Violence scolaire : « il faut traiter le mal à la racine », Georges Fotinos

Publié le Mardi 12 Avril 2011
Violence scolaire : « il faut traiter le mal à la racine », Georges Fotinos
Violence scolaire : « il faut traiter le mal à la racine », Georges Fotinos
Le terme anglo-saxon est « bullying » : insultes, surnoms, menaces, rejet, coups... D’après l’étude de l’UNICEF sur le climat à l’école primaire, le harcèlement scolaire concerne près de 12% des écoliers. Georges Fotinos, co-auteur de l’étude, décrypte cette violence de l’accumulation et de la répétition lourde de conséquences. Entretien.
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Ancien inspecteur général de l’Education Nationale, membre de l’Observatoire international de la violence à l’école, et du Conseil d’administration de l’UNICEF France, Georges Fotinos travaille depuis 30 ans aux côtés des gouvernements sur la question de la violence à l’école. Il a cosigné, avec Eric Debarbieux, un rapport pour l’UNICEF intitulé « A l’école des enfants heureux… ou presque », publié en mars 2011.


Terrafemina : L’enquête réalisée pour l’UNICEF sur la violence à l’école primaire révèle qu’un enfant sur 10 serait victime de harcèlement. Que recouvre exactement cette notion de harcèlement ?

Georges Fotinos : On peut définir le harcèlement comme une combinaison de violences répétées, pas vraiment graves en soi dans la brutalité, mais qui jouent sur leur caractère cumulatif, des micro-violences verbales ou physiques qui s’accumulent sur les mêmes enfants. Notre enquête a conclu que 11,7% des élèves étaient victimes d’un harcèlement qui cumule violences répétées physiques et verbales à l’école : 4,9% victimes d’un harcèlement sévère, 6,7% soumis à un harcèlement modéré.


TF : Un rapport sur la violence au collège doit être remis au Ministre de l’Education nationale cette semaine. La violence en primaire est-elle encore plus préoccupante à la lumière de l’enquête de l’UNICEF ?

G. F. : Ces résultats ont été obtenus à partir des témoignages anonymes de 13 000 enfants, représentatifs de la diversité de la population. C’est la première fois qu’on mesure ces phénomènes, en se préoccupant du ressenti des enfants, et ce que l’on apprend sur les violences cumulées est inquiétant. Je travaille sur ce sujet depuis les années 80, les gouvernements ont toujours mis l’accent sur le collège et le lycée pour répondre au problème de la violence, sans traiter le mal à la racine, c’est-à-dire au niveau de l’école primaire. Les comportements agressifs chroniques ne surgissent pas spontanément après la 6e, ils viennent de plus loin et montrent que l’école élémentaire n’a pas rempli sa mission pour ces élèves-là.

 

TF : L’enquête montre que les garçons sont davantage agresseurs et victimes de cette violence, ce qui rejoint le constat de la thèse de Sylvie Ayral (« La fabrique des garçons ») Comment expliquer que la violence à l’école soit à ce point sexuée ?

G. F. : Je note tout de même que la violence « sexuelle » - voyeurisme aux toilettes (subi par 20% des élèves), déshabillage forcé (14%) ou baiser forcé (20%)- est partagée chez les filles et les garçons, tant du côté des victimes que des auteurs de ces violences. Mais il est vrai que la violence verbale, moqueries, surnoms, rejet par élèves, insultes, racisme, menaces -et physique –coups, bagarres, pincements, tirage de cheveux, bousculade, jets d’objets- est davantage le fait des garçons. Je pense que c’est le modèle que véhicule encore notre société patriarcale qu’il faut accuser. Le père représente toujours l’autorité et la force, les comportements dans la cour reflètent cet exemple.

TF : Quelles sont les conséquences de ces violences sur les enfants ?

G. F. : Pour certains elles seront graves et dramatiques. Les réseaux d’aide de l’Education Nationale et les médecins voient depuis longtemps ces enfants dans leurs consultations. Ils sont atteints dans leur santé mentale. Cela se traduit pas la peur d’aller à l’école, l’absentéisme, l’image de soi dégradée, la dépression et les tendances suicidaires plus tard. Une étude norvégienne a étudié les impacts possibles à long terme du harcèlement : qu’on soit victime ou agresseur, ces comportements sont acquis, ils ne sont pas enrayés et les victimes deviennent souvent des agresseurs. Une autre étude du FBI américain montre que 75% des auteurs de « school shooting » (attaque armée dans une école) avaient été victimes de maltraitance entre élèves. Mais n’oublions pas que le harcèlement concerne environ 10% des élèves, les 90% restants sont heureux à l’école primaire, heureusement.

TF : La violence à l’école s’impose comme un débat de société. Vous avez fait partie des premiers qui se sont intéressés au sujet, comment le climat scolaire a-t-il évolué depuis une quarantaine d’années ?

G. F. : Les boucs émissaires et les têtes de turc ont toujours existé dans les cours de récréation : à cause d’une différence physique, vestimentaire ou autre, un enfant se retrouve stigmatisé par les autres. Mais on n’enquêtait pas, pour certains c’était même normal, « ça forge les caractères » entend-on encore ! Les micro-violences n’existaient pas sous la même forme, les insultes qu’on entend aujourd’hui sont d’une violence inouïe, le recours à la violence physique est plus systématique et plus intense. Je pense que ce qui a réellement changé c’est la convergence de valeurs qui existait entre la famille, la société et l’école : l’enfant ne pouvait pas échapper à un modèle d’éducation. Tout cela a volé en éclat : le collectif, la famille, l’Eglise ne portent plus forcément ces principes, et l’Ecole se retrouve seule.


TF : Quelles mesures mériteraient d’être mises en place à l’école pour apaiser les cours de récréation ?

G. F. : Il faut une prévention systématique dès la maternelle, ce qui ne signifie pas du tout de ficher les élèves ! Mais plutôt de mettre en place des activités éducatives qui développent la sociabilité. C’est ce qui a été fait au Québec avec des résultats très positifs : il existe des programmes où les enfants découvrent les qualités pour vivre ensemble sur le plan affectif et psychologique. Apprendre à reconnaître les émotions que l’autre éprouve, pour apprendre à maîtriser les siennes, instaurer et vivre avec des règles de communauté… Le pan psychologique de l’éducation a été mis de côté en France, et revenir là-dessus signifie former les professeurs à ces jeux de rôles, parce qu’il ne s’agit pas de jouer avec l’affectivité des enfants.


TF : L’Unicef annonce une deuxième enquête de victimation sur les enseignants. Le ressenti des professeurs pourrait-il s’avérer plus douloureux que celui des élèves ?

G. F. : En effet avec Eric Debarbieux (président de l’Observatoire international de la violence à l’école, ndlr) nous allons lancer cette recherche sur tous les professeurs des écoles du 1er degré et les directeurs d’école. Je ne veux pas m’avancer et suis curieux de connaître les résultats parce qu’on n’a jamais interrogé les enseignants, et qu’ils vont nous permettre de voir où nous en sommes.

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