Masturbation féminine : pourquoi il faut oser avouer

Publié le Dimanche 08 Septembre 2013
Masturbation féminine : pourquoi il faut oser avouer
Masturbation féminine : pourquoi il faut oser avouer
Diabolisée, interdite et décriée pendant plusieurs siècles, la masturbation féminine est aujourd’hui reconnue d’utilité sanitaire et autorisée par la médecine, mais reste un gros mot pour la société bien-pensante. Oseriez-vous dire à vos ami(e)s que vous vous adonnez régulièrement au plaisir solitaire ? L’aveu n’est pas anodin. Et pour cause.
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L’histoire de la masturbation féminine commence par un grand vide, et se poursuit par une vaste période de persécution. Pendant deux siècles, sous l’influence de la religion catholique, les gestes autoérotiques ont en effet été jugés contre-nature. Qu’en est-il dans les années 2010 ? Cette époque qu’on dit ultra-érotique et hypersexualisée autorise-t-elle sans limites les femmes à se toucher ?

La peur religieuse du plaisir féminin

C’est au XVIIIe siècle qu’un complot médico-religieux aurait organisé la condamnation de la masturbation en général. Mais alors que dans le cas de l’homme, c’est la perte de sperme qui est  jugée dangereuse et sacrilège, chez la femme on s’effraie de la mainmise de l’imagination sur le réel. « On craint que les femmes puissent s’exciter par elles-mêmes, c’est cette autonomie qu’on rejette, parce qu’elle met en péril la reproduction de l’espèce, et l’équilibre de la société », explique Philippe Brenot, auteur du Nouvel éloge de la masturbation (éditions L'Esprit du Temps). Si les femmes se mettaient à éprouver du plaisir toutes seules, pourquoi s’attacheraient-elles à un seul homme ? Une fois ces bases acquises, la chasse aux sorcières peut aller très loin, et les pécheresses être sévèrement punies pour leurs égarements solitaires : au XIXe siècle, on n’hésite pas à pratiquer sur les récalcitrantes une clitoridectomie, qui consiste en une cautérisation du clitoris au fer rouge. 

La masturbation réhabilitée

Le pire est donc derrière nous. Grâce ce virage de 1950, où la fin de la guerre et la multiplication de travaux scientifiques sur la sexualité jettent quelques pierres dans le jardin du féminisme. Les deux rapports Kinsey, en 1948 et 1953, transforment la réflexion de l’occident sur les rapports sexuels. Le bon Docteur Alfred Kinsey y défend notamment l’idée que la sexualité est présente dès l’enfance et qu’elle ne doit pas être culpabilisée. En 1966, le rapport Master & Johnson affirme que la masturbation est fondamentale dans la sexualité, contredisant au passage la thèse de Freud selon laquelle la masturbation féminine est un geste infantile. Le psychanalyste estimait que les femmes qui éprouvaient des difficultés à jouir vaginalement étaient des immatures sexuelles, qui avaient abusé de la caresse clitoridienne. Une théorie contredite par de nombreuses études depuis, mais toujours défendue par certains psychanalystes…

La masturbation fait partie de l’éducation sexuelle

Le psychiatre sexologue Philippe Brenot en est convaincu : la masturbation, dès la pré-adolescence, fait partie de l’apprentissage de la sexualité, « elle permet d’apprivoiser ses réactions sexuelles pour pouvoir ensuite les vivre avec quelqu’un d’autre ». D’où selon lui l’importance de faire passer le message aux parents : « Il faut valoriser la masturbation, expliquer que c’est quelque chose de bien à faire mais dans l’intimité de la chambre. » Pour les filles, en particulier, le sexologue alerte sur les risques de freiner la sexualité pour toute une vie, par des réflexions du type « c’est sale, ne touche pas ».


La masturbation : un bien nécessaire pour le couple ?

Oui ! répond Philippe Brenot. « La masturbation nourrit le désir sexuel. » Contrairement à ce qu’on imagine, les caresses en solo ne constitueraient pas un « acte de remplacement » mais un moment clé pour « nourrir l’excitation personnelle ». « C’est une chaîne que les deux partenaires doivent entretenir. La majorité des difficultés sexuelles dans le couple viennent de ce que l’un des deux n’est pas capable de cette auto-excitation et attend tout de l’autre. » Il apparaît donc naturel que l’homme se masturbe « plusieurs fois par semaine », et la femme « une à deux fois par mois ». C’est dit. 

« Le dernier tabou de la morale occidentale »

Le geste apparaît plus que jamais libéré et conseillé, mais la parole ? Du côté des sexologues et de certains spécialistes, pas de problème. Du côté de la presse féminine, non plus. Mais les psychologues et les médecins en général éviteraient savamment le sujet, tout comme leurs patientes, qui n’en parlent même pas à leurs amies, mères, filles, etc. Bizarre, dans une époque où l’on a l’impression que tout peut être dit à tort et à travers, surtout en matière de sexe… « La masturbation féminine constitue le dernier tabou de la morale occidentale », assène P. Brenot, selon qui même les médias seraient gênés par la question : seulement deux documentaires sur la question en quinze ans, alors qu’on ne compte plus les reportages sur l’inceste ou les transsexuels. D’où cet appel solennel à dédramatiser l’auto-érotisme féminin, pour notre bien à toutes.