peu de sympathie pour lui et on finit par lui trouver des excuses. On se dit que ce sont les autres qui le poussent à être comme ça. Et puis il ne peut pas être si mauvais, vu la façon dont il sauve une mère victime de violences conjugales et son fils.

Heureusement pour ma santé mentale, beaucoup d'internautes semblent avoir eu la même réaction que moi. Une de mes amies m'avouera même que c'est le caractère intelligent et cultivé du personnage qui l'attire. Aie.

Lors d'une interview de l'acteur et des actrices de la série, c'est pareil : Penn Badgley affirme détester son personnage et le trouver dingue, mais Shay Mitchell (qui joue Peach) est plus partagée : "Des fois je me demande si [ce que Joe fait] n'est pas romantique, je me pose la question. Comme par exemple qu'il veuille tout savoir [de Beck], c'est mignon."

On est du côté de Joe Goldberg mais surtout, on le trouve séduisant. Il a le style brun ténébreux aux traits fins et la mèche bouclée qui plaisent. Et c'est peut-être là-dessus que la série veut nous piéger : aurait-on eu la même empathie pour un mec qui ne correspondait pas autant aux critères de beauté du moment ? Serait-on tombée sous le charme machiavélique d'un acteur grimé pour l'occasion, même s'il était tout aussi intelligent ?

En repensant à Twilight, une autre fiction qui voit un homme s'introduire chez une jeune fille pour la mater en train de dormir, mais qui cette fois a été qualifiée d'histoire d'amour, je me dis que la définition du romantisme a effectivement pas mal vrillé - et que la frontière avec le harcèlement est devenue mince.

Dans le dernier épisode, Beck fait cette métaphore du fond de sa cage en verre, en se parlant à elle-même : "Maintenant que tu es dans son château, tu comprends que le prince charmant et Barbe Bleue sont une seule et même personne". Peut-être, mais ce n'est pas une raison pour excuser un criminel.