"Contre les violences sexuelles, mariez-vous" : la scandaleuse tribune du Washington Post

Publié le Vendredi 13 Juin 2014
Charlotte Arce
Par Charlotte Arce Journaliste
Journaliste en charge des rubriques Société et Work
"Contre les violences sexuelles, mariez-vous" : la scandaleuse tribune du Washington Post
"Contre les violences sexuelles, mariez-vous" : la scandaleuse tribune du Washington Post
Aux États-Unis, une tribune publiée mardi 10 juin sur le site du Washington Post par deux universitaires proches de la droite conservatrice a déclenché un tollé sur la Toile. Intitulée « Une manière d'en finir avec les violences faites aux femmes : arrêter de prendre des amants et se marier », elle tend à expliquer, en cafouillant graphiques et autres statistiques, que les femmes mariées seraient moins sujettes à se faire agresser par leur conjoint que les autres.
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Vous êtes une femme célibataire ? Alors il ne faut pas vous étonner si vous êtes un jour victime de violences sexuelles ou domestiques. En grossissant (légèrement) le trait, voici en substance le message porté par W. Bradford Wilcox et Robin Fretwell Wilson, deux universitaires proches de la droite conservatrice, dans une tribune parue mardi 10 juin sur le site Internet du Washington Post. D'abord intitulée « Une manière d'en finir avec les violences faites aux femmes : arrêter de prendre des amants et se marier » – le titre du papier a depuis été modifié –, leur tribune affirme, graphiques et schémas à l'appui, que les femmes et les enfants sont bien plus en sécurité dans des ménages où la femme est marié au père biologique de ses enfants.

Le titre initial de la tribune parue sur le "Washington Post"

Éloge du « père biologique marié »

Sans une once de second degré, Wilcox et Wilson expliquent que les femmes célibataires sont, du fait de leur mode de vie, bien plus enclines d'être violentées par leurs « amants » que les femmes mariées par leurs époux. « Le débat public sur les violences faites aux femmes a occulté le fait que d'autres hommes sont plus susceptibles de les protéger, directement et indirectement, de la violence masculine : les pères biologiques mariés. [...] Une autre étude du ministère de la justice américain a révélé que les femmes jamais mariées sont quatre fois plus susceptibles d'être victimes de crimes avec violence, comparativement aux femmes mariées », peut-on ainsi lire dans leur article.  

Cela vaut aussi, selon eux, pour les femmes divorcées qui ont un nouveau compagnon. Moins présents et moins affectueux, les nouveaux concubins des mères séparées sont, d'après les deux chercheurs, des agresseurs en puissance pour les enfants du foyer. « Les enfants sont plus susceptibles d'être victimes de violence quand ils ne vivent pas dans la même maison que leur père. De plus les filles et les garçons sont beaucoup plus susceptibles d'être maltraités quand ils vivent dans un foyer composé de leur mère et du petit ami de celle-ci», dissertent-ils. Et de citer, pour appuyer leurs propos, deux rapports réalisés par le département de la justice américain, l'un datant de 2012 et l'autre de ... 1994.

Le mariage, ce bon vieux remède miracle pour dames prévoyantes

Les mêmes W. Bradford Wilcox et Robin Fretwell Wilson ne s'arrêtent malheureusement pas là. Pour eux, le mariage inciterait les hommes à « mieux se comporter ». Ils déclarent donc : « Les hommes ont tendance à s'installer après leur mariage, à être plus à l'écoute des attentes de leurs parents et amis, à être plus fidèles et à être plus attachés à leurs partenaires. Ces facteurs réduisent le risque de violence. Qui plus est, les femmes mariées sont plus susceptibles de vire dans des quartiers plus sûrs, d'avoir un partenaire qui veille sur leur sécurité [...] » Comprenez : pour Wilcox et Wilson, la responsabilité entière repose sur les femmes qui feraient mieux de se marier avec leurs concubins si elles veulent éviter d'être violentées par ces derniers.

Un « ramassis de conneries » qui attise les passions

Sitôt publié, la tribune du Washington Post a provoqué l'ire des internautes, qui ont vivement critiqué le point de vue biaisé des auteurs et leurs conclusions plus qu'approximatives. Pas une seule fois W. Bradford Wilcox et Robin Fretwell Wilson n'évoquent ainsi des facteurs autres que le célibat des femmes – à titre d'exemples, la précarité, le niveau d'études ... – afin d'expliquer les chiffres qu'ils évoquent.

Vrai « ramassis de conneries » selon le site Jezebel, d'une « négligence honteuse » d'après Slate, les conclusions tirées par les deux universitaires ont aussi été contestées par l'une des statisticiennes du rapport du département de la justice, cité à plusieurs reprises dans leur tribune. « La violence est associée à une multitude de facteurs. Mon graphique, qu'ils ont utilisé sur les violences conjugales au sein de différents types de foyers, ne montre qu'une variable, la composition du ménage. L'interprétation aurait été différente s'ils avaient pris en compte d'autres facteurs comme le fait que les victimes sont plus nombreuses entre l'âge de 18 à 24 ans », déplore Shannon Catalano.

La défense peu convaincante du Washington Post

Face à l'avalanche de commentaires négatifs, le rédacteur en chef de la rubrique PostEverything, Adam B. Kushner, s'est justifié sur Twitter. S'excusant pour le titre « maladroit » choisi pour l'article, il défend par contre la teneur de la tribune. « Le titre que nous avions initialement mis a distrait les gens, qui n'ont pas pris au sérieux ce dont les auteurs discutaient. C'est de ma faute », regrette-t-il. Avant de poursuivre : « Mais sur le contenu du papier, nous avons affirmé dès le début que le Washington Post Everything (la rubrique débat du site) était un espace de publication de différents points de vue sur les questions de politique et culture ».

Des justifications qui peinent pourtant à convaincre. Car si le principe de cette rubrique est de laisser s'exprimer les points de vue les plus hétéroclites sur des sujets de société, on peut tout de même attendre d'un grand quotidien tel le Washington Post qu'il ne publie que les thèses un minimum rigoureuses d'un point de vue intellectuel. Une tribune offerte à W. Bradford Wilcox et Robin Fretwell Wilson d'autant plus étonnante que le journal n'est pas réputé pour être proche de la frange la plus conservatrice de la droite américaine.

Et Slate de conclure que « la dernière chose dont les femmes victimes de violences conjugales ont besoin, c'est de s'entendre dire qu'elles peuvent transformer un mauvais homme en quelqu'un de bon rien qu'en l'épousant. Les femmes victimes de violence ont besoin d'aide pour s'en sortir, pas de sermons leur disant quoi faire ».

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